
Affichant l’un des taux de croissance les plus élevés du monde, l’économie éthiopienne pouvait déjà se targuer d’attiser la convoitise des investisseurs étrangers. Depuis l’élection du Premier Ministre Abiy Ahmed, en mars 2018, l’afflux des capitaux atteint des records. Selon les prévisions de l’Ethiopian Investment Commission (EIC), les flux d’investissements directs étrangers pourraient dépasser 5 milliards de dollars en 2019. Un rythme soutenu porté par l’élan réformateur du gouvernement éthiopien et l’engagement de nouveaux investisseurs, notamment français.
En amharique, l’une des langues officielles en Éthiopie, Addis-Abeba signifie « Nouvelle fleur ». Un nom qui traduit bien le renouveau qui souffle sur la capitale éthiopienne. Depuis le 1er octobre 2019, de vastes travaux ont été lancés pour la rendre plus aérée, plus verte et plus moderne.
Un grand lifting pour faire de cette métropole de 5 millions d’habitants, bâtie sur le plateau le plus élevé d’Afrique et qui accueille le siège de l’Union Africaine, une ville plus séduisante pour ses habitants mais aussi pour les investisseurs et les touristes. « Aucune force ne peut entraver le chemin de l’Éthiopie vers la prospérité » avait déclaré le Premier Ministre Abiy Ahmed lors de leur inauguration.
Confiée au groupe China Communications Construction Company (CCCC), la première phase du « Beautifying Sheger Project » doit être achevée d’ici au printemps 2020. Elle couvre une portion de 12 km sur un espace total long de 56 km le long des rivières d’Addis-Abeba. Un immense chantier estimé à 1 milliard de dollars qui apparaît comme une vitrine des projets d’aménagement urbain en Afrique et un terreau d’opportunités de coopération et d’échanges d’expertise à l’approche du sommet Afrique-France prévu en juin 2020 sur le thème de la « ville durable ».
Les opportunités de la libéralisation
Pour le Président Emmanuel Macron, la France et l’Éthiopie doivent bâtir « une nouvelle étape » de leur histoire commune. Au cœur du futur partenariat privilégié qu’il entend instaurer avec le Premier Ministre Abiy Ahmed, l’intensification des liens de coopération économique figure en bonne place. « […] Nos entreprises sont très intéressées de contribuer à cette dynamique d’ouverture économique […] » avait-il affirmé en présence de plusieurs représentants de grandes entreprises qui l’accompagnaient lors de la visite d’État qu’il a effectué à Addis-Abeba le 12 mars 2019.

Parmi eux, M. Stéphane Richard, le Président-Directeur général du groupe de télécommunications français. Orange compte, en effet, parmi les prétendants les plus sérieux à l’ouverture du capital de la compagnie nationale Ethio Telecom.
Lancée par une loi adoptée début juin 2019, sa privatisation ne devrait être que partielle, mais le gouvernement éthiopien pourrait céder plus de la majorité des parts. Une révolution qui mettra fin au dernier monopole d’État sur ce secteur en Afrique.
Dans ce cadre, Ethio Telecom devrait être scindée en deux entités : l’une dédiée aux services et l’autre aux infrastructures. Un appel d’offres devrait en outre être lancé en mars 2020 pour l’attribution de deux licences mobile à des opérateurs privés, prélude à d’autres ouvertures éventuelles, sans compter les services de banque mobile, mieux connu sous le nom de « mobile banking », qui pourraient être développés. De quoi aiguiser les appétits dans un pays comptant 50 millions d’abonnés mobiles, au potentiel encore vaste.
Après les télécommunications devrait suivre la privatisation des entreprises publiques de l’énergie, de la logistique et de l’aviation. Autrement dit, des fleurons de l’économie nationale : Ethiopian Electric Power, Ethiopian Shipping & Logistics Services Enterprise ou encore Ethiopian Airlines, l’un des premiers transporteurs aériens d’Afrique, avec un chiffre d’affaires global de 4,2 milliards de dollars pour l’année fiscale 2018-2019.
Des échanges économiques franco-éthiopiens en pleine expansion
Desservant 120 destinations internationales, Ethiopian Airlines compte bien poursuivre son essor. En témoigne l’inauguration en juillet 2019 d’une nouvelle liaison entre Addis-Abeba et Marseille (trois vols hebdomadaires via Milan). Une aubaine aussi pour le groupe Airbus qui pourrait prochainement signer avec la compagnie aérienne éthiopienne un accord pour la fourniture d’une vingtaine d’appareils monocouloir A220-100. Un contrat qui confirmerait un partenariat engagé depuis 2009. Ethiopian Airlines avait alors conclu une commande de 12 appareils A350-900, toujours en cours d’exécution, qui avait alors cassé le monopole du groupe américain Boeing pour la fourniture de ses avions.
Ces livraisons aéronautiques, couplées à celles de produits pharmaceutiques, ont donné un sérieux coup d’accélérateur aux exportations françaises vers l’Éthiopie. En l’espace de quatre ans, celle-ci est ainsi passée de la 24ème à la 5ème place des marchés d’exportation de la France en Afrique subsaharienne. Elle est même devenue son deuxième excédent commercial dans le continent africain avec un solde de 580 millions d’euros en 2018.
Une cinquantaine d’entreprises françaises sont aujourd’hui implantées en Éthiopie, ce qui positionne la France au 4ème rang des investisseurs européens sur ce marché. Nombre d’entre elles prennent part activement à l’industrialisation de son économie. À l’instar du groupe français Decathlon qui a rejoint d’autres grandes enseignes mondiales de la confection textile comme H&M ou Calvin Klein. Dans la construction automobile, Peugeot PSA Citroën a devancé l’allemand Volkswagen qui a annoncé en janvier 2019 l’installation d’une usine. Dès juillet 2016, le groupe français avait, en effet, inauguré un site d’assemblage d’une capacité de 1 200 véhicules par an à Wukro, au nord du pays, en partenariat avec le groupe éthiopien Mesfin Industrial Engineering.
Dans la filière agro-alimentaire, dont le rôle est encore primordial dans l’économie éthiopienne (34% du PIB, 81% des exportations et environ 80% de l’emploi), le groupe Soufflet a posé le 13 mars 2019, la première pierre de son usine construite dans l’agglomération d’Addis-Abeba. Objectif : produire 80 000 tonnes de malt à l’horizon 2020 destinées à la production de bière et à favoriser ainsi le « made in Ethiopia ». En ce sens, son investissement s’inscrit dans les pas du groupe Castel, aujourd’hui l’un des plus importants investisseurs français en Éthiopie avec le groupe Total. Après être devenu en 1998 le brasseur de la bière locale St-Georges, celui-ci commercialise depuis 2014, un vin éthiopien produit dans les hauteurs de Ziway, dans l’État d’Oromia.
Le hub commercial éthiopien
Sans accès à la mer, l’Éthiopie dépend de Djibouti pour son commerce extérieur. Mais la donne est en train de changer rapidement. L’accord de paix historique conclu avec l’Érythrée en septembre 2018 devrait lui ouvrir de nouveaux débouchés, tandis que des projets sont en cours de mis en place pour faire transiter les marchandises éthiopiennes via les ports du Somaliland ou du Kenya.
Un contexte favorable au développement des infrastructures logistiques et de transport. Pour CMA-CGM, l’enjeu est stratégique. Pour preuve, son Président-Directeur général, M. Rodolphe Saadé, a accompagné en mars 2019 la délégation du Président Emmanuel Macron en Éthiopie où il a conclu deux accords : l’un avec le groupe éthiopien Maccfa, ouvrant la voie à la création d’une co-entreprise dont l’objectif sera de déployer un réseau régional d’agences couvrant les corridors logistiques du pays. Le second, sous la forme d’une lettre d’intention, avec Ethiopian Shipping & Logistics Services Enterprise (ESLSE) pour la gestion du port sec de Modjo. Situé à 40 km au sud-est d’Addis-Abeba, celui-ci est le centre névralgique de la route reliant l’Éthiopie au port de Djibouti, sur laquelle transiterait près de 95% du trafic national. Pour sa part, le groupe Bolloré Transports & Logistics doit y créer avec la compagnie éthiopienne CLS Logistics une plateforme logistique commune de 12 000 m2 d’entrepôts.
Un climat des affaires en voie de réforme
Illustrant l’attractivité renouvelée de l’Éthiopie, les investissements directs étrangers ne cessent d’affluer. Après avoir atteint 3,3 milliards de dollars en 2018, soit un tiers des flux totaux entrant en Afrique de l’Est, ils pourraient dépasser la barre des 5 milliards de dollars en 2019 selon l’Ethiopian Investment Commission (EIC). Et cette tendance devrait rester robuste, avec le maintien d’une croissance soutenue estimée à 8,5% pour l’année fiscale de 2018-2019.
De plus, les lourds investissements consentis par l’État éthiopien (23% du PIB en 2018, certes en grande partie financés à l’extérieur) ont accru les capacités d’infrastructures du pays. En témoigne la mise en service, début 2018, du chemin de fer reliant l’Ethiopie à Djibouti, la première ligne ferroviaire électrique transfrontalière d’Afrique ; la construction de l’autoroute à péage reliant Dire Dawa et Dewele, ou encore celle du barrage de la Renaissance qui devrait permettre à terme d’accroître le potentiel énergétique du pays.
Surtout, le discours disruptif du Premier Ministre Abiy Ahmed en faveur de l’économie libérale s’accompagne de nouvelles mesures pour améliorer le cadre des investissements prévu par le Homegrown Economic Reform annoncée en septembre 2019. CH