Par M. Régis SAVIOZ,
Chef de délégation régionale du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Paris
Le 12 août 2019, la communauté internationale est invitée à souhaiter un bel anniversaire aux quatre Conventions de Genève. 70 ans… Merci à « La Lettre Diplomatique » d’accueillir à cette occasion cet éditorial.
À l’été 1949, à l’initiative de la Suisse et du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) se réunissaient en conférence diplomatique 59 délégations représentant la quasi-totalité des États de l’époque. Objectif de cette rencontre hors-norme, quatre années à peine après la fin de la Seconde Guerre mondiale qui fit plus de 60 millions de morts : renforcer et élargir le droit international humanitaire. Il s’agissait, au sortir du traumatisme du pire des conflits armés, non seulement de garantir et de compléter les trois conventions déjà existantes (1864, 1907 et 1929) assurant la protection des soldats blessés, malades ou capturés dans les conflits internationaux, mais aussi et surtout de faire adopter une quatrième convention destinée à mettre à l’abri des futurs conflits les populations civiles.
C’est ainsi, qu’à l’unanimité, les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 furent adoptées.* L’affaire ne fut pas mince et il ne fallut pas moins de quatre mois d’âpres et intenses discussions entre Anglo-saxons et Soviétiques pour parvenir à un tel résultat ; inespéré à l’heure où s’opéraient déjà les manœuvres qui conduiraient à la guerre froide par « l’équilibre de la terreur » nucléaire.
Depuis 70 ans, le monde dispose donc de tout un arsenal juridique fixant des limites sensées, même si le concept peut choquer, « humaniser la guerre ». Les Conventions de Genève sont contraignantes et de portée universelle. 196 États y sont parties et chacun s’est engagé à les « respecter et à les faire respecter en toute circonstance ». Pourtant, force est de constater que le respect du droit demeure dans bien des contextes, illusoire. Il suffit de regarder l’évolution des conflits actuels pour s’en convaincre et renvoyer tous les faiseurs de guerre à leurs propres responsabilités.
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Les Conventions de Genève ont 70 ans : le bel âge
Rien à voir avec l’âge. Le droit international humanitaire ne s’use que si on ne le respecte pas. Telle est la réponse en forme de boutade qu’il convient de donner à ceux qui, au prétexte de modernité considérerait que le droit humanitaire tel qu’il existe serait « trop vieux », serait « inadapté ». Non, les victimes, toutes les victimes auront toujours les mêmes besoins de protection, de sécurité, de dignité… tout ce que codifient les Conventions de Genève à l’attention particulière des plus vulnérables, enfants, femmes, personnes âgées mais aussi blessés, malades, handicapés ou détenus. Les traiter avec humanité dans les conflits armés, est une obligation fondamentale.
La pertinence du droit n’est donc pas à remettre en cause. Pour autant ceci n’interdit pas l’interprétation des règles à la lumière des conflits armés actuels s’il s’agit de les rendre plus performantes pour la protection et l’assistance des victimes. C’est ce qui emploie nombre de juristes du CICR et des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, travaillant au quotidien aux côtés de tous les États pour les aider à mieux mettre en œuvre le droit.
Les Conventions de Genève étaient en avance sur leur temps. Elles ont établi des normes progressistes fondamentales, en particulier, une notion clé précisant qu’aucun territoire n’est hors de portée de leur champ de protection. Visionnaires, elles furent les premières à énoncer le principe de compétence universelle soulignant l’idée que toute infraction grave aux Conventions affecte la communauté internationale dans son ensemble. Ainsi, la portée de ces textes dépasse les frontières et garantit que tous les États, même ceux qui ne sont pas engagés dans le conflit armé, ont la responsabilité de poursuivre les
auteurs des violations graves.
Si la guerre a de l’avenir, alors le droit aussi
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les Conventions de Genève ont marqué le début d’un processus de codification du droit international humanitaire. De nombreux
autres traités, en particulier les deux protocoles additionnels et plusieurs traités sur les armes, ont depuis rejoint ce corpus juridique. À l’aube du XXIème siècle, de nouveaux
défis apparaissent…
Les hostilités se déroulent de plus en plus en zones urbaines. 50 millions de personnes subissent aujourd’hui les conséquences humanitaires des guerres en ville. En parallèle, les prouesses technologiques proposent un volet guerrier au moins aussi terrifiant que celui qui prévalut tout au long du XXème siècle.
S’il est aisé de connaître la date de l’apparition d’un conflit armé, bien malin celui qui peut en prédire la durée et l’issue. La plupart des conflits actuels se transforment en crises semblant interminables, caractérisées par des défis sociétaux à long terme, des niveaux élevés de violence, de pauvreté, de sous-développement économique et de défaillance des gouvernants.
Le jeune XXIème siècle ouvre l’ère d’un monde toujours en guerre marqué par des conflits armés sans fin aux causes aussi complexes qu’aux conséquences dévastatrices. Le fatalisme face aux souffrances endurées par les populations est inacceptable. Si les États ainsi que d’autres parties aux conflits, voire la communauté internationale tout entière, n’agissent pas de manière responsable, alors les conflits feront encore des millions de victimes supplémentaires. Agir de manière responsable signifie redoubler d’efforts pour aboutir à des solutions politiques avec, dans l’intervalle, le respect du droit et des principes humanitaires.
Nombre de régions du monde sont déchirées par des conflits armés au centre desquelles tentent de survivre les populations ; elles manquent d’eau, de nourriture, de toits. Elles n’ont pas accès aux services de santé et aux services les plus élémentaires. Des millions d’enfants sont déscolarisés. Des hôpitaux sont pris pour cibles ; patients, médecins, infirmiers, travailleurs humanitaires sont inquiétés, empêchés voire tués. Les guerres sans limites sont des guerres sans fin. Et les guerres sans fin engendrent des souffrances infinies. Le respect des règles de la guerre doit demeurer le socle commun du minimum de négociation.
Les États devraient réaffirmer l’humanité commune en prenant des mesures concrètes et en premier lieu en s’acquittant de leur responsabilité « de respecter et de faire respecter » le droit international humanitaire.
Idem pour les groupes armés qu’ils soient étatiques ou non. Ils devraient veiller à protéger les civils et à respecter dans les combats les principes de distinction, de précaution et de proportionnalité tout comme ils devraient sanctionner l’emploi d’armes illégales particulièrement dans les zones densément peuplées. Réaffirmer l’humanité commune c’est proscrire la famine et les violences sexuelles utilisées comme armes de guerre, c’est aussi interdire les exécutions sommaires et les traitements inhumains et dégradants infligés aux détenus.
Guerre urbaine, cyberguerre, armes autonomes ou durée des conflits interrogent particulièrement le CICR dont les délégués produisent du droit, de la négociation humanitaire en se tenant au quotidien au chevet de toutes les victimes des conflits armés.
Note
(*) puis complétées en 1977 par deux protocoles additionnels inspirés par les conflits de décolonisation des années 1950 à 1970.

Deux articles des Conventions de Genève à retenir
L’article 1 – Court, universel et contraignant
«Les hautes parties contractantes [les États] s’engagent à respecter et à faire respecter en toute circonstance [le droit international humanitaire]. »
L’article 3 – L’indispensable
L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève est applicable aux conflits armés non internationaux et énonce en quoi consiste un minimum de traitement humain.
« En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur
le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera
tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes :
1. Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.
À cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus :
a. les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices
b. les prises d’otages ;
c. les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ;
d. les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés.
2. Les blessés et les malades seront recueillis et soignés.
Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit.
Les Parties au conflit s’efforceront, d’autre part, de mettre en vigueur par voie d’accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention.
L’application des dispositions qui précèdent n’aura pas d’effet sur le statut juridique des Parties au conflit. »
Des Conventions de Genève toujours d’actualité
Certes, le monde a changé en 70 ans. Pour autant les Conventions de Genève demeurent toujours tragiquement d’actualité. La liste qui suit énumère les principales violations, principaux crimes :
– personne ne sera soumis à la torture ni à d’autres formes de mauvais traitements ;
– le viol et les autres formes de violence sexuelle sont interdits ;
– les blessés et les malades doivent recevoir les soins médicaux dont ils ont besoin ;
– les hôpitaux et le personnel médical ne doivent pas être attaqués ;
– les personnes disparues doivent être recherchées ;
– les personnes détenues doivent être traitées avec humanité et disposer de la nourriture
et des vêtements adéquats ;
– les membres de la famille ont le droit de connaître le sort de leurs proches ;
– les morts doivent être traités avec dignité.

2019 et les 100 ans de la « Croix-Rouge du temps de paix »
Si 2019 marque le 70ème anniversaire des Conventions, il est aussi un autre anniversaire, celui des 100 ans de la « Croix-Rouge du temps de paix »
Le 5 mai 1919, conséquence du Traité de Versailles mettant fin à la Première Guerre mondiale, les Croix-Rouge américaine, britannique, française, italienne et japonaise fondaient, à Paris, la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge qui deviendra plus tard Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
L’idée consistait à renforcer la coordination et les capacités de coopération entre les sociétés nationales de secours dont beaucoup, sous la férule du CICR, avaient eu un rôle déterminant par exemple dans l’acheminement de colis au profit des millions de soldats capturés. Il s’agissait alors, à la paix revenue, de mieux valoriser, voire de mutualiser le potentiel de secours et d’assistance face aux catastrophes naturelles et autres fléaux comme les épidémies.
C’est un suisse, William Rappard, qui fut l’artisan de cette création et fit tout pour que le siège soit, comme pour le CICR, à Genève qui devenait ainsi capitale de l’action et du droit international humanitaires.
Citation :
Les Conventions de Genève sont contraignantes et de portée universelle. 196 États y sont parties