Par M. CAI Fangbo
Ancien Ambassadeur de Chine en France
En mars 1962, la France a mis fin à la guerre d’Algérie, éliminant le dernier obstacle à l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France. En octobre 1963, l’ancien Premier ministre français Edgar Faure, envoyé par le général de Gaulle et muni de sa lettre autographe, s’est rendu en Chine en qualité d’Émissaire spécial pour négocier avec les dirigeants chinois l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays. Cette lettre, en apparence écrite à M. Faure, était en réalité destinée aux dirigeants chinois :
« Cher Monsieur le Président :
Je réitère l’importance que j’attache aux contacts que vous entretiendrez avec les dirigeants chinois lors de votre prochain voyage. Grâce à nos récents entretiens, je peux vous indiquer clairement pourquoi j’accorde tant d’importance aux questions concernant la relation entre nous et ce grand peuple et comment j’apprécie ce sujet. Soyez assuré que je crois totalement à ce que vous allez dire et entendre.
Veuillez accepter, Monsieur le Président, l’expression de ma plus haute considération. »
Le couple Faure est arrivé à Beijing le 22 octobre sur l’invitation de ZHANG Xiruo, Président de l’Institut des Affaires étrangères du peuple chinois. Le Premier Ministre ZHOU Enlai et le Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères CHEN Yi ont eu six entretiens avec lui à Beijing et à Shanghai.
Pendant le premier entretien, Faure a remis la lettre personnelle du général De Gaulle au Premier Ministre ZHOU Enlai. La difficulté rencontrée pendant l’entretien était que la partie française ne voulait pas prendre l’initiative de rompre les relations diplomatiques avec Taiwan en premier et envisageait même d’y maintenir un fonctionnaire consulaire de bas niveau. Le Premier Ministre ZHOU a déclaré que « la position chinoise de s’opposer à deux Chines est inébranlable. » En ce qui concerne l’idée de la partie française du maintien d’un fonctionnaire consulaire, le Premier Ministre a affirmé que c’était impossible. Les discussions étaient dans l’impasse. Afin de donner aux deux parties le temps de réfléchir, le Premier Ministre ZHOU a fait des arrangements pour que le couple Faure fasse un voyage de trois jours en province.
Après le retour du couple Faure à Beijing, la deuxième phase des négociations a été ensuite transférée à Shanghai et la partie chinoise a fait une nouvelle proposition. Après les discussions des deux parties, le Premier Ministre ZHOU et Edgar Faure se sont mis d’accord sur les formulations en trois points :
1- Le gouvernement de la République française ne reconnaît que le gouvernement de la République Populaire de Chine comme l’unique gouvernement légal représentant le peuple chinois. Cela signifie automatiquement que cette qualification de représentant n’appartient plus au soi-disant gouvernement de la « République de Chine » à Taiwan.
2- La France soutient les droits et intérêts ainsi que le statut légitimes de la République Populaire de Chine aux Nations unies et ne soutient plus la représentation de la soi-disant « République de Chine » aux Nations unies.
3- Après l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, dans le cas où le soi-disant gouvernement de la « République de Chine » à Taiwan retire ses « représentants Diplomatiques » et ses institutions en France, la France retire également ses représentants diplomatiques et ses institutions basées à Taiwan. Les ententes tacites en trois points sont la cristallisation de l’excellent art de la négociation du Premier Ministre ZHOU.

Le 2 novembre 1963, le Président MAO a reçu le couple Faure et dit : « Il est temps que vous veniez tous les deux. Il est nécessaire d’établir la relation entre nos deux pays. » Faure a répondu avec joie : « On peut dire que nous avons réussi et on en rapportera les résultats au Président Charles De Gaulle. » Cela signifie que les négociations sur l’établissement des relations diplomatiques sino-françaises ont été parfaitement achevées.
Le 22 novembre, Charles de Gaulle a reçu Edgar Faure et a approuvé les conclusions de son rapport. Le 12 décembre, la partie française a envoyé le Directeur général de l’Europe du Ministère des Affaires étrangères, Jacques de Beaumarchais, à Berne, capitale suisse, pour négocier avec l’Ambassadeur de Chine en Suisse, LI Qingquan, sur les questions concrètes concernant l’établissement de relations diplomatiques. Dans les négociations, en suivant l’esprit des instructions écrites par Charles De Gaulle, Jacques de Beaumarchais a proposé de modifier les modalités de l’établissement des relations diplomatiques, en passant de l’échange des notes verbales initialement convenu à la publication d’un communiqué conjoint ou à la publication respective d’un même communiqué. Le 26 décembre, l’Ambassadeur LI Qingquan s’est rendu en Algérie où le Premier Ministre ZHOU effectuait une visite pour lui demander des instructions, qu’il lui donna de manière détaillée.
Le 2 janvier 1964, Jacques de Beaumarchais est arrivé à l’Ambassade de Chine en Suisse pour poursuivre ses discussions avec l’Ambassadeur LI. Au cours de cette réunion, la partie chinoise a insisté sur l’établissement des relations diplomatiques par un échange de notes verbales. Jacques de Beaumarchais a répondu que la solution qu’il avait présentée était également proposée dans l’esprit des pourparlers de Beijing, mais que le moyen le plus simple serait le mieux. Étant donné que la partie française n’a pas violé les principes des ententes tacites en trois points, l’Ambassadeur LI a immédiatement affirmé : « Si la partie française adopte en effet une position de ne pas soutenir la création de « deux Chines », de notre part, pour résoudre les difficultés de la partie française, nous pouvons être d’accord sur la publication et la formulation du communiqué proposées par la partie française. Cependant, le gouvernement chinois publiera ses propres commentaires à l’extérieur pour expliquer que la décision d’établir des relations diplomatiques avec la France est prise par la République populaire de Chine en tant que seul gouvernement légal du peuple chinois »
Jacques de Beaumarchais a déclaré après avoir écouté : « On fera rapport de la situation des pourparlers au gouvernement français pour vous donner une réponse. » Il a également pris l’initiative de proposer la date de la prochaine réunion. Le 9 janvier 1964, il s’est rendu comme promis à l’Ambassade de Chine en Suisse. Après de nouvelles consultations, les deux parties sont parvenues à un consensus sur le contenu du communiqué et surl’heure de publication du communiqué. Le 27 janvier 1964, les gouvernements chinois et français ont ainsi publié simultanément les communiqués suivants à Beijing et à Paris : « Le gouvernement de la République Populaire de Chine et le gouvernement de la République française ont décidé à l’unanimité d’établir des relations diplomatiques. Les deux gouvernements ont convenu de nommer des ambassadeurs dans un délai de trois mois. »
Le lendemain, le gouvernement chinois a fait une déclaration au monde extérieur, soulignant la position de principe à laquelle il adhérait lors de l’établissement de relations diplomatiques avec la France.
Le 31 janvier 1964, le Président Charles de Gaulle a tenu une conférence de presse pour annoncer l’établissement de relations diplomatiques avec la Chine au niveau des ambassadeurs, louant la Chine comme « une grande nation et la nation la plus peuplée du monde », « un pays de civilisation ancienne qui a une histoire plus longue qu’une histoire enregistrée » ajoutant : « Ce pays a beaucoup de courage et de talent » et « il est déterminé à être fort dans tous les cas ».
Après l’annonce de l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et la France, la délégation sélectionnée, dont faisait partie le Chargé d’affaires SONG Zhiguang, pour la construction de l’Ambassade, est arrivée à l’Ambassade de Chine en Suisse à la mi-février 1964. Un autre étudiant et moi qui étions en train de faire nos études à l’Université de Genève, avons été appelés à l’Ambassade de Chine en Suisse pour nous rendre en France avec la délégation chargée de la construction de l’ambassade.
Le chargé d’affaires SONG nous a alors dit : « L’équipe avancée de notre partie était initialement composée de 8 personnes, mais la partie française n’en a envoyé que 6 et a demandé l’équivalent. Alors, vous restez tous les deux à l’Ambassade de Chine en Suisse et vous vous rendrez à Paris plus tard. » Le groupe de six personnes du Chargé d’affaires SONG est arrivé à Paris le 23 février 1964 et a reçu un accueil de haut niveau. Bientôt, conformément aux instructions du Chargé d’affaires SONG, nous sommes également allés à Paris pour participer aux travaux de construction intensifs du musée.
Entre-temps, le 10 février, le gouvernement français a officiellement informé le « représentant diplomatique » des autorités taïwanaises à Paris que dès que le personnel diplomatique de Beijing sera arrivé à Paris, le « corps représentatif » de Taiwan aura perdu sa raison d’existence. Sous la pression de la situation, les autorités taïwanaises ont dû annoncer la rupture des relations diplomatiques avec la France et retirer leurs institutions et leur personnel à Paris le même jour. Le gouvernement français a également annoncé le retrait correspondant de ses institutions et de son personnel à Taiwan. Cela a éliminé les derniers obstacles à l’envoi nos ambassadeurs respectifs en la Chine et la France.
La prochaine tâche de l’équipe préparatoire a consisté à résoudre le problème du bâtiment de l’Ambassade. Après de nombreuses recherches, nous avons finalement acquis une villa à la française à Neuilly-sur-Seine, commune limitrophe de la ville de Paris. Avant l’arrivée de l’Ambassadeur, tous les membres de l’équipe préparatoire se sont installés dans cette villa pour y travailler et vivre. Après l’arrivée de l’Ambassadeur HUANG Zhen le 2 juin 1964, un immeuble et quelques appartements ont été loués près de la résidence de l’Ambassadeur, ce qui a permis de résoudre le problème des bureaux et des logements des personnes de divers départements qui sont venues successivement. À ce stade, les tâches de l’équipe avancée consistant à chasser JIANG Jieshi et à préparer la construction de l’Ambassade ont été menées à bien.
L’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et la France représente une décision stratégique majeure prise par le Président MAO Zedong et le Président Charles de Gaulle. Elle a choqué le monde et a été qualifiée d’« une explosion nucléaire diplomatique » par les médias internationaux. Cela signifie que l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et la France a brisé le schéma bipolaire de contrôle américano-soviétique et a fait le premier pas dans la promotion de la multipolarisation du monde, dont l’impact s’est révélé majeur sur la situation internationale jusqu’à présent. Cette décision n’a pas seulement été dans l’intérêt de la Chine et de la France, mais elle a également été favorable à la paix, la stabilité et le développement commun du monde.