Par M. Hans STARK
Secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes (CERFA) à l’Institut français des relations internationales (IFRI),
Professeur de civilisation allemande à la Sorbonne Université
Dès son arrivée à l’Élysée en 2017, Emmanuel Macron a accordé la priorité à un rapprochement avec l’Allemagne, en insistant sur la nécessité de
mettre le « moteur » franco-allemand au service de l’Union européenne (UE).
Il a confié des postes clés du gouvernement et de son administration à des responsables politiques et très hauts fonctionnaires germanophones qui ont une connaissance fine des équilibres politiques en Allemagne, afin d’éviter des malentendus. Du côté allemand, le gouvernement fédéral n’a pas caché son soulagement de voir arriver au pouvoir en France une équipe pro-européenne, alors que les forces politiques françaises d’extrême droite et d’extrême gauche, qui sont puissantes, prônent à des degrés divers une sortie de la France de la zone euro, sinon même de l’UE. Le spectre d’un « Frexit » semblait donc banni.
Et pourtant, en dépit de la recherche d’une entente rapide sur les grands dossiers européens, face à ces derniers, les deux pays étaient d’emblée en déphasage. Doté d’une majorité stable, le nouveau président français a pu engager dès l’automne 2017 des réformes économiques ambitieuses, permettant à la France de remplir les critères de Maastricht afin de pouvoir négocier à partir d’une position de force. L’Allemagne quant à elle, connaissant une situation très stable sur le plan économique grâce à un faible taux de chômage, un budget équilibré et une dette publique en net recul, entre fin septembre 2017 – et jusqu’en automne 2018 – dans une période politique difficile, marquée par une très longue phase de formation gouvernementale, la montée du parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), le déclin dans les sondages et aux élections régionales du Parti social-démocrate (SPD), des tensions entre l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne (CDU) et l’Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU) sur la politique migratoire, et la décision d’Angela Merkel de ne pas se représenter à la tête de la CDU en décembre 2018. Dans ces conditions, la politique intérieure allemande a clairement pris le dessus sur le programme de réformes de l’UE.
Dès lors, il n’était guère possible pour la Chancelière fédérale de s’engager fermement en répondant avec précision à tous les points soulevés par Emmanuel Macron dans ses discours sur l’Europe tenus notamment à la Sorbonne, à Aix-la-Chapelle ou bien au Bundestag, pour ne citer que les interventions les plus marquantes du Président de la République. Pourtant, on avance en franco-allemand. Un accord a été trouvé sur le renforcement du mécanisme européen de stabilité (MSE). Les discussions sur un budget de la zone euro progressent aussi et même une assurance-chômage européenne est évoquée de part et d’autre du Rhin. Mentionnons également le nouveau traité bilatéral que les deux pays vont présenter en 2019. De même, en matière de défense et de sécurité, même si tout reste à faire, les discussions sont passées d’une Initiative européenne d’intervention au projet d’une « vrai » armée européenne.
Mais il ne faut jamais oublier que le cadre franco-allemand ne constitue qu’un préalable et que tous les projets de compromis des deux pays ont besoin d’être approuvés par les partenaires européens. Enfin, les troubles auxquels Macron et Merkel sont confrontés à l’échelle nationale pèsent également sur la capacité d’action de la Chancellerie et de l’Élysée. En Allemagne, personne ne sait combien de temps le SPD restera au gouvernement, ni Angela Merkel à la Chancellerie, même si l’élection à la présidence de la CDU-CSU d’Annegret Kramp-Karrenbauer est un gage de continuité.
De même, et peut-être surtout, les revendications des « Gilets Jaunes » en France fragilisent l’exécutif et rétrécissent la marge de manœuvre budgétaire de l’exécutif français. Pourtant, la maîtrise des dépenses publiques en France est une condition sine qua non pour réformer la zone euro et développer l’Europe de la défense.