L’économie turque se pare de nouveaux atouts

Paru dans La Lettre Diplomatique n°126 2ème trimestre 2019

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© CAPA Pictures © Thales Avec près de 170 km de lignes, le métro stambouliote entre dans sa seconde phase de développement. Pour le système de signalisation de la ligne de métro Istanbul-Kadikoy-Karkal entrée en service en 2012, la Municipalité d’Istanbul a sélectionné le système de signalisation du développé par le groupe français Thales.

Située au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du Moyen-Orient, la Turquie s’est affirmée comme un acteur politique clé dans la région et un marché stratégique. Classée parmi les nouvelles économies émergentes, les MINT, elle est pourtant confrontée à un essoufflement de son modèle de croissance. Après une hausse moyenne de son PIB de 6,6% entre 2010 et 2017, elle est entrée en récession au premier trimestre 2019.

Long de 2 023 mètres, le futur pont Çanakkale 1915 reliera à l’horizon 2022 les rives européenne et asiatique au-dessus du détroit des Dardanelles. Il devrait alors être le plus long pont suspendu du monde. Un projet représentant pas moins de 2,5 milliards de dollars.
Tout un symbole à l’approche des célébrations du centenaire de la République turque en 2023. Son premier président, Mustafa Kemal Atatürk avait d’ailleurs fait ses armes durant la campagne de Gallipoli qui avait abouti au retrait des armées française et britannique de la région après avoir échoué à prendre le contrôle du détroit des Dardanelles… en 1915.
Construite par les groupes turcs Limak et Yapı Merkezi, en partenariat avec les sud-coréens SK E&C and Daelim, cette nouvelle infrastructure sera aussi une des vitrines de la « Nouvelle Turquie » que cherche à ériger le Président Recep Tayyip Erdogan.

Accélérer la montée en puissance de l’économie turque
© IGA Inauguré le 28 octobre 2018, le nouvel aéroport d’Istanbul a pour vocation à devenir le plus grand du monde. Représentant un investissement de plus de 10 milliards de dollars, il desservira 300 destinations dans le monde.

Dix-septième puissance économique mondiale, la Turquie veut résolument se battre contre les vents contraires qui affaiblissent son économie depuis la tentative de coup d’État avortée de juillet 2016. Plombée par la forte dépréciation de la livre turque, à hauteur de 30% depuis l’été 2018, l’économie turque est entrée en récession au premier trimestre 2019, pour la première fois en dix ans, avec une contraction de 0,3% du PIB.
« Nous sommes déterminés à atteindre les objectifs fixés pour 2023 », a réaffirmé le chef de l’État turc lors d’une cérémonie organisée le 19 mai 2019 dans la province de Samsun. En dépit des « interventions de puissances étrangères » et « des attaques au plan de la sécurité et de l’économie » qu’il a dénoncé à cette occasion, il compte bien poursuivre les efforts entrepris pour faire émerger la « Nouvelle Turquie ». En termes concrets, il s’agit de la faire entrer dans le club des 10 premières puissances mondiales d’ici quatre ans.
Vitrine de cette ambition, de grands projets d’infrastructures comme la construction du pont Çanakkale 1915 ont été lancés par Ankara pour accélérer la modernisation de l’économie turque. Inauguré le 29 octobre 2018, le tout nouvel Aéroport d’Istanbul a vocation à intégrer dans un premier temps le top 5 au niveau mondial avec une capacité initiale de 90 millions de passagers par an. Mais d’ici 2028, l’IGA, son opérateur, compte porter ses capacités à 200 millions de passagers par an, soit le double de l’aéroport américain d’Atlanta qui occupe actuellement la première place.
Plus récemment, le Président Recep Tayyip Erdogan a participé le 16 mars 2019 à l’ouverture des services du centre hospitalier de Bilkent, à Ankara. Estimé à 1 milliard d’euros, il est l’un des plus vaste du monde avec quelque 3 800 lits.

Un hub commercial au carrefour de l’Europe et de l’Asie

Toutes ces infrastructures sont de nature à consolider le rôle de la Turquie comme pôle de référence à l’échelle régionale et internationale, dans les domaines de la santé, mais aussi dans celui de l’énergie. Avec la mise en service du gazoduc transanatolien (TANAP) le 12 juin 2018, elle est même devenue un pays de transit clé pour l’acheminement d’hydrocarbures vers les marchés européens.
Long de 1 850 km, le TANAP prolonge l’oléoduc du Caucase du Sud (SCP) et permet de transporter le gaz naturel extrait du gisement de Shah Deniz-2 en Azerbaïdjan jusqu’à la frontière turco-grecque où il fait fonction avec le gazoduc transadriatique (TAP). Il traverse la Grèce et l’Albanie, avant d’être immergé sous la mer Adriatique et d’atteindre son terminal à Melendugno, au sud de la province italienne des Pouilles. En mai 2019, 87% des travaux du TAP étaient achevés. Quelque 10 milliards de m3 de gaz seront ainsi transportés en 2020 et, à terme, ce seront 20 milliards de m3.
Au carrefour des marchés d’Europe, d’Asie et du Moyen-Orient, la Turquie cherche également à consolider ses atouts comme plateforme des échanges commerciaux. Le port de Filyos, dont la construction doit s’achever en 2020, est par exemple appelé à devenir le principal hub d’import-export de la Mer Noire, avec une capacité de traitement des marchandises de 25 millions de tonnes par an.
Un effort majeur est en outre déployé pour améliorer les infrastructures de transports du pays. À l’instar de la nouvelle ligne de train de banlieue qui reliera Gebze à Halkali, dans l’agglomération d’Istanbul. Inaugurée le 13 mars 2019, elle est reliée à la ligne à grande vitesse Istanbul-Ankara et à 12 autres lignes de métro de la capitale économique turque. D’un coût de 1,4 milliard d’euros, la ligne Gebze-Halkali s’inscrit dans le cadre plus large de la « Route de la Soie de Fer ».
Lancée en mars 2018, la construction de la ligne à grande vitesse qui reliera Ankara à Sivas permettra, pour sa part, de faciliter la connexion de la Turquie au corridor Bakou-Tbilissi-Kars, qui représente une autre infrastructure pivot de l’initiative de Nouvelles Routes de la Soie portée par la Chine. D’une étendue de 1 213 km, le réseau ferroviaire turc est ainsi appelé à s’étendre dans de larges proportions.


Dans un tout autre secteur d’activités, le Centre financier d’Istanbul qui doit devenir opérationnel fin 2022 dans le district d’Atasehir, confortera également le rayonnement de la Turquie, qui s’est hissée au 2ème rang des pays d’Europe et d’Asie centrale au sein du classement international des centres financiers mondiaux de l’Indice britannique GFCI publié en mars 2019. Ce centre regroupera l’ensemble des agences et institutions financières, dont le siège de la Bourse d’Istanbul (BIST).

Un marché turc plus ouvert

Après la tenue des élections municipales de 2019, Ankara a résolument mis le cap sur la poursuite des réformes visant à renforcer la compétitivité et l’attractivité de l’économie turque. Avec raison, puisqu’en dépit du récent ralentissement de la croissance turque, les investissements étrangers directs en Turquie ont progressé de 21% en 2018, atteignant un volume de 13,2 milliards de dollars.
Un résultat à porter au crédit des mesures engagées dès 2018 comme l’augmentation des actifs du Fond de garanti du crédit (KGF) ou celle des aides de l’État aux nouveaux investissements industriels, à hauteur de 15%.
En 2019, des efforts de réformes supplémentaires ont encore été déployés pour améliorer le cadre des investissements qui porteront sur la simplification des procédures administratives.

© Présidence de la République de Turquie Le Président turc Recep Tayyip Erdogan et le Président azerbaïdjanais İlham Aliyev ouvrent la valve du gazoduc transanatolien (TANAP) le 12 juin 2018. Prolongé vers l’Italie par le gazoduc transadriatique, il permettra d’acheminer le gaz extrait en mer Caspienne vers les pays européens.

Au-delà d’un vaste programme d’investissements dans le développement des infrastructures, le marché turc voit émerger de nouvelles opportunités pour les entreprises étrangères. Une perspective d’autant plus prometteuse que des gisements gaziers ont récemment été découverts au large de l’île de Chypre.
À cet égard, la France est bien positionnée avec 450 entreprises actives dans le pays. Nombre d’entreprises de l’Hexagone jouent un rôle clé dans l’économie turque comme le constructeur automobile Renault et son partenaire turc Oyak, le groupe Sanofi, devenu le troisième groupe pharmaceutique du pays ou encore Engie dans la production d’électricité et les leaders français du BTP, Vinci et Freyssinet qui ont érigé le troisième pont du Bosphore, baptisé Yavuz Sultan Selim.
Avec 14,2 milliards d’euros d’échanges commerciaux, la Turquie était en 2017 le sixième marché de la France hors UE et Suisse. Un volume que le Président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré vouloir porter à 20 milliards d’euros. Un pari ambitieux mais qui pourrait bien se concrétiser prochainement. En témoigne le dynamisme des partenariats entre les deux pays, comme l’a illustré l’ouverture d’une nouvelle liaison aérienne entre Istanbul et Strasbourg le 31 mars 2019 et la commande de 25 appareils A350-900 auprès du constructeur aéronautique Airbus, qui doivent être livrés entre 2019 et 2024. CH/FP