La lettre diplomatique

Article – Emirats arabes unis
La Lettre Diplomatique N°69 – Premier trimestre 2005

IDEX 2005 : vitrine internationale de la défense et de l’armement

Placé sous le haut patronage de S.M. Cheikh Khalifa Bin Zayed Al Nahyan, Président de la Fédération des Emirats arabes unis, la 7ème édition de l’exposition internationale de défense qui se tient tous les deux ans à Abu Dhabi, IDEX 2005   a réuni plus de 900 Exposants, en provenance de 50 pays, montrant l’importance accordée à cet incontournable lieu de rencontre professionnel.

 

Septième édition de l’exposition internationale de défense qui se tient tous les deux ans à Abu Dhabi, IDEX 2005   a réuni du 12 au 17 février 2005 plus de 900 Exposants en provenance de 50 pays dont 35 firmes et représentations françaises, montrant s’il en était besoin, l’importance accordée à cet incontournable lieu de rencontre professionnel, ainsi qu’à l’énorme marché que constitue la zone Moyen Orient /Afrique du Nord en matière de défense et de sécurité.

Placé sous le haut patronage de S.M. Cheikh Khalifa Bin Zayed Al Nahyan, Président de l’Etat des Emirats arabes unis et Commandant suprême des Forces armées, IDEX 2005, s’est cette fois encore, distingué parmi les plus importants salons d’armement avec la signature de plus de 1,85 milliard de dollars de contrats commerciaux et militaires. 950 millions de dollars pour le seul contrat signé par Etihad Airways avec Roll Royce pour l’équipement des moteurs de ses nouveaux airbus A330-200 et A380 annoncé pendant la durée du salon et comptabilisé par les organisateurs.

On retiendra le changement de cap mis en exergue par la Gulf Defence Conference organisée en marge de l’exposition statique et dynamique, insistant sur les priorités désormais clairement affichées de contrer par tous les moyens les risques terroristes et faire face à la menace qu’ils font peser sur la stabilité et le développement des pays de la région. Une évolution qui entraînera nécessairement une politique d’acquisition d’équipements spécifiques de sécurité en dépit du fait que les pays du CCG sont, aujourd’hui encore, parmi les plus importants acheteurs d’armement au monde. Selon les statistiques de la Ligue arabe, les Etats du Conseil de Coopération du Golfe auraient dépensé entre 1995 et 2002 près de 277 milliards de dollars d’équipement de défense. La flambée des cours du pétrole et les tensions persistantes dans la région que la situation en Irak ne contribue pas à calmer, continuerons néanmoins à alimenter les budgets de défense, qui seront en revanche, dans les années à venir, beaucoup plus orientés qu’autrefois vers des systèmes, des matériels et des services dédiés à la sécurité et à la lutte anti-terroriste sous toutes ses formes. Une tendance déjà observée ailleurs dans les pays occidentaux et en premier lieu aux Etats-Unis après les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Alors qu’on apprenait au même moment l’attentat ayant coûté la vie à l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, ces réflexions de prospectives prenaient une dimension cruellement actuelle et urgente qu’accentuait l’attentat de Doha au Qatar et les inquiétudes manifestées par les agences de renseignement occidentales et de la région peu de temps auparavant.

Parmi les temps forts de l’exposition on notera l’annonce faite par les EAU du lancement d’un programme local de conception, de fabrication et d’intégration de drônes susceptible de l’aider à se positionner comme pôle régional de l’industrie aérospatiale. Parfaitement en adéquation avec l’initiative de S.A. Cheikh Mohamed Bin Zayed Al Nahyan, Prince héritier et Commandant suprême adjoint des Forces armées du pays, précisément destinée à moderniser les dispo-sitifs de surveillance et de reconnaissance du pays, un centre complet de recherche, d’essais et d’évaluation des nouvelles technologies liées au domaine des drônes et à leur environnement a déjà été établi. L’un des éléments clé de ce programme repose sur un accord de développement, de production et d’assistance signé par les forces armées des EAU avec la société sud-coréenne Uconsystem, fournisseur des forces armées coréennes. Un autre accord signé avec la société GAMCO qui devrait apporter son soutien logistique au projet accompagnera également ce programme.

Liée aux Emirats arabes unis par une intense relation d’amitié, de coopération et de partenariat stratégique, la France était hautement représentée à IDEX 2005 par les 35 exposants qui constituaient le pavillon français, regroupés pour la plupart autour du GICAT (Groupement des industries concernées par les matériels de défense terrestre)et de sa filliale COGES ou à proximité du pavillon pour certains des exposants majeurs comme EADS, Thales ou CMN dans le secteur naval, et par une délégation officielle de haut niveau conduite par Thierry Borja de Mozota, représentant le Ministre de la Défense accompagné de l’Ing Général Jean-Paul Panie, Directeur des Relations internationales de la Délégation Générale de l’Armement. Un communiqué de presse rappelait à la veille de l’ouverture du salon que l’importante participation française à IDEX n’avait pas pour unique vocation la promotion des matériels français, mais marquait la présence d’un partenaire des EAU, potentiellement aussi client des systèmes et des services que peut offrir l’industrie de défense locale.

A titre d’exemple, certains types de réparations et d’opérations d’entretiens des bâtiments de la Marine nationale française basés dans la région s’effectuent déjà dans les chantiers navals des EAU qui ont très tôt saisi les occasions qui se présentaient pour signer des accords de coopération industrielle, technique et commerciale avec différentes entreprises occidentales et françaises. Illustrant cette nouvelle situation, l’Abu Dhabi Ship Building (ADSB) profitait du salon pour annoncer la création d’un nouvel atelier high-tech entièrement réservé aux matériaux composites qui s’étendra sur plus de 4.400 m2. L’ADSB étant aussi le maître d’œuvre du programme « Baynunah » pour   la production de corvettes destinées à la marine émirienne.

On pourra également citer l’annonce d’un accord de coopération entre Renault Trucks Défense et la société émirienne Advanced Modular Vehicles pour le développement et le montage d’un véhicule militaire tactique, le Sherpa 2.5 dont les initiateurs du projet espèrent pouvoir en commercialiser, à brève échéance, au moins 500 exemplaires dans la région du Golfe et notamment aux EAU et en Arabie Saoudite. Il est vrai que dans ce domaine, le succès remporté par le véhicule tactique 4X4 NIMR développé par Bin Jabr Group en coopération avec le complexe militaro-industriel King Abdullah Design Bureau (KADB) de Jordanie ne cesse de croître. 5.000 exemplaires ont déjà été commandés par les forces armées des EAU et   d’autres pays se seraient déjà montrés intéressés comme l’affirmait Saeed Al Suwaidi, Président de Bin Jabr Group, précisant qu’il envisageait la vente de 3.500 exemplaires de ce type de véhicule dans les trois à quatre prochaines années alors que la capacité de production des installations en Jordanie étaient d’environ 250 à 300 unités par mois.

Mais on ne peut évoquer la coopération militaire franco-émirienne sans indiquer qu’elle se   matérialise d’abord par l’exécution d’un certain nombre de contrats de fourniture d’armement phares dont celui du Char Leclerc vendu par GIAT Industries aux forces armées des EAU dans les années 90. Les EAU en ont commandé 390 exemplaires auxquels s’ajoutent 46 exemplaires de la version dépanneur (DNG). Bien que tous les exemplaires aient été livrés, le char Leclerc aux EAU demeure un programme pilier de la coopération entre les deux pays et continuera de générer sur au moins deux décennies encore un courant d’activités qui évoluera au rythme des importants programmes de revalorisation dont il fera indubitablement l’objet tant en France qu’aux EAU dans les domaines de la protection, de la mobilité et de l’armement.

Outre cet important programme, il convient bien évidemment de faire mention de celui de la vente par Dassault Aviation en 1998 de 32 mirages 2000-9 neufs dont les livraisons ont commencé en 2003, ainsi que la transformation de 30 mirage 2000 que possédait déjà l’armée de l’air des EAU rétrofités au standard 2000-9 dont 28 d’entre eux, directement sur le site de la Base aérienne d’Al Dhafra aux EAU. Ce contrat nommé « Bader 21 »   avait été estimé à l’époque à près de 3, 2 milliards de dollars.

Plus récemment, le contrat « Baynunah » signé par les Constructions mécaniques de Normandie (CMN) avec les EAU pour la construction de six corvettes (dont deux en option), la première devant être construite dans les ateliers de CMN à Cherbourg, les cinq autres faisant l’objet d’un accord de transfert de technologie pour un assemblage aux EAU dans les chantiers navals de l’ADSB, se révèle être un autre bon exemple pour bien comprendre l’évolution du nouveau contexte dans lequel prend forme la coopération franco-émirienne en matière d’armement. Ce contrat d’une valeur estimée à 500 millions de dollars, porte sur la conception et la construction d’une nouvelle classe de corvettes polyvalentes sur la base de la célèbre « Combattante » des CMN. Soit, une corvette lance-missiles de 70 mètres à coque en acier à profil furtif, une propulsion principale par hydrojets lui conférant une très grande manoeuvrabilité ainsi qu’une vitesse opérationnelle qui devrait être supérieure à 30 nœuds.

Certes, provisoirement, « le temps des grands contrats dans le golfe est terminé » comme l’indiquait Marc Ghassilan, représentant de GIAT Industries pour le Moyen Orient, mais il laisse place à une myriade de contrats plus modestes et d’opportunités dans le domaine des services, de la formation et de l’entraînement, ce qu’ont bien compris des entreprises comme Défense Conseil International, très appréciée aux EAU et qui intervient dans tous les secteurs liés au soutien des matériels français et qui a su se diversifier et développer une offre plus spécifique tenant compte des réalités économiques du moment mais aussi des besoins exprimés en amont par les utilisateurs finaux.

Au demeurant, tous les experts s’accordent pour affirmer que le véritable enjeu se situera de plus en plus au niveau de la numérisation du champ de bataille aéro-terrestre et de l’environnement C4ISR (Command, Control, Communications, Computing, Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) au sein duquel devront évoluer toutes les plate-formes participant des dispositifs de défense et de sécurité de demain, laissant entrevoir aux EAU comme dans l’ensemble des pays de la région d’énormes potentiels de coopération pour intégrer en réseau la sécurisation des frontières, des ports et des aéroports, protéger les communications, les infrastructures et les hommes.   La commande passée pendant IDEX pour un montant de 50 millions de dollars par l’Emirat d’Abu Dhabi à Boeing pour des systèmes de sécurité devant prendre en compte l’équipement de sa police, de ses ports, aéroports et installations pétrolières, en témoigne concrètement.

Il s’agit là d’un réel défi que les entreprises françaises se sont fixées pour objectif de relever en faisant preuve, ici comme ailleurs, d’originalité et d’audace. EADS avec son système SIR (système d’information régimentaire) et son SIC/F (Système d’information et de commandement), Thales (pour des systèmes C4ISR qui constituent aujourd’hui un quart de ses activités), Sagem (avec le système d’arme FELIN du Fantassin du futur présenté à IDEX, ses drônes, caméras et systèmes optroniques de pointe), GIAT Industries (avec le VBCI et le canon automoteur de grande portée à roues aérotransportable CAESAR), Panhard-Auverland (avec son nouveau PVP – Petit Véhicule Protégé) entre autres, y ont certainement toutes leurs chances. Même dans un domaine plus stratégique tel que l’espace on peut imaginer que se décantent, dans une avenir proche, des projets de coopération d’envergure qui pourraient d’ailleurs annoncer le retour de quelques « éléphants » soit, dans le jargon de l’armement, de nouveaux « grands contrats ». Les EAU n’ont-ils pas, il y a peu, déclaré qu’ils envisageaient l’acquisition d’un satellite de communications protégées à des fins militaires ? Les forces de défense émiriennes étudieraient par ailleurs très sérieusement l’acquisition d’avions ravitailleurs pour ses avions de combat, sans compter des projets destinés à renforcer ses capacités de projection de forces et à pouvoir opérer sans difficultés dans le cadre d’actions humanitaires et de participation à des opérations extérieures de maintien ou de restauration de la paix comme au Kosovo. Dans les deux cas, le consortium industriel européen basé à Toulouse serait bien placé pour proposer la version Tanker de son airbus A330-200 déjà retenu au Royaume Uni comme favori et vraisemblablement amené à concourir à nouveau aux Etats-Unis prochainement dans le cadre d’un appel d’offre pour le renouvellement de la flotte de ravitailleurs de l’US Air Force, puis possiblement pour l’A400M le nouvel avion de transport militaire lourd européen et de projection des forces.

Outre le succès enregistré pendant l’IDEX 2005 par les industriels italiens qui ont vendu huit hélicoptères Bell Agusta AB139 pour un montant de 83,7 millions de dollars aux autorités des EAU et celui de l’industrie allemande de l’armement avec la vente d’un nombre non communiqué de blindés de type « Fuchs » spécialement équipés pour la prévention NBC (Nucléaire, bactériologique et chimique) pour un montant de 150 millions d’euros, il est intéressant de noter que des informations se font plus précises chaque jour sur la volonté qu’auraient les EAU d’acquérir d’autres blindés allemands, dont des chars Léopards II A4, et des « Martre », voire des matériels d’artillerie auto-tractés de dernière génération. Les EAU auraient aussi entamé des pourparlers pour l’acquisition de sous-marins produits par les chantiers navals allemands HDW, ce qui ouvrirait cette fois, sans l’ombre d’un doute, d’autres perspectives qu’il s’agirait de ne pas négliger.

« Les Emirats arabes unis sont entrés dans une phase de modernisation de ses capacités de défense qui doit permettre à ses forces armées d’être dotées des équipements et de la technologie les plus modernes ». Ainsi   s’exprimait le Président de la Fédération des Emirats arabes unis, S.M. Cheikh Khalifa lui-même, confirmant dans son adresse à la Gulf Defence Conference, son attachement au principe de « diversification des sources d’approvisionnement en équipements militaires afin de maintenir sa capacité à prendre des décisions totalement indépendantes ainsi que sa liberté de choix quant à l’achat des équipements les plus adaptés et les meilleurs ». Un message on ne peut plus clair à méditer ! F.B.


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