La lettre diplomatique

Article – Etats-Unis
La Lettre Diplomatique N°69 – Premier trimestre 2005

EADS et Boeing bientôt à nouveau en compétition pour le « contrat du siècle »

Un contrat de 23 milliards de dollars destiné à remplacer, dans un premier temps, 100 avions ravitailleurs de l’US Air Force devrait bientôt déchaîner toutes les passions entre les principaux protagonistes que sont EADS et sa filiale Airbus côté européen et Boeing côté américain. Initialement remporté par Boeing qui proposait un dérivé de son B767, le contrat avait été annulé en 2003 en raison de conditions d’attribution jugées douteuses.

Bien qu’aucune date n’ait encore été officiellement fixée par le Pentagone, il est fort probable que celui-ci relance un appel d’offre dans le courant de l’année afin d’engager au plus tôt ce programme que réclame avec insistance l’armée de l’air américaine.

Les deux entités rivales seront donc vraisemblablement amenées à concourir à nouveau dans ce qui risque bien d’être une âpre compétition ravivant les ferveurs les plus extrêmes. L’enjeu est d’importance puisqu’il concernera le renouvellement, à terme, d’un ensemble de plus de 500 appareils de type KC-135 de l’US Air Force, dont la moyenne d’âge atteint aujourd’hui 45 ans pour une grande part et dont le maintien en conditions opérationnelles s’avère de plus en plus onéreux sans compter un niveau d’équipement qui ne correspond plus au standard requis. L’US Air Force veut pouvoir compter sur un appareil qui, outre ses fonctions de ravitailleur, devra aussi avoir une capacité multi-rôles permettant entre autres, de remplir des missions de transport tactique, de centre de commandement et de communication et sans doute aussi de surveillance électronique.

En attendant, EADS ne ménage pas ses efforts en direction du Congrès et du Pentagone pour faire valoir les avantages de son offre basée sur un dérivé de l’Airbus A330-200 dont les modifications apportées intègrent manifestement toutes les composantes exigées par l’US Air Force. EADS affirme avoir ainsi investi près de 90 millions de dollars sur fonds propres dans l’étude de la version KC-330 qu’elle compte proposer et qui comporte les deux systèmes de ravitaillement convenant aussi bien aux avions de l’US Air Force qu’à ceux de l’US Navy.

Dans une récente déclaration, Ralph Crosby, Président d’EADS Amérique du Nord indiquait qu’au cas ou l’offre de son groupe était retenue, il serait prêt à investir une somme de 600 millions de dollars dans la construction, aux Etats-Unis, d’une usine d’assemblage pour laquelle la recherche d’un site d’implantation à déjà commencé, précisant par ailleurs que le projet élaboré par EADS générerait la création d’au moins 1 000 emplois. Il ajoutait également qu’il était prêt à envisager un partenariat avec une firme américaine de premier plan pour donner toutes ses chances au contrat dont il estime qu’environ 50% de la valeur irait à des entreprises américaines. Il est en effet généralement admis que chaque Airbus sortant d’usine est à 40% au moins américain de par ses équipements et ses moteurs.

Il est cependant difficile d’imaginer, comme le rappellent certains analystes bien avisés, que Boeing soit exclu de ce marché ou il régnait sans partage jusqu’à il y a peu encore mais aussi compte tenu du poids économique et de l’enjeu politique et stratégique qu’il représente aux yeux de l’administration américaine. Pour être réaliste, 100 milliards de dollars de contrat au final sur trente ans aurait en effet peu de chances d’être attribué à une seule firme étrangère en matière de défense aux Etats-Unis, quel qu’en soit le montage.

L’idée d’un partage de production ferait au demeurant son chemin et ne serait pas pour déplaire au Pentagone comme à l’US Air Force, qui commenceraient à se convaincre des avantages que procurerait en terme de compétitivité, d’autonomie et de souplesse d’exécution, l’attribution éventuelle de ce contrat à deux fournisseurs distincts plutôt qu’à un seul.

Les deux concurrents sont néanmoins techniquement et commercialement parfaitement en mesure de satisfaire à la demande et peuvent naturellement prétendre à remporter la partie.   Boeing ne vient-il pas de livrer à l’armée de l’air italienne le premier exemplaire des quatre KC-767 qu’elle lui a commandé sans compter les quatre appareils du même type qu’il doit livrer à l’Agence de Défense Japonaise ? Le consortium Air Tanker conduit par EADS ne vient-il pas d’être désigné « soumissionnaire préféré » du ministère britannique de la défense dans le cadre du contrat de fourniture d’avions ravitailleurs à la Royal Air Force après un succès similaire déjà enregistré en Australie ? Une chose est sûre, le moment venu, aucun des deux protagonistes ne lâchera prise pour tenter de remporter le « contrat du siècle » même s’il fallait pour cela que les parties se résignent à couper, au mieux, la poire en deux.             F. B.


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