La lettre diplomatique

Article – Australie
La Lettre Diplomatique N°73 – Premier trimestre 2006

La France et l’Australie dans les conflits du XXème siècle : la mémoire en partage

Par M. Hamlaoui Mékachéra, Ministre délégué aux Anciens combattants

 

Les 24 et 25 avril 2005, à Gallipoli, la France s’est associée aux cérémonies du 90ème anniversaire de l’expédition des Dardanelles.

En effet, ce 25 avril 1915, appelé également « ANZAC Day », du nom du corps expéditionnaire constitué de volontaires australiens et néo-zélandais engagés du côté allié durant la Première Guerre mondiale, est considéré par l’Australie comme un véritable événement fondateur national. Le débarquement des troupes de l’ANZAC à Gallipoli, sur la côte de l’Empire ottoman, face à des troupes adverses remarquablement bien entraînées, a été particulièrement meurtrier : entre avril en décembre 1915, plus de 8 500 Australiens et Néo-Zélandais sont tués et près de 20 000 blessés.

Par sa présence à cette grande commémoration, la France voulait signifier qu’elle n’oublie pas les sacrifices consentis, en ces temps décisifs, par l’Australie.

Après s’être particulièrement illustrés sur les plages des Dardanelles en 1915, établissant leur réputation militaire, les Australiens participèrent héroïquement aux combats sur le front occidental. Ce sont les combats de Villers-Bretonneux, en avril 1918, qui les font entrer dans la légende de la « Grande Guerre ». Le 25 avril 1918, à l’issue d’une contre-offensive victorieuse et hardie, les Australiens reprennent aux Allemands le village de Villers-Bretonneux, clef du dispositif allié protégeant Amiens. Depuis ces événements, chaque 25 avril, les habitants de Villers-Bretonneux et de communes voisines de la Somme et du Nord, célèbrent avec reconnaissance la mémoire de ces jeunes volontaires venus des antipodes défendre, sur le sol français, un idéal commun de liberté.

Pour bien mesurer l’ampleur de l’engagement humain australien, on doit rappeler qu’entre 1914 et 1918 ce sont plus de 310 000 Australiens qui furent engagés sur le front occidental – principalement en France – pour une population totale de 4 millions d’habitants en 1914.

Nous nous souvenons aussi de l’engagement de l’Australie pendant la Seconde Guerre mondiale. En Océanie, en Europe, ses combattants ont magnifiquement combattu pour défendre nos valeurs.

C’est dans cet esprit de concorde et de reconnaissance mutuelle que je me suis entretenu à Canberra, le 22 février 2005, avec mon homologue australien, Madame De-Anne Kelly. A cette occasion, j’ai eu le grand plaisir de décerner la croix de chevalier de la Légion d’Honneur à des vétérans australiens en reconnaissance de leur rôle dans la libération de la France durant la Seconde guerre mondiale. Ces vétérans apparaissent comme un trait d’union entre nos deux pays. A travers ce geste, la France rend hommage aux milliers de soldats australiens morts en France pour la préservation de sa liberté en 1914-1918, puis pour sa libération lors du second conflit mondial.

Je me réjouis tout particulièrement de constater que les autorités australiennes ont à cœur, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, de promouvoir et développer avec nous les échanges dans le domaine de la « mémoire partagée » des conflits du XXème siècle.

Ce concept, dont nous sommes les instigateurs et les promoteurs, s’applique à encourager, organiser et valoriser nos relations bilatérales avec les pays dont l’histoire militaire a rencontré celle de la France, à titre d’allié ou d’adversaire, au cours des conflits contemporains.

Trois catégories de pays sont concernées par cette démarche : les pays qui furent les alliés de la France durant au moins l’un des conflits mondiaux et qui cultivent le souvenir de leur engagement sur notre sol : Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni… ; les pays auprès desquels la France a combattu lorsque leur liberté était menacée comme ce fut le cas pour la Corée du Sud entre 1950 et 1953 ; les pays anciennement sous souveraineté française et avec lesquels notre histoire combattante commune s’est inscrite dans la durée : le Vietnam, la Tunisie, le Maroc, Madagascar…

D’ores et déjà, de façon à prolonger ces actions, j’ai signé depuis 2003, des accords bilatéraux de mémoire partagée avec six pays. Un des premiers accords a été signé, à Paris, avec l’Australie en novembre 2003. Les suivants ont été formalisés avec la Corée du Sud en novembre 2003, puis en 2004 avec le Maroc, Madagascar, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande. D’autres sont actuellement en préparation avec des pays aussi différents que la Tunisie et le Canada.

La France, « mère des arts, des armes et des lois », a engagé ses fils sur les champs de bataille du monde entier. Cette épopée guerrière a laissé maintes traces dans notre Histoire. Elle a marqué à jamais nos peuples. Chaque époque a apporté son lot de gloire et de souffrances. Mais le XXème siècle a sans doute marqué un paroxysme dans la violence que les hommes sont capables d’infliger à d’autres hommes, comme en témoigne le nombre des victimes et la diversité des pays entraînés dans la tourmente des deux conflits mondiaux.

Se souvenir, c’est évoquer les passions et les souffrances. Se souvenir, c’est aussi partager notre mémoire avec celle des peuples dont nous avons croisé la destinée. Ce regard porté ensemble sur notre passé commun, les liens tissés entre nos peuples, développeront encore le sentiment d’appartenance à une même communauté de destin.

C’est, avant tout, à la jeunesse de nos deux pays que nous nous adressons. C’est aux jeunes générations d’endosser l’héritage des combattants d’hier. C’est à elles qu’il revient de faire fructifier les valeurs inestimables que sont la paix et la liberté.

Côte à côte, comme hier, la France et l’Australie sont résolument engagées dans cette voie.        


Tous droits réservés ® La Lettre Diplomatique