Par Mme Béatrice ANGRAND
Secrétaire général de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ)
Créé en 1963 par le traité de l’Élysée, l’Office franco-allemand pour la Jeunesse (OFAJ) a touché plus de 9 millions de participants en 55 ans. Le pari était osé mais résolument nécessaire ! Moins de 20 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’OFAJ a œuvré à la réconciliation et au rapprochement des deux sociétés en commençant par le soutien à la mise en place de jumelages et de séjours de vacances l’été, autour du sport notamment. Il a ainsi contribué à ce que des liens profonds et durables se tissent entre les sociétés civiles.
Cette mission a-t-elle encore un sens aujourd’hui ? La question est fondée à la veille du renouvellement du traité de l’Elysée. Donner la possibilité à des enfants, jeunes, jeunes adultes ou aux responsables de la jeunesse de France et d’Allemagne en impliquant d’autres pays d’Europe et parfois du monde, de se rencontrer, de partager des expériences est toujours aussi essentiel. Grâce aux 8 000 programmes d’échanges et de rencontres qu’il soutient chaque année, en s’appuyant sur de nombreux partenaires, l’OFAJ permet à près de 200 000 jeunes d’effectuer une mobilité. Il contribue ainsi à faire vivre la relation franco-allemande dans la société civile et à rendre cette coopération si importante pour l’Europe, concrète pour les citoyens.
De plus, grâce à la mobilité, les jeunes acquièrent de nouvelles compétences (linguistiques, interculturelles, personnelles) ; ils exercent leur capacité d’adaptation et leur esprit de tolérance. Nos sociétés diverses et multiculturelles n’en ont-elles pas besoin ? On le voit : la vraie question ne porte pas sur l’actualité de la mission mais bien plutôt sur la manière d’en faire bénéficier le plus grand monde. Dans cet esprit, l’OFAJ s’emploie à s’adresser en priorité à celles et ceux qui, pour des raisons géographiques, sociologiques ou culturelles se sentent écartés des dispositifs européens ou internationaux. Une belle ambition pour le nouveau traité de l’Élysée serait de prévoir que chaque jeune de France ou d’Allemagne ait la possibilité au moins une fois dans son parcours, à l’école ou en formation professionnelle, dans ses activités sportives ou culturelles, de rencontrer l’autre.
Au-delà, il faut s’attacher à faire partager notre expérience et notre savoir-faire en matière d’apprentissage interculturel et de pédagogie de la paix à d’autres pays. Ainsi, l’OFAJ a contribué à la création en 2016 de l’Office régional de coopération pour la jeunesse des Balkans occidentaux (RYCO). Dans un autre domaine, l’intense coopération transfrontalière franco-allemande existant dans la région Grand-Est ne pourrait-elle pas inspirer le Maroc et l’Algérie ? C’est une idée stimulante que j’ai entendue récemment. La relation bilatérale doit s’enrichir d’initiatives extérieures et sortir du tête-à-tête.
À la veille de la signature d’un nouveau traité de l’Élysée, que peut-on souhaiter ? Davantage d’incitations à apprendre la langue du pays voisin (comment comprendre ses codes et développer une vraie complicité sans cela ?), une législation commune pour les associations, une plus forte implication des villes et des collectivités territoriales dans les jumelages, le développement d’outils communs en matière d’éducation citoyenne, des incitations pour les jeunes décideurs ou pour ces nouvelles élites du numérique se tournent prioritairement vers le monde anglo-saxon et/ou anglophone. Si l’OFAJ continue à innover continuellement en s’adaptant aux évolutions de la société, aux attentes et aux besoins des jeunes, pour que chacun trouve le programme qui lui correspond, il a de beaux jours devant lui.
« Encourager les jeunes à vivre des expériences très enrichissantes »
Originaire de Dreux, Jules Miccinilli, 22 ans, est étudiant en Master 1 à l’École de management (IAE) de l’Université Clermont-Auvergne. Il est Jeune Ambassadeur de l’OFAJ depuis 2016.
La Lettre Diplomatique : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à l’Allemagne ?
M. Jules Miccinili : J’ai eu la chance d’avoir eu au collège un très bon professeur d’allemand qui a initié des échanges de correspondants et qui a organisé des voyages en Allemagne en classe de 4ème et de 3ème que j’ai beaucoup appréciés. En 2de, j’ai souhaité prolonger cette expérience en participant au programme d’échange scolaire Brigitte Sauzay de l’OFAJ, que j’ai réalisé durant trois mois près de Hambourg.
Après le lycée, j’ai voulu continuer mes études dans un cadre franco-allemand. J’ai ainsi opté pour un double parcours qui m’a permis d’accomplir une partie de mon année de licence en France et l’autre en Allemagne à Regensburg (Ratisbonne) en Bavière.
L.L.D. : Que retenez-vous de cette expérience ?
J.M. : Ce qui m’a le plus frappé, c’est le système scolaire et universitaire allemand qui est complètement différent du système français. En Allemagne, les élèves et les étudiants bénéficient d’une large autonomie et sont davantage acteurs de leur apprentissage. Ils sont incités à participer activement au déroulement des cours, notamment par le biais d’exposés. Je pense que nous, Français, avons beaucoup à apprendre dans ce domaine.
L.L.D. : Comment décririez-vous votre rôle en tant que Jeune ambassadeur de l’OFAJ ?
J.M. : Notre objectif premier consiste à informer les jeunes sur les possibilités qu’ils ont en terme de mobilité dans le cadre de l’OFAJ et de les encourager à vivre des expériences de ce type qui sont très enrichissantes.
La plupart des Jeunes ambassadeurs de l’OFAJ, comme c’est mon cas, ont pour mission de représenter l’institution au sein des régions dans lesquelles ils évoluent, notamment dans les classes des collèges et lycées ou au cours de manifestations comme je l’ai fait, par exemple, lors du Salon de l’étudiant de Clermont-Ferrand fin novembre 2018. Pour 2019, qui sera la dernière année de mon mandat [ndlr, qui est d’une durée de un an renouvelable trois fois], je prépare pas mal d’actions comme la mise en place d’un petit-déjeuner franco-allemand en janvier ou la participation à une soirée franco-allemande lors du Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand (1er au 9 février).
L.L.D. : Quelles opportunités peut offrir l’OFAJ à un jeune français ?
J.M. : L’OFAJ offre une grande diversité de programmes qui peuvent correspondre au projet personnel de chacun. Dans le cadre d’une année de césure, par exemple, l’OFAJ peut subventionner une partie des frais de déplacement en Allemagne d’un étudiant français. Il peut également identifier des partenaires allemands pour accompagner un projet de stage ou d’emploi dans une ville jumelée. Il s’agit de favoriser une mobilité qui peut s’inscrire dans différents contextes.
L.L.D. : Comment percevez-vous sur les complémentarités franco-allemandes en matière de hautes technologies que le nouveau traité de l’Élysée vise à renforcer ?
J.M. : On sait que l’Allemagne est un pays fortement industrialisé, renommé pour son savoir-faire et qui à la pointe dans le secteur de la transition numérique, par exemple, qui est un domaine auquel je consacre aujourd’hui une partie de mes études. Pour sa part, la France est un vivier important de start-ups qui tend à se développer de plus en plus.
L.L.D. : Dans le contexte difficile que traverse l’Europe, que représente pour vous le projet de nouveau traité de l’Élysée ? Quel regard portez-vous sur l’histoire des deux pays ?
J.M. : C’est justement dans ce contexte difficile, des deux côtés du Rhin et au-delà en Europe, qu’il est nécessaire d’affirmer un sentiment pro-européen. De ce point de vue, le nouveau traité de l’Élysée tombe à pic.
L’histoire des relations franco-allemandes, et plus particulièrement le traité de l’Élysée, constitue un exemple remarquable de coopération et de la capacité de deux pays qui se sont longtemps déchirés à renouer des liens et à privilégier la paix. Je pense que pour les jeunes français et allemands, c’est surtout une source de motivation et d’espoir pour le futur, même s’il est vrai que le passé n’est pas vraiment un sujet de discussion entre nous.
« Les jeunes ne veulent pas laisser les générations plus âgées
décider à leur place »
Originaire d’un village près de Wurtzbourg en Bavière, Pia Wild, 23 ans, achève son stage pratique à Arte dans le cadre de sa licence de communication et médias à l’Université de Leipzig. Elle est Jeune Ambassadrice de l’OFAJ depuis 2017.
La Lettre Diplomatique : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la France ?
Pia Wild : C’est le hasard qui m’a fait découvrir la France. Après mon bac, je voulais partir à l’étranger. J’avais choisi l’Ukraine, mais la crise politique dans ce pays a fait échouer ce projet. J’ai alors découvert le Volontariat franco-allemand, qui est un programme soutenu par l’OFAJ dans le cadre duquel j’ai fait mon service civique à Grenoble au sein de l’association Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active).
Ensuite, je suis allée à Lisbonne grâce au programme Erasmus, avant de commencer des études en communication et médias à l’Université de Leipzig. J’effectue à présent mon stage pratique à Strasbourg au sein du groupe audiovisuel Arte.
L.L.D. : Que retenez-vous de cette expérience ?
P.W. : Lorsque je suis arrivée à Grenoble, je n’avais pas une grande idée de la France et de sa culture bien que le Bade-Wurtemberg soit plutôt proche. Je ne parlais pas non plus un mot de français. Au début, c’était difficile de travailler et de participer à la vie sociale. Mais après 12 mois d’immersion, je pense avoir bien appris la langue. En fait, je pense que ce sont les Français que j’ai rencontrés qui m’ont fait aimer la France et la façon de voir les choses ici. En découvrant la culture française, j’ai compris combien on peut apprendre les uns des autres, comme par exemple, cette célébration pour la nourriture et les repas si caractéristique en France ou ce goût pour la discussion, alors qu’en Allemagne on discute davantage dans l’attente d’un résultat.
L.L.D. : Quelles étaient vos motivations pour devenir Jeune Ambassadeur de l’OFAJ ?
P.W. : J’ai voulu transmettre mon expérience de la France et informer les jeunes sur les possibilités que leur ouvre l’OFAJ, quel que soit leur parcours. Cela m’a permis de rencontrer beaucoup de gens dans les deux pays et de parler de ma passion pour la France.
L.L.D. : Qu’est-ce qui vous marque le plus dans le cadre de ces activités ?
P.W. : C’est très enrichissant de donner envie de découvrir d’autres cultures, ce qui est, à mon avis, l’objectif de l’OFAJ. En Saxe, où je suis étudiante, je suis allée dans de nombreuses écoles, collèges et lycées. J’ai aussi participé à de grands événements comme le Foire du livre de Leipzig où nous avions un stand, mais j’ai également voulu faire connaître les programmes de l’OFAJ dans les villages qui sont, comme celui dont je suis originaire, peu connectés avec l’internationalité. En France, j’ai participé au Forum franco-allemand qui s’est tenu à Strasbourg en novembre 2018.
L.L.D. : Que vous évoque le traité de l’Élysée et son projet de renouvellement ?
P.W. : Il s’agit bien sûr d’un accord important pour l’Allemagne et la France, qui a fondé l’OFAJ et qui m’a permis de devenir Jeune Ambassadrice. Je pense qu’il est très important de montrer que cette institution et les autres qui ont découlé du traité de l’Élysée sont très concrètes et vivantes.
Le renouvellement de ce traité a mobilisé beaucoup d’énergie au sein de l’OFAJ avec le projet de traité de l’Élysée 2.0.19. À Leipzig, j’ai organisé une table ronde en coopération avec l’Université. J’ai été frappée par l’enthousiasme des propositions que nous avons recueillies sur de nombreux sujets comme la lutte contre réchauffement climatique. Ces propositions sont aujourd’hui entre les mains de nos dirigeants. Il est aussi intéressant de noter que de jeunes étudiants d’autres pays et régions, de Grande-Bretagne ou de Catalogne par exemple, ont activement pris part à ces débats. Ce qui reflète la dimension européenne de la relation franco-allemande. En ce sens, l’OFAJ et le renouvellement du traité de l’Élysée peuvent contribuer fortement à faire face à la montée des populismes.
A contrario des idées reçues, cette expérience montre que les jeunes veulent s’investir et ne pas laisser les générations plus âgées décider à leur place. Ceci dit, après mon mandat de Jeune ambassadrice à l’OFAJ, je souhaiterai pouvoir continuer à m’investir mais en vue de favoriser davantage les liens intergénérationnels.