L’Argentine prête à revenir en force
Prises dans la tourmente de la crise économique qui a frappé l’Argentine depuis la fin 2001, les entreprises françaises ont, pour une grande majorité d’entre elles, décidé de serrer les rangs et de laisser passer l’orage. En dix ans, la France est parvenu à se hisser au troisième rang des investisseurs étrangers derrière les Etats-Unis et l’Espagne, avec un stock d’investissements dépassant les 10 milliards de dollars. Au début de la crise, au second semestre 2001, les flux d’investissements français atteignaient même 3,2 milliards de dollars pour l’essentiel grâce aux opérations réalisées par Total et EDF, plaçant alors la France en tête des investisseurs étrangers. Les quelque 259 entreprises françaises présentes en Argentine emploient directement plus de 70 000 personnes. Certaines d’entre elles comme Air Liquide ou Saint-Gobain arrivées dans les années 1930, y sont implantées de longue date. Hormis le secteur des services publics, faisant l’objet de fortes tensions entre l’Etat argentin et les opérateurs privés, les bons résultats de l’économie argentine donnent de bonnes raisons d’être optimiste. Après avoir rétabli la stabilité politique, le Président Nestor Kirchner a lancé une stratégie de redressement économique qui semble porter ses fruits. Dès 2003, avec un PIB de 129,74 milliards de dollars, l’Argentine a récupéré sa position traditionnelle, au troisième rang derrière le Mexique et le Brésil, dans le classement des économies latino-américaines établi par la société brésilienne de gestion et de consulting économique, Global Invest. Pour la deuxième année consécutive, l’Argentine affiche un taux de croissance de 8,8% en 2004, avec un dynamisme qui n’a rien à envier à celui de la Chine. Le gouvernement argentin a également dégagé le plus important excédent budgétaire depuis 50 ans, de l’ordre de 6%, en grande partie grâce à la hausse exceptionnelle des prix du soja, du blé et d’autres matières premières, mais aussi à la discipline budgétaire du gouvernement. Certes, le pays retrouve seulement son niveau d’avant la crise, les défis sociaux demeurent entiers et le secteur agricole ne saurait continuer à soutenir d’aussi fortes exportations. Mais en levant l’hypothèque de la dette en défaut depuis trois ans, le Président Nestor Kirchner, qui a qualifié cette victoire de « meilleure négociation de l’histoire du monde » pour une restructuration hors normes, a renforcé la dynamique de relance économique initiée depuis 2003 et favorisé le retour de la confiance dans les milieux d’affaires étrangers.
De nouveaux investissements ont ainsi été annoncés par certains grands groupes de l’Hexagone. Le pétrolier Total a confirmé son intention d’investir près de 500 millions de dollars pour l’exploitation des gisements off-shore en Terre de Feu, dont 160 millions dès le mois de mai prochain pour l’entrée en activité des gisements de Carina et Aries. Total Austral, filiale argentine de Total, compte également forer une vingtaine de puits dans la province du Neuquen, cœur gazier du pays, pour alimenter son usine de traitement à San Roque. Dans un contexte de redressement du secteur automobile, les constructeurs français qui se partagent déjà 40% du marché argentin, misent sur le long terme, mais aussi sur les opportunités offertes par le processus d’intégration du Mercosur, le marché commun sud-américain. Après avoir lancé en 2004 la production de son modèle 307 moyennant un investissement de 50 millions d’euros, PSA a annoncé son intention de doubler d’ici 2007 sa production industrielle, de 45 000 véhicules actuellement, avec le lancement de deux nouvelles voitures, la Partner et la Citroën Berlingo. Impliquant la création de quelque 1 000 emplois supplémentaires sur le site d’assemblage de Buenos Aires et sur celui de production de composants mécaniques, PSA consentira sur l’ensemble de la période à des investissements s’élevant à 125 millions d’euros. Il arrive en deuxième position en termes de part de marché, derrière l’autre constructeur français, Renault, leader sur le marché argentin depuis le milieu des années 90.
Des contrats jusque-là suspendus sont, par ailleurs, revenus à l’ordre du jour. En décembre 2004, Alstom a ainsi repris un contrat signé en 1999 pour la livraison de rames pour le métro de Buenos Aires, mais interrompu faute de paiement. D’un montant de 102 millions d’euros, il concerne 65 rames assemblées dans les ateliers ferroviaires de La Plata, d’ailleurs acquis par Alstom en novembre 2003, à partir des composants importés des installations brésiliennes du groupe français. Plus encore, avec le renforcement de sa base industrielle de la Plata, ce contrat marque l’amorce d’une expansion d’Alstom en Argentine. Nicolas Estay, Vice-Président Business Develop-ment chez Alstom Transport, a ainsi souligné lors du colloque organisé au Sénat sur le pays en décembre 2003, qu’« à moyen terme, notre analyse repose sur l’idée que le réseau ferré argentin sera au moins égal, à terme, à celui qui existe au Brésil », soulignant en particulier, « la culture de chemin de fer profondément ancrée » en Argentine. Cette entrée sur le marché argentin s’inscrit dans le contexte des projets d’infrastructures annoncés par le Président Nestor Kirchner et qui devraient susciter l’intérêt des leaders français de la construction comme Bouygues, Sade ou Eiffage, encore peu ou pas présents sur ce secteur où Soletanche-Bachy s’est notamment distingué en remportant un contrat de 60 millions d’euros en 2000
pour la construction d’une centrale thermique.
La dévaluation du peso fin 2001 a par ailleurs bénéficié à certains secteurs d’activité, comme le tourisme, sur lequel le groupe Accor s’est positionné dès la fin des années 90. Peu développée jusque-là, l’industrie touristique a ainsi connu un essor spectaculaire dès 2002, générant 7,7% du PIB et 1 million d’emplois. 3,3 millions de touristes étrangers ont visité l’Argentine en 2003 (meilleur résultat depuis dix ans) et ont dépensé 2 milliards de dollars. Devenue la quatrième source de devises du pays, le tourisme fait désormais l’objet d’une politique volontariste du gouvernement. Accor, qui a déjà ouvert trois hôtels dont un Ibis Hôtel à Mendoza, a inauguré, en octobre 2004, un Sofitel quatre étoiles dans le quartier des affaires et touristique de Puerto Madero à Buenos Aires.
La crise n’a toutefois pas été sans affecter la présence française en Argentine. Des compagnies comme France Telecom, Crédit Agricole, Axa ou encore Auchan ont choisi de partir. Nombre d’entreprises ont du s’adapter à cette nouvelle situation en restructurant leurs équipes, à l’instar de la Société Générale, par la suppression des postes, la baisse des salaires ou la disparition des avantages. Certains investisseurs étrangers s’estiment pénalisés par la forte dévaluation du peso (70%) puis l’abandon de la parité du peso avec le dollar. Ceux qui sont entrés dans le capital des entreprises de service public à la faveur des privatisations des années 90, réclament la hausse des tarifs, gelés en janvier 2002, devenue l’objet d’un bras de fer engagé avec le gouvernement argentin, notamment par les groupes Suez et EDF. Tenu par la nécessité de gérer une situation sociale délicate et de favoriser la hausse du pouvoir d’achat des Argentins, celui-ci ne peut compter que sur une faible marge de manœuvre dans ces négociations. Opérateur depuis 1993, avec 39 % des parts d’Aguas Argentinas, la concession de gestion d’eau et d’assainissement de Buenos Aires qui dessert plus de 7,7 millions d’habitants, Suez estime avoir respecté ses engagements en investissent près de 1 700 millions de dollars en dix ans. Pour sa part, EDF détient 90% du capital de la société Edenor, qui distribue l’électricité à 2,24 millions de clients de Buenos Aires et a élargi ses activités dans la province de Mendoza et à d’autres sociétés argentines de distribution d’électri-cité et de services. Après la restructuration réussie de la dette, la recherche d’une issue rapide à la renégociation des contrats des entreprises concessionnaires et la reprise des négociations avec le FMI sont nécessaires pour améliorer la réputation de l’Argentine auprès des investisseurs étrangers, dont elle a également besoin pour accompagner sa reprise économique. Le Président Nestor Kirchner déclarait ainsi récemment, lors d’une cérémonie à l’usine Toyota de Zarate, dans la province de Buenos Aires :
« Messieurs les entrepreneurs, préparez-vous à investir plus parce qu’il y a beaucoup de possibilités en Argentine, une grande capacité d’exportation et également de consommation interieure ». C.H.