Moteur de l’Asie centrale, le Kazakhstan aspire à intégrer le cercle des 30 premières économies mondiales. Pour transformer l’essai, le nouvel exécutif conduit par le Président Kassym-Jomart Tokayev doit accélérer la diversification économique. Parmi ses priorités : la digitalisation, les énergies renouvelables et la concrétisation du pays comme hub international des échanges commerciaux.
Révélateur de la nouvelle attractivité suscitée par le Kazakhstan, le groupe nantais Bigblock Datacenter, un des principaux acteurs du minage de bitcoin de France, a choisi d’y déménager ses fermes qui sont opérationnelles depuis mai 2019. Si ce transfert s’explique avant tout par les prix modestes de l’électricité, il illustre également les opportunités d’une économie résolument tournée vers l’innovation pour sortir de sa dépendance aux exportations de pétrole et de minerais.
Une économie kazakhstanaise tournée vers l’innovation
Vitrine d’un pays sans cesse en quête de renouvellement, le programme « Kazakhstan numérique » lancé en décembre 2017 aspire à favoriser « l’amélioration de la qualité de
vie de la population par le développement progressif de l’écosystème numérique et de
la compétitivité économique » du pays, avec des investissements qui pourraient atteindre 1 milliard d’euros d’ici 2022. Pour concrétiser ce plan, le gouvernement kazakshtanais s’est fixé des objectifs bien définis comme celui de porter à 4,85% du produit intérieur brut (PIB) la part des technologies de l’information et de la communication (TIC) d’ici trois ans. Dans le même temps 80% des démarches administratives devraient être effectuées par voie numérique (contre 35% en 2017).
Cette dynamique implique de vastes besoins technologiques, comme l’a souligné le Président de Techgarden, M. Sanzhar Kettebekov, lors des 6ème Rencontres Kazakhstan le 10 avril 2018 à Paris. S’étendant sur 17 000 m2 dans l’ancienne capitale Almaty, ce pôle d’innovation est le plus grand incubateur de start-up du pays. Il accueille de grands noms de l’industrie des nouvelles TIC comme les groupes américains Dell et IBM, l’allemand Siemens ou encore le russe Skolkovo.
Mais pour l’heure, pas d’entreprises françaises. Business France, l’agence de promotion de l’économie française à l’international, veut combler ce retard : d’où l’organisation les 25 et 26 octobre 2018 du Forum « Économie numérique » à Nur-Sultan, nouveau nom de la capitale du pays des steppes (ex-Astana). Et pour cause, le secteur du e-commerce a progressé de 30% en 2017 tandis que les paiements non monétaires ont augmenté de 40%, devenant une des priorités du gouvernement kazakhstanais. Depuis, une loi de simplification du commerce électronique qui pourrait générer plus de 1,6 milliard de dollars dès 2020, fut adoptée en avril 2019.
Pour réaliser cette entrée dans l’ère 2.0, toute l’économie est concernée : construction, énergie, industrie extractive, finance, logistique ou encore agrotech, etc. Des tendances qui ont de quoi séduire les entrepreneurs des filières de l’édition de logiciels, des services informatiques ou encore de la cybersécurité et qui facilitent la vie des affaires, valant au pays d’être classé en 2019 au 28ème rang de l’indice Doing Business réalisé chaque année par la Banque Mondiale.
Signe de la volonté de modernisation accélérée de l’économie kazakhstanaise, un tout nouvel accélérateur de start-up a été inauguré, le 6 novembre 2018, dans l’enceinte du site de l’Exposition internationale accueillie par le Kazakhstan en 2017. Là même où, quelques mois auparavant, le Centre financier international d’Astana (AIFC) a vu le jour, avec pour objectif de conforter le rôle de hub des échanges économiques de la région.
Un hub stratégique entre Chine et Europe
Inaugurée en 2015, la zone économique spéciale de Khorgos illustre les aspirations du Kazakhstan à s’affirmer comme une des plateformes clés des échanges entre l’Asie et l’Europe. Couvrant quelque 450 hectares à la frontière entre le Kazakhstan et la Chine, son port sec voit son trafic de marchandises doubler tous les ans, atteignant 201 000 conteneurs en 2017, comme l’a expliqué M. Roman Vassilenko, Vice-Ministre kazakhstanais des Affaires étrangères lors de sa visite à Paris en avril 2018.
Cette tendance devrait selon lui se poursuivre dans les années à venir pour atteindre les 2 millions d’unités d’ici 2020. Un horizon prometteur pour les finances du Kazakhstan avec des rentrées fiscales de 5 milliards de dollars « au seul titre du transit ferroviaire ». Rien qu’en 2017, le trafic de fret sur les lignes nationales a connu une hausse de 9,8%.
La promesse de ces retombées motive le programme ambitieux de modernisation du réseau ferroviaire qui est le troisième plus grand au monde à utiliser l’écartement de voie de 1 520 mm, avec près de 20 000 km de voies.
Sur ce marché en pleine expansion, le groupe français Alstom joue d’ores et déjà un rôle clé. Entré en 2010, aux côtés de son partenaire russe Transmashholding (TMH) sur le marché ferroviaire kazakhstanais, le leader français du chemin de fer a encore accru son positionnement en inaugurant en juillet 2017, son premier centre de réparation kazakhstanais qui doit maintenir et réviser pendant 25 ans les locomotives Prima T8 (KZ8A) et Prima M4 (KZ4AT), respectivement destinées au fret et au transport de voyageurs. En décembre 2017, le Président-Directeur général d’Alstom, M. Henri Poupart-Lafarge, a également fait le déplacement en personne à Nur-Sultan pour signer un protocole d’accord avec M. Kanat Alpysbaïev, Président de la compagnie kazakhstanaise partenaire, KTZ.
Portant sur la modernisation de la signalisation de 25 gares à travers le pays, via leur entreprise commune KEP, il prévoyait également de porter à 75% les parts détenues par le français au sein de la société EKZ (l’autre co-entreprise locale d’Alstom), qui assure depuis 2017 la construction des locomotives de fret et depuis 2018 celle des locomotives passagers pour le réseau national.
Une transition en cours vers des énergies vertes
Dès son accession à l’indépendance en 1991, le Kazakhstan a cherché à transformer en atout son enclavement au cœur de l’Asie centrale. Une priorité pour faciliter l’exportation de ses immenses ressources en matières premières. À commencer par le pétrole dont il est détenteur de 2% des réserves mondiales et qui, avec le gaz représentent aujourd’hui encore 60% des exportations et 20% du PIB kazakhstanais.
Rien qu’avec le gisement de Kashagan, le Kazakhstan dispose de l’un des plus vastes gisement de pétrole au monde dont la production atteint environ 400 000 barils par jour (bpj). Au total, quelques 40 milliards de dollars ont été investis pour son développement. Partie prenante du North Caspian Sea Production Sharing Agreement (NCSPSA) avec 16,8% des parts, le groupe français Total a largement contribué à sa valorisation. Alors qu’une cession de cette participation est envisagée, il exploite également le gisement de Dunga (15 000 bpj) au sud-ouest du pays. Et, plus récemment, il a foré les premiers puits d’exploration dans le bloc de Kairan situé à environ 40 km à l’est de Kashagan.
Abritant de vastes réserves en fer, manganèse, chrome, charbon, potassium et terres rares, le Kazakhstan est également détenteur d’une autre ressource stratégique : l’uranium, dont il est devenu le premier producteur mondial. Pour son extraction, la compagnie nationale Kazatomprom a privilégié une coopération avec le leader français du secteur, Orano (ex-Areva) avec lequel elle a créé en 1996 l’entreprise Katco qui représente 15% de la production d’uranium annuelle du Kazakhstan et 7% de la production mondiale. En 2018, le Kazakhstan a toutefois dû réduire de 20% son exploitation d’uranium pour faire face à un excédent de l’offre mondiale, qui devrait se poursuivre en 2019 et 2020.
Cette conjoncture fait suite à la chute des prix du pétrole en 2014-2015 qui avait déjà impacté l’économie kazakhstanaise, entrainant la diminution de la croissance du PIB d’une moyenne annuelle de 7,7% entre 2000 et 2014 à environ 3% en 2018.
Conscient des contraintes posées par cette dépendance aux industries extractives, l’ancien Président Noursoultan Nazarbaïev a très tôt cherché à s’en détacher. Ces efforts se sont notamment affirmés à travers la candidature puis l’organisation en 2017 de l’Exposition internationale à Nur-Sultan sur le thème « Énergie du Futur. Action pour la durabilité mondiale ». Une manifestation inédite pour un pays d’Asie centrale. Et qui a bien reflété les aspirations du Kazakhstan à faire de son potentiel de développement en matière d’énergies renouvelables (EnR) l’une des clés de sa diversification économique.
Certes, la part d’électricité produite à partir de technologies vertes y demeure encore modeste (1,2% en 2018). Mais l’objectif est de la porter à 3% d’ici 2020, 30% en 2030 et à 50% en 2050. Pour y parvenir, une série d’appels d’offres a été lancée depuis mai 2018 en vue d’ajouter 1GW supplémentaire à la capacité de production électrique du pays à partir de sources éolienne, hydrologique, solaire et même de la biomasse.
Sur ce marché, c’est le groupe français Urbasolar SAS qui fait figure de pionnier. Implanté dans le pays depuis 2012, le groupe montpelliérain s’est vu confier en novembre 2018 la construction de la centrale solaire Zadarya-1 de 14 MW à Arys (région du Turkestan) par le biais de la société locale KazGreenTek Solar LLP dont il est actionnaire majoritaire. Une présence qui devrait être renforcée par la signature d’un protocole de coopération mutuelle avec l’Association de l’énergie solaire du Kazakhstan, lors du Forum sur la Numérisation de la société et les Énergies alternatives organisé à Cannes, le 8 mars 2019.
Des entreprises françaises en pôle position
Si les liens économiques franco-kazakhstanais se sont fortement accrus en trois décennies, le premier Forum des investissements entre les deux pays a mis en lumière un potentiel d’opportunités encore vaste. Organisé le 28 mai 2018 à Paris, il a réuni plus de 130 représentants d’entreprises françaises en présence de M. Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État auprès du Ministre des Affaires étrangères et de M. Yerlan Khairov, Président du comité d’État aux investissements. Quelque 50 projets d’investissement ont alors été proposés en phase avec le programme de privatisation lancé par le gouvernement kazakhstanais.
Or, sur ce marché émergent, la concurrence internationale s’est fortement accentuée comme en témoigne la participation d’une centaine de pays au 12ème Forum économique d’Astana qui s’est tenu du 16 au 17 mai 2019. Mais pour s’imposer, la France peut compter sur des réalisations majeures non seulement dans les secteurs stratégiques de l’énergie et de la logistique, mais également dans ceux de l’industrie et des biens de consommation.
Dans le secteur industriel, le cimentier Vicat a ouvert la voie dès 2008 avec la construction du complexe Jambyl Cement devenu opérationnel en 2011 et qui couvre aujourd’hui 15% de la demande nationale. Plus récemment, le groupe Air Liquide s’est lancé en septembre 2018 dans la production d’hydrogène, en s’associant avec le géant kazakhstanais du gaz KazMunayGaz (KMG) par le biais de leur filiale commune Air Liquide Munay Tech Gases (ALMTG), dont ils détiennent respectivement 75% et 25%. Résultat d’un investissement de 12 millions d’euros, ce partenariat vise à approvisionner Pavlodar Oil and Chemistry Refinery (POCR) et a vocation à s’étendre à d’autres raffineries.
En revanche, la coopération industrielle franco-kazakhstanaise dans l’Hexagone demeure encore limitée à la collaboration entre le groupe Aubert et Duval et UKTMP pour la production de produits en titane pour l’aéronautique. Concrétisé par la co-entreprise UKAD détenue à parts égales par les deux partenaires, cet investissement de 47 millions d’euros a permis l’inauguration d’une unité de transformation à Saint-Georges-de-Mons (département du Puy-de-Dôme) en 2011.
Dans l’agroalimentaire, les leaders français Danone et Lactalis n’ont, quant à eux, cessé d’accroître leur part de marché notamment dans la fabrication de produits laitiers de haute qualité.
Mais à l’heure actuelle, le secteur qui a le vent en poupe pour les entreprises françaises au Kazakhstan, c’est celui de la grande distribution. Avec une classe moyenne en plein essor et le renforcement de son attractivité touristique, il offre de vastes opportunités. Après l’inauguration à Almaty d’un premier magasin le 1er août 2018, le groupe Leroy-Merlin met les bouchées doubles pour étendre sa présence à travers tout le pays. Dès la fin 2019, il compte en ouvrir un deuxième au pied des montagnes du Tian Shan, avant d’essaimer à Nur-Sultan, mais également dans des villes moyennes comme Shymkent, Pavlodar, Karaganda et Aktobe.
Au total, il aspire à créer un réseau de 25 à 30 magasins. Mû par le même esprit, l’équipementier sportif Décathlon envisagerait lui aussi de s’implanter à Almaty.
Derrière les Pays-Bas et les États-Unis, la France occupe le 3ème rang des investisseurs étrangers au Kazakhstan avec un stock de 13,3 milliards de dollars. Après un net recul en 2017, les exportations françaises sont reparties à la hausse en 2018, progressant de 8,3% et atteignant 345,7 millions d’euros. Matériel de transport, produits informatiques, électroniques et optiques font aujourd’hui partie des filières porteuses vers le marché kazakhstanais. CH / LM-S