La culture et les territoires au cœur de l’amitié franco-chinoise

Paru dans La Lettre Diplomatique n°127 3ème trimestre 2019

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© Thierry Fournier / Métropole de Lyon Devenue une institution culturelle en France, le Nouvel an chinois est de plus en plus célébré chaque année à travers de multiples événements, comme ci-dessus à Lyon.

Près de 2,3 millions de touristes chinois visitent chaque année la France et le nombre d’apprenants de chinois en France et de français en Chine, d’environ 100 000 chaque année de part et d’autre, est en hausse régulière. Si le potentiel d’accroissement de ces échanges est encore immense, ils illustrent bien le dynamisme des liens entre les sociétés chinoise et française. Bien que l’histoire commune des deux pays en reste la pierre angulaire, ces interactions sont aujourd’hui la source d’une inspiration mutuelle toujours en mouvement, à l’image des créations présentées lors du Festival Croisements.

« À cinquante ans, on assimile bien les volontés du Ciel ». Lors de sa première visite d’État en France, accomplie en 2014, le Président chinois XI Jinping avait emprunté cette maxime à Confucius pour célébrer les 50 ans des relations diplomatiques sino-françaises. Il avait alors souligné la fascination mutuelle qu’exerce sur leurs peuples respectifs les cultures chinoise et française, livrant les réflexions que lui ont inspirée « l’histoire de la Révolution française (…) sur les lois de l’évolution politique de la société humaine » ainsi que ses lectures des philosophes français sur « le rôle du progrès de la pensée pour celui de l’Humanité. »

« La vigueur de la coopération culturelle entre la Chine et la France se nourrit aujourd’hui de nombreux projets »

Le Président Emmanuel Macron avait, quant à lui, débuté le 8 janvier 2018 sa première visite d’État en Chine, à Xi’an, cité millénaire et point de départ de l’ancienne Route de la soie. « Depuis longtemps, la Nation française s’est contemplée au miroir de la Chine (…) », avait-il commencé son discours au palais de Daminggong, rappelant les influences culturelles qui ont tissé au fil des siècles le canevas d’une solide amitié franco-chinoise. Et d’évoquer l’empreinte laissée par la civilisation chinoise sur Victor Segalen (dont 2019 marque le 100èmeanniversaire de la disparition), Paul Claudel ou encore Saint-John Perse.

Entre la Chine et la France, une passion réciproque
Après l’avènement de la République Populaire de Chine, c’est un autre intellectuel français qui inaugurera la nouvelle ère ouverte par l’établissement des relations diplomatiques franco-chinoises en 1964. André Malraux est le premier ministre du gouvernement français à se rendre en visite officielle en Chine où il est reçu le 3 août 1966 par MAO Zedong. Devenu Ministre d’État en charge de la Culture du général de Gaulle, il avait la particularité d’avoir vécu à Guangzhou (Canton), expérience dont il s’inspirera pour écrire son roman La Condition Humaine, qui relate le parcours d’insurgés communistes durant l’insurrection de Shanghai de 1927.
Près d’un demi siècle plus tard, la culture et les échanges humains forment l’un des piliers du partenariat stratégique global franco-chinois. Un Dialogue de haut niveau sur ces sujets a été instauré en 2014. Signe de son importance, c’est le Conseiller d’État et Ministre des Affaires étrangères Wang Yi qui en coprésidera fin 2019 la 5ème session. Dès son arrivée, le nouvel Ambassadeur de Chine en France, S.E.M. LU Shaye, a pour sa part déclaré dans une interview le 19 août 2019 : « La Chine et la France, deux civilisations anciennes et uniques de l’Orient et de l’Occident, doivent s’apprécier et apprendre l’un de l’autre dans le domaine culturel ».
Mais loin de rester confinée à la célébration d’une histoire commune, la vigueur de la coopération culturelle entre la Chine et la France se nourrit aujourd’hui de nombreux projets. Dans la continuité de la visite officielle que doit accomplir en Chine le chef de l’État français les 5 et 6 novembre 2019, un Centre Pompidou ouvrira ainsi ses portes sur les rives du fleuve Huangpu, à Shanghai. Initié en 2017, ce projet lie pour cinq ans « Beaubourg » et le West Bund Group, la société de développement public du district de Xuhui. Fruit d’un travail en commun, la programmation sera adaptée au public chinois, permettant de diffuser les pièces de la deuxième collection d’art moderne au monde jusqu’à la « Perle d’Orient ».
À Xiamen, la 4ème édition du Jimei x Arles International Photo Festival qui se tiendra du 22 novembre 2019 au 2 janvier 2020 sera l’occasion de conforter la capacité de la France et de la Chine à mettre en place des coopérations pérennes. Lancé en 2015 par le photographe chinois RongRong et Sam Stourdzé, Directeur des Rencontres de la photographie d’Arles, ce festival est devenu en trois ans un rendez-vous incontournable de la photographie en Chine et a attiré plus de 160 000 visiteurs.
Auparavant, le Festival « Croisements » a cette année encore marqué les esprits. Né du succès des années croisées France-Chine de 2004-2005, il s’est affirmé comme une véritable vitrine de la créativité artistique française en Chine. Parrainée par l’actrice ZHAO Wei, l’artiste contemporain XU Bing et le producteur de musique co-fondateur d’Alibaba Music Group GAO Xiaosong, cette nouvelle édition a mobilisé du 26 avril au 6 juillet 2019 35 villes chinoises, soit six villes de plus qu’en 2018. Elle a donné à voir des expositions inédites, comme Picasso, naissance d’un génie au Centre d’art contemporain Ullens (UCCA) à Pékin. Présentant 103 oeuvres prêtées par le Musée Picasso, elle était la plus grande exposition dédiée à l’artiste en Chine. Le Festival Croisements a également mis à l’honneur des co-productions franco-chinoises, à l’image de l’opéra Don Giovanni de Mozart, mis en scène par Laurent Laffargue.
En France, le Centre culturel de Chine à Paris fait figure d’institution incontournable pour découvrir et mieux comprendre le savoir-faire artistique et intellectuel mais aussi l’artisanat et l’art de vivre chinois. Fondé le 29 novembre 2002, il est d’ailleurs le premier centre culturel établi par la Chine dans un pays occidental. Après la 2ème édition du Festival de gastronomie chinoise en France qui s’est tenu du 17 au 28 mai 2019, il a co-organisé du 3 au 27 juin 2019, la 9ème édition du Festival du cinéma chinois en France en partenariat avec le groupe Pathé. Pour la célébration du 70ème anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine, le Centre culturel de Chine à Paris a mis l’accent sur la diversité des cultures ethniques chinoises en invitant l’Ensemble artistique « Splendeurs de Chine » à se produire à Paris et à Strasbourg entre le 24 et le 27 septembre.
L’engouement que suscite la culture chinoise auprès du public français est également illustré par les multiples expositions organisées par les musées français mettant en lumière des artistes chinois comme ZAO Wouki, précurseur de la diffusion de l’art moderne chinois en France, dont les œuvres étaient présentées au Musée d’Art moderne de Paris du 1er juin 2018 au 6 janvier 2019. Ou encore le peintre YAN Peiming, célèbre pour ses réadaptations de tableaux de la renaissance. Son exposition L’Homme qui pleure a mar- qué la réouverture du Musée des Beaux-Arts de Dijon en mai dernier.

© JITU Studio / Institut français en Chine L’affiche du Festival Croisements 2019 réalisée par l’agence chinoise JITU Studio. Populaire et multidisciplinaire, ce festival unique en Chine a de nouveau rencontré pour sa 14ème édition un large succès.

Une relation tournée vers la jeunesse
Initié en 2016, le projet de Fondation de Chine prend forme à la Cité universitaire internationale de Paris (CIUP). Le geste est fort : elle sera la deuxième maison de pays à ouvrir depuis 50 ans. D’une surface de près de 2 800 m2, elle est l’œuvre conjointe de l’agence française Coldefy & associés architectes urbanistes et de l’agence chinoise Feichang Jianzhu (FCJZ). Sa conception architecturale veut fusionner le style haussmannien à celui du « tulou », habitation typique de la province du Fujian. 300 étudiants pourront y vivre et elle sera ouverte aux autres nationalités.
En chinois « He Yuan » ou « Jardin de l’harmonie », la Fondation de Chine concrétise la volonté sino-française d’encourager les échanges universitaires, alors que la France continue d’être la 8ème destination des étudiants chinois dans le monde et que la Chine voit les effectifs d’étudiants étrangers croître d’année en année (près de 500 000 en 2017). Pour cela, elle multiplie les initiatives en vue de renforcer l’attractivité de ses universités, en développant les formations en anglais, les transferts de crédits et les attributions de bourses d’études.
La mobilité étudiante devient un enjeu de plus en plus important dans la coopération entre la Chine et la France, comme en témoignent ces établissements supérieurs français qui franchissent le pas d’une coopération plus étroite avec la Chine. HEC Paris a ainsi signé des accords de partenariat avec deux des meilleures universités chinoises, SUSTech à Shenzhen et l’Université de Tsinghua à Pékin, dans le cadre de la visite officielle effectuée en juin 2018, par le Premier Ministre Édouard Philippe.
Depuis le Mouvement Travail-Études dans les années 1920, la formation de la jeunesse revêt une dimension majeure pour le développement des liens d’amitié entre les deux pays. À la suite de LI Shizheng, arrivé en France en 1902, quelque 4 000 étudiants chinois aux profils variés travaillent alors pour payer leur formation avant de retourner en Chine. Durant leur séjour dans l’Hexagone, certains adhèrent au Parti communiste et à l’Alliance révolutionnaire, mouvement clandestin créé par SUN Yatsen. Tous rêvent de reconstruire une Chine affaiblie par les « traités inégaux » et le déclin de l’empire Qing. Parmi les plus illustres de ces étudiants-travailleurs, on compte notamment les révolutionnaires ZHOU Enlai et DENG Xiaoping, mais aussi des scientifiques comme XU Beihong et QI Xinghai, sur le parcours desquels est revenu le documentaire « Le Mouvement Travail-Études : l’école des révolutionnaires chinois » co-produit par le groupe China Global Television Network (CGTN) et TV5monde, et diffusé en simultané sur les deux chaines le 25 mars 2019.

« La mobilité étudiante devient un enjeu de plus en plus important dans la coopération entre la Chine et la France »

Un échange de savoir-faire soutenu par les territoires
Le rapprochement entre les sociétés française et chinoise a également bénéficié du puissant levier de coopération qui lie les villes et collectivités locales des deux pays. Lyon et Guangzhou (Canton) en sont sans doute le meilleur exemple. Leurs relations remontent au 16ème siècle, époque à laquelle l’ancienne « capitale des Gaules » est devenue celle de la soie avec son monopole sur l’importation de matière brute. Un héritage qui a fructifié : c’est dans la ville rhodanienne qu’a été créé en 1921 le premier établissement chinois dédié à la formation universitaire hors du pays. Réouvert en 1980, l’Institut Franco-Chinois accueille aujourd’hui près de 700 boursiers chinois. Après avoir été rénové, il fait également office depuis 2014 de caisse de résonnance de la culture chinoise dans la région et en France. Lyon a par ailleurs construit des liens de partenariat étroits avec les villes chinoises de Guangzhou et de Chengdu.
Plus récemment, les initiatives lancées entre la région Île-de-France et la municipalité de Pékin soulignent le potentiel de coopération face aux défis actuels de développement urbain. À l’occasion du 30ème anniversaire de l’accord de coopération entre les deux territoires, un nouveau programme d’actions conjointes à l’horizon 2023 a été signé le 12 juin 2018, prévoyant la création d’un laboratoire de recherche baptisé « Villes du Futur ». Celui-ci est appelé à se développer dans le cadre du programme franco-chinois « Centrale Pékin » établi entre l’École Centrale Supelec et l’Université Beihang dans la capitale chinoise.
Lors de son déplacement en Chine, la Présidente de la région Île-de-France, Mme Valérie Pécresse, a également signé le 14 juin 2018 un accord d’une durée de dix ans avec la province du Zhejiang, visant notamment à « rapprocher leurs populations et leurs entreprises ». À cette occasion, l’Université Paris-Saclay et l’Université du Zhejiang ont également conclu un accord-cadre de coopération visant à mettre en œuvre des doubles diplômes et à mener des activités de recherche coordonnées.
Près de quinze ans après les premières Assises de la coopération décentralisée franco-chinoise qui s’étaient tenues à Wuhan en 2005, ce moteur des relations sino-françaises a encore accru son impact : comme l’a soulignée, le 12 décembre 2018 à Toulouse, S.E.Mme Christine Moro, Ambassadeur, Déléguée à l’action extérieure des collectivités territoriales, on dénombre désormais 58 collectivités françaises et 47 collectivités chinoises engagées à travers 130 partenariats. Devant quelque 300 personnalités chinoises et françaises, elle inaugurait alors les 6ème Assises de la coopération décentralisée entre la France et la Chine, durant lesquelles de nouveaux accords ont été établis notamment entre les villes d’Autun et de Chengdu, mais aussi entre la Cité de l’espace qui siège à Toulouse et la Sichuan Startime Network. Lise Maillard-Salin