Par M. Armin LASCHET
Ministre-Président du Land de Rhénanie-Nord-Westphalie, Ministre Plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne chargé des relations culturelles franco-allemandes
L’éclat et la nécessité de l’idée de l’unification européenne ne sont plus courants depuis longtemps. Les mouvements populistes à travers l’Europe remettent en question ce qui nous a apporté la paix et la prospérité pendant des décennies. C’est un paradoxe : à l’heure où des défis tels que la mondialisation, la transformation numérique ou la pression migratoire mondiale exigent plus de coopération européenne que jamais auparavant, ce sont précisément ceux qui prêchent l’isolement et un nouveau nationalisme aux populations qui suscitent l’intérêt.
Nous avons besoin de plus d’Europe : dans la politique énergétique et climatique, dans les questions de migration, dans la coopération entre nos services secrets et dans la politique de sécurité et de défense – mais aussi et surtout dans les affaires, la science et la culture. Cela nécessite une nouvelle dynamique européenne. Mais un pays ne peut à lui seul déclencher une telle dynamique aujourd’hui. L’amitié franco-allemande peut et doit donc redevenir le moteur de l’Union européenne.
Peu de pays abordent les questions cruciales de l’intégration européenne avec autant de sérieux et de persévérance que la France. Dans son émouvant discours à l’occasion du centenaire de la fin de la « Grande Guerre », le Président Emmanuel Macron a une fois de plus clairement exprimé la volonté de la France de s’engager avec l’Allemagne sur la voie de l’avenir européen. Je suis convaincu de cette opportunité commune. Nous avons besoin d’une plus grande volonté créative européenne, y compris et surtout en Allemagne; avec la France, nous devons assumer une responsabilité de premier plan dans la construction de l’avenir de l’Europe. Je suis donc très reconnaissant de pouvoir travailler avec la France sur l’Europe unie du futur en tant que représentant culturel franco-allemand. Je voudrais fixer deux priorités à cet égard.

Premièrement, nous devons examiner de plus près la dimension culturelle européenne de l’intelligence artificielle (IA). L’IA est le sujet de l’avenir, parce qu’elle changera toute notre vie à un rythme que nous pouvons difficilement imaginer aujourd’hui – techniquement, économiquement et en termes de politique sociale nous avons besoin de plus d’Europe ici aussi. Non seulement parce que chaque État membre est trop petit pour être à la pointe de la technologie. L’Europe doit également travailler en étroite collaboration sur cette question, car nous devons définir et appliquer conjointement des normes éthiques pour l’utilisation et le traitement de l’IA.
L’évolution de la situation en Chine doit nous préoccuper au plus haut point. La transformation numérique et l’IA y sont utilisées pour créer un État totalitaire de surveillance qui ne laisse aucune liberté à ses citoyens, même dans l’environnement le plus privé. Mais le traitement des données et la formation de monopoles écrasants par les plateformes numériques des sociétés de l’internet dans nos économies occidentales exigent également un cadre réglementaire clair. La France et l’Allemagne devraient prendre l’initiative d’élaborer un tel cadre réglementaire. Une option envisageable serait la création d’une nouvelle union numérique du charbon et de l’acier traitant de l’IA et de la matière première de notre temps – les données. Une telle « union numérique de l’IA » pourrait aider l’Europe à montrer une troisième voie entre le contrôle autoritaire et la monopolisation commerciale de la numérisation.
Deuxièmement, nous devons renforcer considérablement les échanges franco-allemands de personnes sans formation universitaire. Dans une Europe unie, la politique de l’éducation ne doit pas seulement s’appliquer à l’intérieur des frontières nationales, mais elle doit aussi être orientée à l’international, au même titre que la recherche ou les entreprises. La mondialisation et la transformation numérique exigent des compétences telles que la pensée en réseau, l’interculturalisme et la gestion des conflits. Tout cela peut apporter avec lui une expérience étrangère.
En tant que Ministre-Président du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, la participation de toutes les classes sociales à l’éducation me tient particulièrement à cœur. Nous devons ouvrir des perspectives pour tous les peuples afin de leur permettre de participer à la vie économique, sociale et culturelle. Je voudrais donc étendre les échanges franco-allemands au-delà des formats académiques, par exemple en créant des écoles professionnelles communes. L’unification européenne ne doit pas seulement être un projet pour l’élite académique, mais doit profiter à tous les peuples. L’objectif devrait être un espace européen commun de l’éducation. J’aimerais remplir de vie les projets éducatifs contenus dans le nouveau contrat de l’Élysée – promouvoir le développement de la langue partenaire, rendre la mobilité possible pour tous, promouvoir la comparabilité des diplômes de fin de scolarité et développer davantage les projets de formation professionnelle.
En ces temps difficiles, il est particulièrement important pour l’Allemagne et la France de développer de nouvelles idées sur la manière dont nous pouvons franchir les prochaines étapes de l’intégration européenne. Robert Schuman, Jean Monnet et Konrad Adenauer, François Mitterrand et Helmut Kohl étaient prêts, malgré de nombreuses résistances, à avancer courageusement sur cette voie européenne. C’est le courage dont nous avons besoin aujourd’hui.