Par M. Jean BIZET,
Sénateur de la Manche, Président de la Commission des Affaires européennes du Sénat
Ceux qui pensent que l’Union européenne (UE) a des défis plus importants à relever que la gestion du départ d’un État membre ont à la fois tort et raison. Ils ont tort, car le départ du Royaume-Uni est un événement majeur dans l’histoire de l’Union et les conséquences de ce départ vont continuer à nous occuper longtemps. Ils ont raison, car au-delà de cet accident, la construction de l’Union devra se poursuivre, même si les défis qui accompagnent cette construction ont singulièrement augmenté en intensité.

Le Brexit : un choc ambivalent pour l’Union européenne
Le départ du Royaume-Uni est un événement majeur qu’on peut qualifier d’historique. Il ne sert à rien d’en minimiser la portée symbolique et l’importance politique, au-delà du rétrécissement qu’il constitue de fait pour l’Union, aussi bien aux plans géographique, démographique qu’économique.
Le coût du Brexit pour l’UE résultera essentiellement des nouvelles barrières aux échanges qui pourraient surgir entre deux économies très intégrées, particulièrement en matière de services, notamment financiers, d’industries chimique et automobile et de pêche. Ce coût dépendra donc du nouveau cadre institutionnel qui régira leurs futures relations commerciales : selon les calculs du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), il représenterait pour l’UE entre 0,3% et 0,5% de son PIB, en fonction de la conclusion ou non d’un futur accord commercial. Le choc économique sera, en tout état de cause, nettement plus fort pour le Royaume-Uni (pour lequel il est estimé entre 1,8 et 2,5% du PIB).
Si le Brexit clôt une époque, il ne modifie ni la géographie ni nos proximités culturelles et politiques fondamentales
Le Brexit redistribue les cartes à l’intérieur de l’Union européenne
Du point de vue du fonctionnement interne de l’UE, on peut déplorer que le départ du Royaume-Uni prive les institutions européennes d’élus et d’experts britanniques dont on saluait l’assiduité, la méthode, la parfaite connaissance des dossiers, le sens pratique et aussi l’âpre détermination à négocier. Une fois le Royaume-Uni parti, le travail sera-t-il plus aisé et les résistances moindres ? Des États nordiques, qui s’alignaient jusque-là sur la ligne libérale défendue par les Britanniques, devront désormais assumer leurs choix et sans doute gagner en visibilité. Il n’est pas sûr qu’ils choisissent les Pays-Bas comme nouveau chef de file, susceptible de jouer le rôle du « troisième homme » pouvant peser entre la France et l’Allemagne. Ce qui est sûr, c’est que cette nouvelle donne modifiera la tectonique des plaques au Conseil et ouvrira la voie vers la constitution de nouvelles alliances plus mobiles, à construire en fonction des sujets.
Sur le plan financier, le départ du Royaume-Uni signifie une diminution des ressources du budget de l’UE. C’est un manque à gagner de 50 milliards d’euros sur sept ans. Si l’on souhaite maintenir l’enveloppe budgétaire actuelle, les règles de calcul des contributions amèneront l’Allemagne, déjà premier contributeur au budget européen, à concourir encore davantage – à son corps défendant –, au risque d’accentuer les déséquilibres existants. En même temps, ce doit être, pour la France, l’occasion de revenir sur le rabais obtenu par les Britanniques et sur les « rabais sur le rabais » négociés en compensation. Surtout, le départ du Royaume-Uni ne va pas faciliter les arbitrages déjà difficiles sur le prochain cadre financier pluriannuel, certains États membres considérant qu’à budget rétréci doit correspondre une réduction symétrique des dépenses, alors que s’impose la nécessité de financer de nouvelles politiques pour répondre aux défis qui sont apparus. Mme Ursula Von der Leyen, Présidente élue de la Commission européenne, les a parfaitement identifiés, qu’il s’agisse du climat, des migrations, d’intelligence artificielle ou de défense européenne… Seul un consensus politique fort sur une refondation ambitieuse de l’Union européenne permettrait une sortie par le haut en restructurant en profondeur le cadre financier pluriannuel, à la fois sur son volet recettes et sur son volet dépenses.
Construire parallèlement l’avenir de l’UE et la relation future avec le Royaume-Uni
Car il faut à présent regarder devant nous. Si le Brexit clôt une époque, il ne modifie ni la géographie ni nos proximités culturelles et politiques fondamentales, ni n’anéantit nos interdépendances économiques et commerciales. L’UE et le Royaume-Uni se retrouvent aujourd’hui au début de quelque chose : c’est cette relation future qu’il nous faut très rapidement commencer à négocier.
Les deux à trois années qui viennent vont permettre de retisser des liens nouveaux.
Sur le plan commercial d’abord. Si le Royaume Uni « reprend le contrôle » de sa souveraineté commerciale, il va de soi que tout accord de libre-échange avec l’Union européenne devra assurer le respect des normes de toute nature, sociales, environnementales, sanitaires, qu’elle s’impose à elle-même et exige de ses autres partenaires dans le monde.
L’UE devra aussi poursuivre sa coopération ambitieuse avec le Royaume-Uni en matière de défense. Il ne peut y avoir de capacité et de crédibilité militaires européennes sans que ce pays soit pleinement associé au projet de politique européenne de défense, sous des formes à convenir ensemble.
Enfin, l’exigence environnementale que la nouvelle Commission entend mettre en œuvre à 27 ne pourra que s’enrichir et se renforcer par une coopération étroite avec la Grande-Bretagne – qui abrite les ONG parmi les plus actives sur le sujet et qui accueillera d’ailleurs la COP 26 en 2020.
Ce sont là trois exemples de domaines essentiels qui feront l’objet d’accords bilatéraux composant cette « relation future ». Il en est d’autres encore : la recherche, l’innovation, l’intelligence artificielle…
Si la négociation à venir continuera de mobiliser des énergies, aussi bien à Londres qu’à Bruxelles, il faudra aussi que l’UE se donne désormais le temps de s’occuper, enfin, d’elle-même, après trois années dédiées, excessivement sans doute, à la gestion du retrait britannique.
Les sujets ne manquent pas. Ils sont économiques, monétaires, migratoires ; ils sont aussi diplomatiques : l’Europe est-elle une puissance crédible face à la Chine, aux États-Unis, à la Russie ? Quel discours tenir aux pays candidats à l’adhésion ? Comment organiser des liens différenciés d’appartenance à l’Union ? Car, il faut l’admettre, la réponse aux questions soulevées par le Royaume-Uni, mais toujours vivaces après le Brexit, reste à inventer, le « paquet Tusk » s’étant brisé sur le référendum britannique de 2016. Peut-être permettra-t-elle de retrouver le Royaume-Uni, si celui-ci le souhaite, à bord d’un navire européen, comprenant plusieurs ponts, pour embarquer la diversité des États européens. Une telle orientation s’impose si l’on veut assurer et la sécurité et la puissance de l’Europe du XXIème siècle.
Désormais, l’Europe doit regarder devant elle avec confiance et lucidité et ne plus pleurer sur le lait renversé…