Par le Général d’armée François LECOINTRE
Chef d’État-major des Armées françaises
« Nous avons décidé de construire une paix durable et d’en cimenter puissamment le socle, en mettant en commun ce par quoi nous nous faisions la guerre ».
Ces mots, prononcés par le Président de la République au cours de la cérémonie commémorative devant le Bundestag le 18 novembre 2018, rappellent les raisons profondes qui ont permis à la concorde entre Européens de durer pendant 70 ans, après des siècles de rivalités.
La France et l’Allemagne ont ardemment désiré la paix. Elles ont compris, après les deux tragédies mondiales qui venaient de se jouer, que son avènement dépendait, avant tout, de leur capacité à se donner la main et à œuvrer ensemble, dans tous les domaines.
La défense a pris toute sa place dans cette puissante dynamique de rapprochement. La coopération en matière de défense n’a cessé de s’intensifier, d’abord avec la fin de la guerre froide et la réunification allemande puis avec l’élargissement de l’Union européenne (UE) et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) aux nouveaux États membres d’Europe centrale, orientale et balkanique.
Aujourd’hui, la coopération entre Paris et Berlin couvre tout le spectre qui va du partenariat industriel à l’engagement commun en opérations. La mutualisation des compétences et l’addition des forces permettent au couple franco-allemand de jouer un rôle moteur dans la construction de la défense européenne et la prise en compte par les Européens de leurs responsabilités croissantes.
Le Conseil franco-allemand de défense et de sécurité de juillet 2017 et le sommet de Meseberg de juin 2018 confirment qu’une détermination commune permet de dépasser certaines différences d’appréciation et de sensibilité entre les deux pays.
Sur le plan capacitaire, l’excellence des deux industries de défense permet d’envisager une coopération ambitieuse sur des projets structurants pour l’avenir.
Pour préparer le combat aéroterrestre du futur, Paris et Berlin soutiennent l’évolution au standard 3 de l’hélicoptère Tigre dans le cadre de la Coopération structurée permanente (CSP) à l’UE et élaborent un programme destiné à remplacer leurs chars de bataille à l’horizon 2035. L’Allemagne assurera la direction du projet dans le respect de la base industrielle et technologique de défense française.
Parallèlement, les discussions autour du système de combat aérien futur ont débuté. La phase d’étude de concept placée sous leadership français sera initiée en 2019.
Ce partenariat stratégique en matière de défense serait toutefois incomplet s’il ne se déclinait pas dans le champ des opérations. Or, sur le terrain, la coopération franco-allemande progresse également.
Historiquement limitée au domaine du soutien et de la santé, la contribution allemande s’est élargie progressivement à de nouveaux champs, au-delà des missions de formation, de lutte contre la piraterie et de soutien aérien.
Au Sud de l’Europe, l’Allemagne a renforcé ses contingents et ses capacités au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), de la Mission de formation de l’Union européenne (EUTM) et du G5 Sahel*, et opère aux côtés des forces françaises et des forces partenaires.
À l’Est, dans le cadre de la présence de l’avant rehaussée (eFP) en Lituanie, un sous-groupement tactique français a été déployé, jusqu’en août 2018, au sein du bataillon dont l’Allemagne est nation-cadre. Cette coopération sur les frontières baltes de l’Europe pourrait être reconduite dans l’avenir.
Le partenariat stratégique franco-allemand en matière de défense n’est pas de l’ordre du symbole. Il répond à la nécessité de mobiliser effectivement les Européens pour obtenir des avancées concrètes en matière de défense dans un contexte sécuritaire qui se durcit.
L’Initiative européenne d’intervention, portée par la France, y concourt directement. Son ambition est de répondre de manière souple et pragmatique à la nécessité d’une plus grande convergence des analyses, des appréciations et des modes d’action entre pays européens volontaires et capables. L’Allemagne est partie prenante de cette initiative qui s’articule, dans une logique de complémentarité, avec les actions conduites dans le cadre de l’OTAN et de l’UE.
Nos deux pays ont conscience de leur responsabilité. L’Europe a besoin de leur engagement commun pour « contrôler sa propre destinée et bâtir une défense forte ».
* G5 Sahel : cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, créé lors d’un sommet du 15 au 17 février 2014 par cinq États du Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad).