Un traité de l’Élysée 2.0 tourné vers l’innovation

Paru dans La Lettre Diplomatique n°124 4ème trimestre 2019

292
© hannovermesse.de De l’industrie digitale aux systèmes d’automatisation en passant par l’énergie et la recherche et développement, la Foire d’Hanovre regroupe plusieurs salons internationaux simultanés, ce qui en fait le plus grand rendez-vous mondial de l’industrie. En 2017, elle a réuni plus de 6 500 exposants du monde entier et 225 000 visiteurs professionnels de 100 pays. La prochaine édition se tiendra du 1er au 5 avril 2019.

Union des espaces économiques, harmonisation des législations fiscales et sociales, plateforme numérique, Airbus du rail… À la veille du renouvellement de l’accord de coopération de 1963 entre la France et l’Allemagne, ces projets témoignent de l’étendue de la concertation entre les deux pays en vue d’intensifier encore davantage leurs synergies économiques. Au-delà de la compétition qui opposent souvent leurs champions nationaux, ces liens s’appuient sur des complémentarités bien réelles et une aspiration commune à affûter la compétitivité internationale de l’Union européenne.

Un peu à l’image du projet d’« Airbus du rail », l’Allemagne et la France veulent imprimer un nouvel élan à leur coopération économique. Dans la déclaration commune signée le 19 janvier 2018, à Paris, par la Chancelière Angela Merkel et le Président Emmanuel Macron, l’idée d’un nouveau traité de l’Élysée doit ainsi tendre à atteindre deux objectifs clé. D’une part : « préparer nos économies aux défis de demain » au travers d’une harmonisation des législations, de mécanismes communs pour le développement durable, le passage au numérique et l’innovation de rupture ; et d’autre part : « répondre aux défis de la mondialisation » en adaptant le traité de l’Élysée aux nouveaux enjeux dans les domaines de la protection du climat, de l’énergie, de la mobilité, des biotechnologies et de l’intelligence artificielle.

© Adrien Daste / Safran Opérationnelle depuis septembre 2016, le site de Safran Nacelles à Hambourg est la deuxième usine du groupe français, avec celle de Toulouse dédiée à l’intégration des nacelles de l’Airbus A320neo aux moteurs LEAP-1A de CFM International.
De l’aérien au ferroviaire : les nouvelles ambitions de Berlin et Paris pour l’économie européenne

Dans cette perspective, l’aboutissement du « Railbus » pourrait offrir une nouvelle vitrine au tandem économique franco-allemand. Annoncée en septembre 2017 par les présidents-directeurs généraux des groupes Siemens et Alstom, M. Joe Kaeser et M. Henri Poupart-Lafarge, la fusion entre les deux géants européens du ferroviaire est soutenue au plus haut niveau de part et d’autre.
Avec un chiffre d’affaires cumulé de 16 milliards d’euros en 2017, « Railbus » – tel que cette ébauche d’alliance ferroviaire a été baptisée – marquerait, en effet, la naissance d’un nouveau fleuron industriel européen armé pour faire face à la concurrence internationale, notamment au groupe chinois CRRC, le plus grand constructeur de trains du monde (dont le chiffre d’affaires est deux fois plus grand que celui des groupes allemand et français réunis) ou le canadien Bombardier.Maintes fois évoqué, ce projet est pourtant encore loin d’être acquis. En cause, la crainte de quasi-monopole qu’il suscite auprès des instances européennes. Pour Mme Margrethe Vestager, la Commissaire européenne à la Concurrence, la réussite de la fusion supposerait la cession des activités de signalisation mais pourrait aussi remettre en cause le projet de TGV de 5ème génération Avelia Horizon, qu’Alstom a développé avec la SNCF. Autant de concessions qui posent la question de la pertinence de la fusion. Il faudra attendre le verdict définitif de Bruxelles attendu au plus tard le 28 janvier 2019, soit une semaine après le 56ème anniversaire du traité de l’Élysée…

« L’imbrication des économies allemande et française, qui représentent ensemble un tiers du PIB de l’UE, continue d’être forte »

Tout comme le nom de « Railbus », ce timing apparaît comme un clin d’œil à l’histoire. Cinquante ans auparavant, les gouvernements allemand et français décidaient de poursuivre leur coopération après une année 1968 qui avait bien failli enterrer le projet d’« Airbus européen » lancé avec le Royaume-Uni. Après le retrait de ce dernier, c’est devant une maquette du futur avion A300 B, au Salon du Bourget, que le Ministre allemand de l’Économie et des Finances Karl Schiller et le Ministre français des Transports Jean Chamant signent le 29 mai 1969 l’accord intergouvernemental mettant sur les rails la naissance du futur géant européen de l’aéronautique. Airbus Industrie sera ensuite transformée 18 décembre 1970 en groupement d’intérêt économique (GIE) autour de le la Société nationale industrielle aérospatiale (SNIAS) qui deviendra l’Aérospatiale, de Messerschmitt-Bölkow-Blohm (MBB) et de VFW-Fokker.
D’Airbus Industrie à Airbus Group, nom adopté depuis le 2 janvier 2014 après avoir été EADS, le consortium européen s’est élargi intégrant l’espagnol Construcciones Aeronáuticas Sociedad Anónima (CASA) en 1971, puis le britannique British Aerospace en 1979. Il a diversifié ses activités, pour intégrer la construction d’avions militaire, d’hélicoptères et même d’équipements spatiaux.
Aujourd’hui, Airbus est le premier constructeur aéronautique mondial devant son concurrent Boeing avec plus de 1 100 commandes au compteur. Environ 10 000 Airbus volent dans le monde. Dans le domaine spatial, la filiale Airbus Defence and Space s’est lancé dans un projet peu connu mais représentatif de sa volonté de rester à l’avant-garde technologique : celui d’une Space Digital Factory, soit une usine robotisée en orbite qui serait capable de produire et d’assembler de manière autonome des éléments comme des satellites.

Un traité de l’Élysée 2.0 tourné vers l’innovation

En matière d’innovation, l’Allemagne et la France savent mettre en commun leur savoir-faire respectifs pour faire émerger des acteurs d’envergure internationale. Comme l’entreprise franco-allemande Aerospace Embedded Solutions GmbH (AES), fruit d’une création commune entre Sagem (groupe Safran) et MTU Aero Engines en 2012 et qui a contribué à la réalisation de systèmes embarqués pour les Airbus A400M (système de régulation du moteur et de positionnement GPS) et A350 (système de freinage), mais également pour l’Embraer brésilien KC390 ou le COMAC chinois C919. Basée à Munich, AES a d’ailleurs reçu le 3ème Prix franco-allemand de l’Économie décerné tous les deux ans par la Chambre franco-allemande de Commerce et d’Industrie (AHK) sous le haut patronage des ministères de l’Économie français et allemand.
L’astronautique n’est pas le seul domaine capable de faire converger l’expertise des deux pays. À l’heure où Paris et Berlin veulent structurer une coopération en matière d’innovation et d’industrie du futur, l’alliance stratégique du groupe français Atos et de l’allemand Siemens constitue un bon exemple de réussite commune. Amorcée en 2011 par l’acquisition de Siemens IT, elle a permis à Atos de devenir un concurrent sérieux des géants du numérique IBM, HPE ou Accenture et d’en faire le premier groupe européen du Big Data, de la cybersécurité, des supercalculateurs et de l’environnement de travail connecté. Huit ans plus tard, Atos a absorbé deux autres filiales du géant allemand de l’ingénierie : Siemens Enterprise Communications, devenue Unify, fin 2015, puis Convergence Creators Holding GmbH (CVC) en janvier 2018. De son côté, le conglomérat allemand est entré au capital d’Atos dont il détient 14% des parts. Dans une interview à Usine nouvelle parue le 10 décembre 2016, le Président-Directeur général d’Atos et ancien Ministre français de l’Économie et des Finances, M. Thierry Breton, n’avait pas hésité à qualifier ce partenariat de « succès de la coopération franco-allemande » expliquant : « en nombre d’ingénieurs, nous pesons l’équivalent d’Airbus ». Depuis le début de leur partenariat en 2011, Atos et Siemens ont réalisé une prise de commandes conjointe de 2,5 milliards d’euros, dépassant largement toutes les attentes. De plus, les deux groupes ont annoncé le 26 mars 2018 le renforcement de leur alliance à travers un plan de commercialisation conjointe et un programme commun d’investissement et d’innovation d’un montant total de 330 millions d’euros. Des liens qui positionnent de fait Atos comme un partenaire clé du programme allemand de l’« Industrie 4.0 » et, au-delà, comme un acteur majeur du futur projet d’Union numérique figurant (art.20) dans la proposition des parlementaires allemands et français pour le nouveau traité de l’Élysée.
Pour sa part, le groupe allemand SAP, spécialiste du logiciel a prévu d’investir plus de 2 milliards d’euros sur cinq ans en France destinés notamment à l’ouverture de son deuxième incubateur en Europe.

© hannovermesse.de M. Joe Kaeser et M. Henri Poupart-Lafarge, Présidents-Directeurs généraux du groupe allemand Siemens AG et du groupe français Alstom lors de la conférence de presse qu’ils ont donné le 29 septembre 2017 après la signature d’un protocole d’accord sur une coopération conjointe dans le domaine ferroviaire.

Dans le domaine de l’énergie, autre secteur en tête des ambitions franco-allemandes en matière d’innovation, le groupe Tilia est au cœur du projet Smart Border Initiative (SBI) lancé en 2016 et développé en étroite coopération avec l’Agence de l’énergie allemande (DENA). Un projet également piloté par les gestionnaires des réseaux de distribution (notamment Enedis et Innogy), qui vise à créer dans une partie de la Région Grand Est et du Land de Sarre un modèle reproductible au niveau européen, facilitant le développement de coopérations transfrontalières en vue d’améliorer l’efficacité énergétique, la sécurité d’approvisionnement et la résilience des zones concernées.

© BMW AG, Munich (Germany) L’automobile constitue un secteur phare de l’économie allemande pesant environ 13% du PIB et représentant près d’un cinquième des exportations du pays. Ci-dessus, un moteur V8 assemblé pour la nouveau véhicule de la série 8 coupé du groupe BMW.
Des complémentarités économiques décisives

Au nombre des grands succès récents de la coopération industrielle franco-allemande figure l’acquisition du fabricant de valises Rimowa par le groupe LVMH, celle de WMF, numéro un mondial des machines à café professionnelles, également fabricant d’ustensiles de cuisine, par SEB en 2016 et, plus significativement, d’Opel par le constructeur automobile PSA en août 2017. Un an plus tard, Opel affichait une marge de 5% après une dizaine d’année de déficit. De leur côté, le groupe Renault et l’allemand Daimler (filiale de Mercedes) semble vouloir poursuivre leur rapprochement.
Les succès de la coopération entre entreprises allemandes et françaises ne doivent pas pour autant masquer les difficultés que certaines d’entre elles rencontrent dans le contexte économique difficile prévalant notamment en France depuis la fin 2018.
Ainsi, la baisse des ventes de véhicules diesel (-36% en Europe) a fortement secoué le secteur industriel automobile, à commencer par le groupe Bosch qui emploie encore 1 600 salariés dans son usine de Rodez pour la production d’injecteurs et de bougies de moteur diesel. À la recherche de solutions pour diversifier ses activités, Bosch a choisi d’investir 14 millions d’euros pour moderniser l’une des deux lignes de production. La deuxième est en revanche appelée à fermer en 2019.
Reste que l’imbrication des économies allemandes et françaises, qui représentent ensemble un tiers du PIB de l’UE, continue d’être forte même si elle s’est affaiblie avec la perte de vitesse de la France. Celle-ci n’est plus depuis 2015 le premier partenaire commercial de l’Allemagne, reculant même à la 4ème place, avec 7,3% des parts de marché, derrière la Chine (8,1%), les Pays-Bas (7,7%) et les États-Unis (7,5%). Pour sa part, l’Allemagne demeure, de loin, le premier partenaire commercial de la France, totalisant 15,4% de ses échanges, soit près du double de ceux que cette dernière a réalisé avec l’Italie et l’Espagne.

© Atos Avec l’intégration de Siemens SIS en 2011 et l’adoption du statut d’entreprise européenne, le groupe Atos est devenu le seul groupe à cumuler un siège à Paris et un autre à Munich (ci-dessus). 30 000 ingénieurs de la filiale du groupe allemand Siemens ont alors rejoint le groupe français, doublant quasiment ses effectifs.

Avec 450 km de frontière commune, les deux voisins bénéficient de flux transfrontaliers importants. L’Allemagne accueille environ 46 000 travailleurs domiciliés en France par jour selon le Commissariat général à l’égalité des territoires. Dans l’autre sens, les flux de travailleurs allemands vers la France sont en revanche estimés à seulement 4 000 par l’Insee en 2015.
Preuve que l’attractivité qu’elles exercent l’une pour l’autre demeure vive, les investissements croisés sont en progression de 16% en 2017. Cette année là, l’Hexagone a enregistré une hausse de 22% des projets d’origine allemande, au nombre de 208, par rapport à 2016, faisant de l’Allemagne son 2ème investisseur étranger créateur d’emplois. Il est même passé de la 11ème à la 6ème destination préférée des investisseurs allemand. Au nombre de 4 500, les entreprises allemandes en France représentent un stock d’investissement de 60,5 milliards d’euros et emploient 312 000 personnes, tandis que quelque 4 000 entreprises françaises sont présentes en Allemagne générant près de 400 000 emplois et un chiffre d’affaires de 250 milliards d’euros.CH