
Par M. Jean-Jacques BRIDEY
Député du Val-de-Marne, Président de la Commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée nationale
Sous la Vème République, la limitation constitutionnelle du nombre de commissions permanentes a conduit les deux assemblées parlementaires à effectuer des choix s’agissant de leurs périmètres de compétence. Si le Sénat a historiquement opté pour la fusion au sein d’une même commission des compétences concernant la Défense et les Affaires étrangères, tel n’a pas été le choix de l’Assemblée nationale. L’importance de la Défense pour un État comme la France, aux responsabilités et ambitions mondiales, a conduit à maintenir, parfois contre des vents contraires, une commission spécialisée dans les affaires de Défense et œuvrant en faveur du lien avec les forces armées. Force est de constater qu’avec la professionnalisation des armées puis la fin des illusions liées aux « dividendes de la paix », ce choix n’était sans doute pas infondé.
Selon le règlement de l’Assemblée nationale, la Commission de la défense nationale et des forces armées est donc compétente pour les principaux domaines suivants : organisation générale de la défense ; lien entre l’armée et la Nation ; politique de coopération et d’assistance militaire ; questions stratégiques ; industries de défense ; personnels civils et militaires ; justice militaire ; anciens combattants. Comme on le verra plus loin, par-delà cet inventaire, on peut dire que les centres d’intérêt principaux de la commission s’organisent autour de trois grands thèmes : les opérations et les capacités militaires, prises au sens large ; la condition des militaires ; la base industrielle et technologique de défense. Naturellement, ces trois pôles s’interpénètrent et se nourrissent entre eux, l’essentiel étant de maintenir un équilibre garantissant l’efficacité de notre modèle de défense et l’autonomie stratégique.
Le rôle de la commission n’est certes pas principalement législatif, les textes en matière de défense n’étant pas les plus fréquents. Cependant, l’activité législative de la commission a été dans l’ensemble soutenue lors de la précédente législature, avec l’examen du projet de loi de programmation militaire en 2013, puis du projet de loi actualisant cette dernière en 2015, mais aussi avec la saisine pour avis sur le projet de loi relatif au renseignement, puis avec l’examen de la proposition de loi relative aux mesures de surveillance internationale.
Dans le même esprit, en septembre 2017, la commission s’est saisie pour avis d’une partie du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, en s’intéressant aux fichiers PNR (données des dossiers passagers) et PNR maritime, ainsi qu’au devenir de l’« exception hertzienne ». Au cours du premier semestre 2018, l’essentiel de l’activité de la commission a été consacré à l’examen du projet de loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Cet examen a donné lieu à un programme particulièrement copieux de 25 auditions préparatoires en commission, concentrées sur quatre semaines.
Les projets de LPM dépassent le simple exercice de programmation qu’ils constituaient jusqu’aux années 2000 et sont devenus ce qu’il est désormais convenu d’appeler des « vecteurs législatifs », comportant également de très nombreuses dispositions intéressant la condition militaire, le renseignement, la cyberdéfense et plus largement la sécurité globale.
De fait, l’on voit au travers de ces évolutions que le poids du continuum entre sécurité extérieure et intérieure a une influence sur le champ des préoccupations de la commission. Cela pourrait d’ailleurs légitimement conduire, dans le cadre d’une réflexion sur le périmètre de compétence des différentes commissions, à envisager une extension de celle de la défense davantage vers ce qui concerne la sécurité intérieure que vers les Affaires étrangères.
Toujours en matière législative, il ne faut pas perdre de vue que l’un des moments importants pour la commission est constitué chaque année par l’examen pour avis du projet de loi de finances, qui donne lieu à sept rapports (armée de terre, de l’air, marine nationale, crédits d’investissement, soutiens, environnement et prospective de la politique de défense, gendarmerie). Les rapporteurs pour avis développent au fil du temps une expertise certaine, qui contribue pleinement au souci partagé de contrôler étroitement l’exécution de la programmation militaire.
La commission s’attachera bien entendu à en vérifier très exactement le respect. Elle dispose pour cela de ses outils de travail habituels que constituent les missions d’information, mais aussi de la reconduction du dispositif de contrôle sur pièce et sur place, garant d’un accès très complet à l’information. En outre, l’article 10 de la LPM 2019-2025 a approfondi très significativement le contenu des rapports semestriels devant être remis par le gouvernement au Parlement sur l’exécution de la programmation, afin de suivre les opérations d’armement les plus déterminantes.
Le rôle de la Commission s’exprime aussi et surtout au travers de rapports d’information et en maintenant un contact constant avec l’ensemble des acteurs de la défense, tant par le biais d’auditions que de déplacements sur le terrain en France comme sur les théâtres d’opérations. En 2018, la Commission a autorisé la publication de cinq rapports d’information sur les sujets suivants : l’exécution des crédits de la défense au cours de la LPM 2014-2019 ; le service national universel ; les enjeux de la numérisation des armées ; la cyberdéfense ; la prochaine génération de missiles antinavires. Ce dernier rapport a été réalisé dans le cadre très original d’une mission conjointe avec la Commission de la défense de la Chambre des communes britannique, le rapport étant publié dans les deux langues. Ce type de mission commune entre deux parlements nationaux est une première à l’Assemblée, et cela témoigne amplement du caractère très étroit de notre relation de défense avec les Britanniques, malgré le Brexit.
Début 2019 ont été publiés un rapport sur le secteur spatial de défense et un rapport sur l’évaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des armées. Quatre autres missions d’information poursuivent actuellement leurs travaux, sur la prise en charge des blessés, sur le continuum sécurité-développement, sur la politique immobilière du ministère des Armées – avec une attention toute particulière portée au logement des militaires, et, enfin, sur l’action aérospatiale de l’État. On le voit, la palette des sujets retenus correspond bien aux trois grandes thématiques précitées toujours au coeur des préoccupations de la Commission.
On relèvera que le travail ainsi effectué dépasse les clivages partisans,
avec l’usage ancien de désigner un rapporteur de la majorité et un de
l’opposition, l’ensemble des groupes politiques étant, en outre, représenté
par la nomination de membres. Ce travail commun a pour vertu qu’il est très rare
que les rapporteurs ne parviennent pas à des conclusions communes. De
manière plus générale, on peut aussi souligner que les débats au sein de la
Commission, s’ils peuvent être marqués par des désaccords légitimes, évitent
heureusement le travers des postures politiques outrancières.
Il n’est à cet égard pas inutile de souligner un particularisme marqué s’agissant des modalités de publicité des travaux de la Commission. À la suite de la dernière réforme du règlement de l’Assemblée nationale, qui augmentait très significativement la publicité audiovisuelle des travaux des commissions, un sort particulier a été maintenu pour les commissions des Affaires étrangères et de la Défense. En vertu de quoi le bureau de la Commission de cette dernière a pu décider en 2014, et confirmer en 2017, que les auditions des responsables du Ministère de la Défense (Ministre, Chefs d’état-major, Directeurs d’administration centrale, etc.) continueraient à faire seulement l’objet d’un compte rendu écrit, ce qui permet de continuer à avoir des échanges francs et directs.
Pour autant, une ouverture accrue par rapport à la XIIIème législature a été décidée, puisque toutes les autres auditions sont désormais ouvertes à la presse, avec diffusion en direct sur le site de l’Assemblée. À ce titre sont notamment retransmises les auditions des industriels ou des différents experts.
Enfin, même s’il ne s’agit pas forcément de la partie la plus visible des activités, il ne faut pas oublier que la Commission se préoccupe de tisser des liens étroits avec ses homologues européens. Outre des rencontres aussi fréquentes que possible au cours des divers déplacements organisés à l’étranger ou à l’occasion de la venue de parlementaires en France, des dialogues bilatéraux plus structurés ont été engagés dans le cadre de groupes de travail se réunissant régulièrement, avec les Allemands et les Britanniques. Associant dans la mesure du possible les chambres hautes et basses, ils permettent de mieux se connaître, d’échanger et de faire avancer une perception commune de la défense.
Normalement, ces réunions ont lieu sur une base semestrielle. Les dernières réunions de suivi parlementaire des accords de Lancaster House a ainsi eu lieu à Londres en novembre 2018 et la suivante s’est déroulée à Paris en juin 2019, durant la semaine du salon du Bourget. Avec les partenaires Allemands, la dernière réunion a eu lieu au Sénat en octobre 2018 et la prochaine devrait intervenir début juillet 2019, avec de manière emblématique une visite commune de l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis.
L’ensemble de ces rencontres et échanges, très riche, a naturellement pour objet de conforter des partenariats bilatéraux indispensables, mais aussi d’œuvrer à plus long terme en faveur d’un rapprochement des cultures stratégiques et de la perception des menaces, conditions indispensables au développement d’une défense de l’Europe mieux assurée collectivement.