Par Mme Barbara KUNZ
Chercheur au Comité d’études des relations franco-allemandes (CERFA) à l’Institut français des relations internationales (IFRI)
Dans son titre « défense », le premier traité de l’Élysée stipule en 1963 que « [s]ur le plan de la stratégie et de la tactique, les autorités compétentes des deux pays s’attacheront à rapprocher leurs doctrines en vue d’aboutir à des conceptions communes. » Cinquante-cinq ans plus tard, il est évident qu’il reste du chemin à parcourir et qu’une culture stratégique commune est loin d’avoir été acquise.
Nombreuses sont en effet les différences entre la France et l’Allemagne en matière de défense. Il y a, bien évidemment, les cultures stratégiques très différentes, ancrées dans l’Histoire et dans les opinions publiques. D’un côté, la France interventionniste, de l’autre, l’Allemagne réticente à l’emploi de la force. Et puis, même si le constat est simpliste, il n’est pas entièrement faux : la France regarde vers le Sud, l’Allemagne vers l’Est. La lutte contre le terrorisme n’est somme toute pas une priorité pour Berlin, qui a recentré l’orientation de la Bundeswehr sur la défense collective ces dernières années. Cela explique aussi pourquoi l’Allemagne reste profondément ancrée dans le camp atlantiste et entend avec un certain scepticisme les appels de Paris à l’autonomie stratégique européenne, qui, à l’étranger, sont si souvent interprétés comme étant dirigés contre l’OTAN. Le soutien d’Angela Merkel à l’idée d’une armée européenne et ses mises en gardes sur l’état du lien transatlantique sous Donald Trump ne changent en réalité rien à cette donne que l’on pourrait qualifier de structurelle.
Ce qui en découle, c’est que la coopération de défense franco-allemande a toujours été difficile – et elle le restera. Par conséquent, les ambitions franco-allemandes sont actuellement relativement limitées. Le projet phare est la construction du Système de combat aérien du futur, le SCAF. Bien qu’il s’agisse d’un projet industriel d’envergure, dont les implications dépassent de loin le cadre franco-allemand, on voit difficilement comment un tel projet industriel pourrait mener au véritable objectif : le rapprochement des cultures stratégiques française et allemande. Par ailleurs, la question des exportations d’armements se pose dans ce contexte, un grand classique des contentieux franco-allemands en raison de l’approche plus restrictive côté allemand.
Au vu de l’environnement stratégique qui se détériore, mais aussi des incertitudes qui pèsent sur le lien transatlantique, il reste à espérer que Paris et Berlin seront à la hauteur pour développer une véritable vision stratégique pour la sécurité de l’Europe. Les avancées faites au niveau de l’Europe de la défense depuis 2016 – notamment le lancement de la PESCO et du Fonds européen de défense – sont évidemment un pas dans la bonne direction. Face à l’envergure du défi, elles restent cependant insuffisantes. Or, la dimension stratégique est en réalité la dimension manquante dans la coopération de défense et de sécurité franco-allemande, qui porte presqu’exclusivement sur les dimensions industrielles, capacitaires et parfois opérationnelles. Il reste donc à espérer que le nouveau traité de l’Élysée donne de l’impulsion à une véritable approche stratégique qui permettrait à Paris et à Berlin de développer une vision commune sur les grandes questions de l’avenir comme le positionnement de l’Europe face aux États-Unis, la Russie ou la Chine.