
Entretien avec S.E.M. Henok Teferra SHAWL
Ambassadeur d’Éthiopie
Un peu plus d’un an après sa nomination comme Premier Ministre de l’Éthiopie, Dr. Abiy Ahmed s’est vu décerner le Prix Nobel de la Paix. Une reconnaissance et un encouragement attribués à quelques mois des prochaines élections générales qui doivent se tenir en mai 2020. S.E.M. Henok Teferra Shawl, Ambassadeur d’Éthiopie en France, revient pour nous sur la dynamique d’ouverture de l’Éthiopie et nous explique les opportunités qu’elle ouvre pour amplifier son rôle comme l’un des pôles politiques et économiques majeurs du continent africain.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, le Premier Ministre Abiy Ahmed s’est vu décerner le 11 octobre 2019 le Prix Nobel de la Paix. Quel sentiment vous inspire cette distinction ?
S.E.M. Henok Teferra SHAWL : Je vous remercie tout d’abord d’être venu jusqu’à notre ambassade. J’éprouve bien entendu une grande fierté car le Dr Abiy Ahmed est le premier Éthiopien à recevoir le prix le plus prestigieux de la scène internationale. Pour notre pays, c’est un très grand honneur.
Ce Prix Nobel représente une récompense très juste pour les efforts inlassables qu’il a menés en faveur de la paix dans la sous-région, mais, je pense aussi, pour son engagement en faveur de la paix et du renforcement de la démocratie en Éthiopie. De ce point de vue, cette distinction constitue un encouragement à poursuivre sur la voie tracée par le Premier Ministre.
Au sommaire du Dossier spécial Éthiopie
L.L.D. : Au début de votre carrière diplomatique, vous avez vous-même participé à des travaux de commissions ad hoc de la Cour de Justice internationale de La Haye sur les contentieux frontaliers entre votre pays et l’Érythrée. Fort de cette expérience, quelle analyse faites-vous du chemin parcouru pour parvenir à l’accord de paix du 16 septembre 2018 ? Peut-on, selon vous, qualifier cet aboutissement d’accélération de l’histoire » ?
S.E.M.H.T.S. : Cet accord de paix a, en effet, été conclu dans un délai très court. En seulement quelques mois, nous sommes sortis d’une impasse qui a duré plus de vingt ans et nous avons tourné la page d’un conflit qui a entrainé des centaines de milliers de morts. Je crois qu’il ne serait pas intervenu sans l’arrivée au pouvoir du Premier Ministre Abiy Ahmed. Sa détermination à mettre en œuvre ce processus de paix de manière sérieuse s’est avérée décisive.
Pour y parvenir, il a su faire preuve de beaucoup de courage et d’innovation dans son approche de la résolution des différends entre les deux pays. Sa vision a permis de mettre de côté les « petits problèmes » pour voir « grand », en ce sens que l’enjeu fondamental de la paix est la prospérité de nos peuples.
L.L.D. : Pouvez-vous nous décrire comment se concrétise la normalisation des relations entre l’Éthiopie et l’Érythrée ?
S.E.M.H.T.S. : Depuis la signature de l’accord sur le rétablissement des relations bilatérales du 9 juillet 2018, un dialogue de confiance a tout d’abord été restauré entre les deux pays avec la réouverture de nos ambassades respectives. Après vingt ans d’interruption, les liaisons aériennes entre les deux pays ont été rétablies dès le 18 juillet 2018. Depuis lors, deux à trois vols par jour connectent Addis-Abeba et Asmara. Plus important encore, des familles ont pu se revoir et des rencontres entre nos peuples ont pu avoir lieu de part et d’autre de la frontière.
Des bases sont désormais en train d’être jetées pour conclure les accords qui permettront d’asseoir notre coopération économique. Des infrastructures sont ainsi en cours de construction. À cet égard, je tiens à souligner le soutien apporté par l’Union européenne (UE) pour la reconstruction des liaisons routières entre la frontière éthiopienne et les ports érythréens. Ces prémices nous permettent aujourd’hui d’entrevoir un avenir d’espoir, ce qui devrait tous nous réjouir.
Il convient de bien comprendre que nous privilégions désormais une approche globale pour la résolution des contentieux qui restent en suspens. L’instauration de la paix a complètement modifié la manière de les aborder. De ce point de vue, je voudrais à nouveau attirer votre attention sur le soutien positif qu’apporte à ce processus l’attribution du Prix Nobel au Premier Ministre Abiy Ahmed. Je salue la sagesse de cette initiative.
L.L.D. : Dès le début de son mandat, le Premier Ministre éthiopien a pris des mesures pour favoriser la réconciliation nationale et le renforcement de l’État de droit. Quelles en sont, selon vous, les retombées les plus significatives ?
S.E.M.H.T.S. : L’Éthiopie est un très vieil État, plus ancien que celui de la France, et qui, comme elle, a connu une succession de régimes politiques. Elle est passée d’un système que l’on peut qualifier de féodal, avant de devenir une monarchie absolue qui a ensuite laissé la place à une dictature communiste affirmée, puis à un État autoritaire. Malheureusement, elle n’avait jamais connu la démocratie jusqu’à l’arrivée au pouvoir du Premier Ministre Abiy Ahmed
Les premières mesures marquantes de son mandat témoignent de la prise de conscience de la nécessité de changer le mode de gouvernance de l’Éthiopie et de l’adapter aux exigences qui prévalent au 21ème siècle. Elles ont consisté à réviser des lois considérées comme restrictives pour l’exercice du droit démocratique : des réformes ont été promulguées pour garantir l’indépendance de l’appareil judiciaire, tous les journalistes emprisonnés ont été libérés tandis que des mesures ont été adoptées en faveur de la liberté de la presse. Des initiatives sans précédent ont également été prises pour libéraliser l’espace politique : les prisonniers politiques ont été libérés et les opposants en exil, y compris ceux qui étaient dans la lutte armée, ont été incités à revenir.
Par ailleurs, les nominations aux plus hautes fonctions de l’État ont été dictées par des critères d’intégrité, avec le souci de favoriser la parité et sans préjugés partisans comme en témoigne la nomination de Mme Birtukan Midekssa, une figure de l’opposition, à la tête de la Commission électorale nationale éthiopienne (NEBE).
Tous ces changements ont permis de réaliser des progrès immenses en faveur du renforcement de la cohésion nationale. Ils ont réellement transformé les rapports entre les citoyens et l’État éthiopien, et entre les citoyens eux-mêmes. C’est dire le profond bouleversement que vit l’Éthiopie et ce depuis seulement un peu plus d’une année.
« Le processus qui a été amorcé en Éthiopie me semble irréversible »
L.L.D. : Quel regard portez-vous sur les défis de ce processus d’ouverture démocratique et de libéralisation ?
S.E.M.H.T.S. : Dans le cadre d’un processus de transformation aussi profond tel que nous le vivons en Éthiopie, il n’est pas surprenant de rencontrer certaines résistances. Toujours est-il qu’il existe une volonté forte de la part de notre État, de notre gouvernement et de la grande majorité du peuple éthiopien pour avancer sur la voie de la démocratie. Petit à petit la culture démocratique prend racine. Le processus qui a été amorcé en Éthiopie me semble irréversible.

L.L.D. : Dans quelle mesure une réforme du modèle fédéraliste éthiopien vous semble-t-elle envisageable ?
S.E.M.H.T.S. : Ce genre de questions sont, certes, fondamentales et méritent réflexion. Mais elles doivent être tranchées par le peuple éthiopien dans un cadre démocratique. Comme l’a rappelée la Présidente de l’Éthiopie, Mme Sahle-Work Zewde, dans son discours d’ouverture de la session annuelle du Parlement, des élections générales doivent se tenir en 2020. Elles seront l’occasion d’engager un vaste débat sur les projets et les réformes qu’il convient de mettre en oeuvre en vue de l’évolution future de notre République.
L.L.D. : Acteur pivot de la stabilité régionale, l’Éthiopie a soutenu la transition démocratique du Soudan. Comment percevez-vous les avancées de ce processus ?
S.E.M.H.T.S. : Non seulement, notre pays a soutenu le processus de transition au Soudan, mais le Premier Ministre Abiy Ahmed s’est rendu à Khartoum le 17 août 2019 pour assister à la signature de la « déclaration constitutionnelle ». Il s’est pleinement investi dans ce processus, auquel a également pris part l’Union européenne. Je peux même affirmer qu’il l’a mené à bras-le-corps, personnellement, dans le but d’aider le Soudan à se réconcilier.
Cet accord a permis au Soudan de trouver un compromis politique qui a stabilisé le pays, ouvrant de nouvelles perspectives pour sa jeunesse, la démocratisation de ses institutions et son développement économique futur. Nous sommes très heureux de la nomination du Premier Ministre Abdallah Hamdok le 21 août 2019. Nous sommes confiants à l’égard de l’aboutissement de la transition politique qui a été engagée et sur ses retombées sur l’ensemble de la région et, en particulier pour l’Éthiopie. Le Soudan est un pays frontalier important et nous sommes tout à fait disposés à continuer à aider les différentes parties soudanaises à poursuivre leurs efforts.
L.L.D. : Un an après la signature de l’accord de paix signé le 13 septembre 2018 à Addis-Abeba, la transition au Sud-Soudan peine, en revanche, à se concrétiser. Comment votre pays envisage de poursuivre sa médiation ? Plus largement, comment l’Autorité intergouvernementale pour le Développement (IGAD) peut-elle, selon vous, favoriser l’amplification de la dynamique de stabilisation qui semble se faire jour dans la région ?
S.E.M.H.T.S. : Nous aspirons bien évidemment à promouvoir la paix dans l’ensemble de la sous-région. Nous sommes donc disponibles à œuvrer en ce sens et à apporter notre contribution à travers toute initiative qui serait jugée utile par les différentes parties. Notre vœu est de favoriser l’aboutissement d’un compromis politique durable au Sud-Soudan.
D’un point de vue plus global, je suis convaincu que la paix que nous avons scellée avec l’Érythrée a envoyé un signal fort. Beaucoup de progrès ont été accomplis au Sud-Soudan, mais ils doivent maintenant se concrétiser pour que la Corne de l’Afrique puisse poursuivre sereinement son processus d’intégration.
Je souhaite également souligner que notre contribution à la stabilisation passe par l’IGAD qui est l’organisation sous-régionale de référence et dont l’Éthiopie assume la présidence. Elle représente de fait l’outil le plus pertinent pour favoriser la concertation dans la région, mais aussi pour mettre en œuvre des projets de développement. Il n’y a aucun doute sur le fait qu’elle joue aujourd’hui pleinement son rôle, tant au plan de l’intégration économique qu’au plan du renforcement de la sécurité, en coordination avec l’Union Africaine, qui constitue la mère commune de toutes les organisations sous-régionales africaines.

L.L.D. : La dynamique impulsée par l’Éthiopie en faveur de la stabilité et de la paix a ouvert de nouvelles opportunités pour le renforcement de la coopération économique dans la Corne de l’Afrique. Comment les décririez-vous ? Plus spécifiquement, quelles en seraient les retombées pour l’économie éthiopienne ?
S.E.M.H.T.S. : La paix conclue entre l’Éthiopie et l’Érythrée marque sans aucun doute une avancée très importante pour favoriser la mise en œuvre de l’intégration de l’ensemble des économies de la sous-région. In fine, c’est vers cet objectif que sont tournés tous nos efforts, car la prospérité de nos peuples ne sera possible que si ce processus se réalise.
Pour ce qui est de l’Éthiopie, l’accès aux ports érythréens que nous avons évoqué représente l’un des aspects des retombées positives de la paix au plan économique. Mais d’autres voies d’accès sont également envisagées. Nous privilégions de ce point de vue une stratégie diversifiée. Notre objectif, à terme, est de permettre aux différentes régions de l’Éthiopie d’utiliser les infrastructures portuaires de la sous-région les plus adéquates et les plus rentables en terme de proximité.
Comme vous le savez, l’Éthiopie occupe une place importante dans la Corne de l’Afrique de par son positionnement géographique central, de par son poids démographique avec une population de plus de 100 millions d’habitants et de par, aussi, sa vitalité économique. La croissance du PIB éthiopien atteint pratiquement 10% en moyenne par an depuis une quinzaine d’années. Cette performance est le fruit d’investissements considérables visant à renforcer le « bien-vivre » de la population éthiopienne. Ces efforts ont renforcé nos capacités dans les domaines des infrastructures routières, énergétiques, ferroviaires, électriques, d’approvisionnement en eau et d’assainissement, mais également dans les domaines sociaux, de la santé ou encore de l’éducation.
En l’espace de vingt ans, le PIB de l’Éthiopie est ainsi passé de 10 milliards de dollars à plus de 100 milliards de dollars aujourd’hui. Ce qui signifie que nos besoins sont devenus considérables, y compris en termes de services portuaires. Les pays de notre voisinage disposant d’une ouverture maritime seront donc tout autant bénéficiaires de l’essor futur de nos échanges économiques. Avec son rythme de croissance actuelle, l’économie éthiopienne atteindra la taille d’une économie européenne d’ici une vingtaine d’années. Cette trajectoire aura des retombées sur l’ensemble de la région.
L.L.D. : Au plan économique, l’Éthiopie a lancé un processus de « libéralisation ». Quelles sont vos attentes à l’égard de la privatisation partielle de certaines entreprises publiques ? Plus précisément, quel calendrier est-il prévu pour l’ouverture du capital de la compagnie nationale de télécommunications, Ethio Telecom ?
S.E.M.H.T.S. : Comme je l’ai déjà souligné, l’Éthiopie a connu une très forte croissance au cours des quinze dernières années. Elle était principalement liée à des investissements massifs dans la mise en place d’infrastructures stratégiques pour notre développement. Même s’il faut poursuivre cet effort, nous bénéficions maintenant d’un socle économique solide. Pour autant, le secteur privé doit désormais pouvoir prendre le relais pour que ces infrastructures deviennent aujourd’hui rentables pour le peuple éthiopien et qu’elles deviennent pleinement le moteur de notre économie.
C’est dans ce contexte que notre gouvernement a lancé des réformes pour ouvrir davantage notre économie aux entreprises privées, pour qu’elles prennent toute leur place dans notre processus d’ouverture. De grandes entreprises publiques éthiopiennes sont ainsi appelées à voir leur capital s’ouvrir. Il est important pour nous qu’elles puissent compter sur des partenaires internationaux de référence afin de développer leur potentiel, d’accélérer leur modernisation et d’acquérir les meilleurs standards internationaux.
Le programme annoncé par notre gouvernement porte sur la privatisation totale pour certaines d’entre elles et partielle pour d’autres. Il est engagé sur la base d’un processus très étudié et transparent, encadré par un conseil supérieur qui le supervise et par une équipe technique. Des appels d’offres internationaux seront mis en œuvre à terme pour permettre leur aboutissement.
Vous mentionnez la compagnie nationale Ethio Telecom à juste raison car c’est la première entreprise dont la privatisation a été lancée. Il s’agit d’un fleuron de notre économie qui, comme vous le savez, est très dynamique dans le domaine des technologies de l’information et des communications. Le processus la concernant doit en principe intervenir au cours de l’année fiscale en cours qui s’achèvera fin juin 2020, comme cela a été annoncé au Parlement éthiopien. D’autres entreprises publiques suivront par la suite.
L.L.D. : Dans ce contexte d’ouverture de l’économie éthiopienne, quelles nouvelles mesures sont prévues pour favoriser son accès aux investisseurs étrangers ? Comment la création de multiples parcs industriels participe-t-elle au renforcement de l’attractivité de votre pays ?
S.E.M.H.T.S. : Des réformes majeures ont été mises en œuvre pour favoriser cette ouverture. D’une part, par la privatisation d’un certain nombre d’entreprises publiques comme je viens de vous l’expliquer. À ce propos, nous constatons d’ores et déjà un fort intérêt d’entreprises étrangères et notamment françaises. D’autre part, des réformes ont été adoptées pour améliorer le climat des affaires sous l’impulsion du Premier Ministre lui-même. L’idée est de créer un environnement propice pour faciliter l’investissement en Éthiopie et pour permettre aux entreprises étrangères qui y sont déjà actives, de pouvoir se développer.
Des parcs industriels ont, en effet, été créés à travers le pays. Certains comptent déjà de nombreux opérateurs. Nous invitons les investisseurs potentiels à s’y intéresser, car ils représentent un des dispositifs clé du développement de la manufacture éthiopienne et de l’industrialisation de notre économie. Ce processus constitue une étape capitale vers son émergence à venir.
L.L.D. : Comment accueillez-vous les récents investissements réalisés par des entreprises étrangères, en particulier françaises, dans le secteur de la transformation agro-alimentaire ou de la construction automobile ?
S.E.M.H.T.S. : Ces investissements sont, en effet, le signe de l’intérêt économique que suscite notre pays. J’en veux pour preuve, par exemple, la visite à Addis-Abeba, en septembre 2019, d’une délégation de représentants de 25 entreprises françaises sous l’égide du club Demeter qui regroupe d’importantes entités du secteur agroalimentaire. Celui-ci figure d’ailleurs en tête des secteurs prioritaires définis par notre gouvernement. Ils ont pu rencontrer de nombreux responsables éthiopiens au plus haut niveau, dont la Présidente Sahle-Work Zewde, et constater les opportunités qu’offre le marché éthiopien. Outre son envergure démographique, l’Éthiopie possède un véritable potentiel agroalimentaire, notamment en matière de terres arables. Nous sommes tout à fait disposer à accompagner ces investisseurs potentiels dans la réalisation de leurs projets.
Notre pays dispose également d’une industrie textile très dynamique. Certaines entreprises françaises sont d’ailleurs déjà présentes au sein de nos parcs industriels. Mais il existe bien d’autres secteurs d’activités propices à l’approfondissement de notre coopération économique avec la France, comme celui de la pharmaceutique ou celui du tourisme pour l’essor duquel notre gouvernement consacre de vastes efforts. Après d’importants travaux de rénovation, le Palais national a réouvert le 10 octobre 2019. Rebaptisé « Parc de l’Unité », il accueille désormais un musée, un espace culturel, un zoo et un complexe d’attractions. Notre capitale, Addis-Abeba, est elle-même en pleine transformation. L’objectif du « Beautifying Sheger Project » est d’en faire une ville plus écologique, avec l’aménagement d’espaces verts tout le long de ses deux principales rivières et dont la première partie devrait être achevée en mai 2020. De plus, un vaste projet hôtelier a récemment été lancé.
D’autres projets sont également mis en œuvre dans d’autres régions du pays. Nous mettons à cet égard l’accent sur l’éco-tourisme et sur la valorisation de notre patrimoine culturel et notamment religieux. Je pense, par exemple, à la ville de Harar qui est un site majeur du rayonnement de l’islam en Afrique de l’Est ou encore aux églises de Lalibela à la rénovation desquelles la France s’est engagée ; un appui pour lequel je tiens à renouveler toute notre reconnaissance. Nous aspirons à faire du tourisme un secteur phare de l’économie éthiopienne.

L.L.D. : Lors de la visite d’État qu’il a accomplie en Éthiopie les 12 et 13 mars 2019, le Président français Emmanuel Macron a réaffirmé avec le Premier Ministre éthiopien Abiy Ahmed la volonté des deux pays d’instaurer un partenariat privilégié. Quels en seraient, selon vous, les contours ?
S.E.M.H.T.S. : Nous pouvons affirmer que les relations entre l’Éthiopie et la France ont atteint un niveau exceptionnel. Comme je l’ai déjà évoqué, la coopération entre nos deux pays a franchi un nouveau cap dans le domaine économique. Si pour l’heure, les échanges bilatéraux demeurent modestes, je suis convaincu qu’ils vont s’intensifier. Notre dialogue s’est d’ailleurs renforcé sur ce plan comme l’ont illustrées la visite officielle du Ministre français de l’Économie et des Finances, M. Bruno Le Maire, en Éthiopie le 22 juillet 2019 et celle, plus récemment, du Vice-Premier Ministre éthiopien, M. Demeke Mekonnen, en France, le 21 octobre. À cette occasion, il a d’ailleurs participé avec M. Abebe Abebayehu, Commissaire de l’Ethiopian Investment Commission (EIC) à la réunion du Conseil d’entreprise France-Afrique de l’Est de Medef International.
Nous souhaitons que les entreprises françaises viennent s’établir en plus grand nombre sur le marché éthiopien. Mais, c’est aussi à elles de faire davantage l’effort de regarder de ce côté de l’Afrique. Aujourd’hui, la France est le quatrième investisseur européen en Éthiopie. Sa balance commerciale est largement bénéficiaire avec notre pays en raison de nos acquisitions d’avions Airbus. Cet excédent, qui s’élève à environ 700 millions d’euros, est d’ailleurs le plus important excédent commercial de la France en Afrique subsaharienne ; ce qui représente pour elle de nombreux emplois. Nous souhaitons à cet égard rééquilibrer nos échanges commerciaux, ce qui peut se réaliser à travers l’implantation d’entreprises françaises en Éthiopie qui pourraient réexporter leur production vers la France.
Au-delà des enjeux économiques, il existe une volonté de part et d’autre d’entretenir des liens de partenariat stratégique à plusieurs niveaux. Tout d’abord en matière de concertation sur les grands enjeux internationaux. Nous partageons une vision commune en ce qui concerne la lutte contre le changement climatique. Aussi, nous travaillons en étroite collaboration pour la mise en oeuvre effective de l’accord de Paris sur le climat de 2015. Nous entretenons également une coopération très forte en matière de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme.
Le Premier Ministre Abiy Ahmed a développé avec le Président Emmanuel Macron un dialogue étroit sur les questions de défense qui se concrétise à travers l’instauration d’une coopération dans le domaine militaire. La France nous aide ainsi à mettre en place notre marine militaire et à moderniser nos armées. Quand on observe ces différents aspects d’une manière globale, on peut en déduire que les relations franco-éthiopiennes ont atteint un niveau stratégique. Cette progression traduit notre volonté commune d’avancer dans la même direction et de faire face, ensemble, aux défis d’un monde en profonde mutation. Pays hôte du siège de l’Union Africaine, notre pays est résolument partisan du multilatéralisme. Nous partageons pleinement cette conviction avec la France.

L.L.D. : Vous assumez également les fonctions d’Ambassadeur, Délégué permanent de l’Éthiopie auprès de l’UNESCO. Quelles sont les priorités de la coopération entre votre pays et cette enceinte des Nations unies ?
S.E.M.H.T.S. : La coopération avec l’UNESCO est, en effet, primordiale pour l’Éthiopie, tout comme elle l’est, je pense, pour une grande majorité de pays et en particulier pour ceux du groupe africain. Le mandat de l’UNESCO couvre en effet des domaines très importants pour les progrès du dialogue entre les civilisations et du développement : l’éducation, la science, la culture et la communication. Son soutien nous est précieux en raison de son savoir-faire et de sa capacité à mobiliser des expertises, par exemple dans le domaine de la réforme de nos programmes d’enseignement, dans la mise en valeur de notre patrimoine et de notre potentiel technologique, notamment en vue de combler la fracture numérique. Nous sommes tout à fait heureux du travail accompli jusqu’à présent par la Directrice générale, Mme Audrey Azoulay. Nous voulons la soutenir dans la réussite de sa mission.
Enfin, je tiens à souligner l’attribution le 29 avril 2019 au Premier Ministre Abiy Ahmed du Prix Houphouët de Boigny de l’UNESCO pour la recherche de la paix. De plus, la Présidente Sahle-Work Zewde a été nommée Présidente de la Commission internationale indépendante sur l’Avenir de l’éducation lors du lancement de ce projet-phare de l’UNESCO, le 25 septembre 2019. L’UNESCO représente donc pour nous une plateforme de travail essentielle au renforcement de nos initiatives de coopération internationale.