La Turquie dans l’UE : une décision stratégique basée sur des critères objectifs

Paru dans La Lettre Diplomatique n°126 2ème trimestre 2019

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© Union européenne Le Président turc Recep Tayyip Erdogan s’exprimant lors du sommet Union européenne-Turquie organisé à Varna, en Bulgarie, le 26 mars 2018.

Par S.E.M. Mehmet Kemal BOZAY
Ambassadeur, Représentant permanent de Turquie auprès de l’Union européenne

Malgré un arrêt de facto dans le processus de négociations, l’adhésion à l’Union européenne (UE) reste un objectif stratégique pour la Turquie. Encourager les initiatives turques en ce sens devient encore plus pertinent pour les interlocuteurs européens dans le contexte de l’évolution rapide du système global, ainsi que des défis et des opportunités qui en découlent.
Pour la Turquie, le processus d’accession lui-même est une source majeure de motivation pour la mise en œuvre des réformes et l’amélioration de ses standards dans tous les domaines. Les négociations pour l’accession constituent la colonne vertébrale de nos relations avec l’UE. Elles permettent un dialogue structuré et objectif, complétant l’architecture institutionnelle bien établie par l’accord d’association d’Ankara. Néanmoins, l’UE doit reconnaitre que ces négociations ont été prises en otage par les approches privilégiant le court-terme de certains de ses membres. L’UE doit mettre un terme à ses contradictions internes pour le plus grand bénéfice de tous.
La crise des migrations illégales a démontré combien la Turquie est importante pour la stabilité de notre continent. En accueillant plus de quatre millions de réfugiés et en retenant le flux de milliers d’autres passant par la Mer Égée, la Turquie a empêché une crise humanitaire majeure en Europe. De plus, les initiatives mutuelles adoptées pour surmonter le défi posé par ces migrations illégales montre à quel point la collaboration entre la Turquie et l’UE pourrait être efficace face à des défis communs.
Nul ne peut nier que le coup d’État manqué du 15 juillet 2016 a perturbé les discussions concernant notre processus d’adhésion et a compliqué nos relations internationales. La condamnation tardive et relativement faible par l’UE de cette tentative de coup a malheureusement engendré une crise de confiance entre la Turquie et l’UE. Notre pays s’est senti abandonné par l’UE, que la grande majorité des Turcs considéraient jusqu’alors comme une défenderesse de nos valeurs universelles communes.
Le traumatisme de la tentative de coup du 15 juillet est désormais derrière nous. La Turquie est prête à faire revivre l’esprit d’Helsinki de 1999, quand sa candidature d’adhésion à l’UE avait été confirmée. La Turquie a prouvé par le passé que lorsque les perspectives d’adhésion sont claires, elle sait engager les réformes globales dans ce but.
À cet égard, l’adoption du système de gouvernement présidentiel a permis des prises de décision plus rapides et de diminuer les pesanteurs bureaucratique, entraînant une accélération des réformes. Le « Plan d’action des 100 Jours » annoncé par le Président Recep Tayyip Erdogan inclut des mesures concernant le chapitre 23 sur les « Système
judiciaire et Droits fondamentaux » ainsi que le chapitre 24 sur la « Justice, Paix et Sécurité » des négociations d’adhésion.
Nous sommes sur le point de remplir les 72 normes requises pour permettre la libéralisation du régime des visas, ce qui permettrait aux citoyens turcs de voyager sans visa dans l’espace Schengen. Cette possibilité promouvra les contacts entre nos peuples, contribuera à la croissance économique et augmentera la coopération en matière de sécurité, de contreterrorisme et de gestion des migrations illégales.
L’adaptation de l’Union douanière, qui a généré plus de 2,3 trillions d’euros d’échanges commerciaux depuis sa mise en place, constitue un autre domaine qui sera mutuellement bénéfique.
Quand la Turquie deviendra un pays membre de l’UE, elle apportera sa contribution dans un grand nombre de domaines parmi lesquels la défense et la sécurité, la gestion des flux migratoires, le dynamisme économique, le soft power et la sécurité énergétique. En d’autres termes, l’adhésion de la Turquie stimulera les capacités de l’UE en tant qu’acteur global.
Notre pays deviendra un membre de l’UE lorsqu’elle remplira les critères d’adhésion bien évidemment, et nous sommes déterminés à y parvenir. L’adhésion de la Turquie à l’UE pourrait être le plus audacieux de tous les processus d’élargissement, passés et à venir. Mais il sera le plus bénéfique et le plus significatif dans l’évolution du système global.