Les fouilles de Fejej, au cœur des recherches sur l’origine de l’Humanité
Par le Professeur Henry de Lumley, Professeur émérite au Muséum national d’Histoire naturelle, Directeur de l’Institut de paléontologie humaine, Chef de la mission en Ethiopie
Depuis 1992, je conduis avec M. Yonas Beyene, Chef du Département d’Archéologie et d’Anthropologie de l’Authority for Research and Conservation of Cultural Heritage (ARCCH) du Ministère de la Culture et du Tourisme d’Ethiopie, les fouilles préhistoriques entreprises dans la région de Fejej (Dasanech woreda), en Ethiopie.
Ces institutions ont en outre des relations privilégiées avec diverses structures telles que le Laboratoire départemental de Préhistoire du Lazaret à Nice, le Centre européen de Recherches préhistoriques de Tautavel, le Musée de Préhistoire régionale de Menton, le National Museum d’Addis Abeba et la Région des Nations nationalités et Populations méridionales, qui participent à la fouille et à l’étude des sites préhistoriques de la région de Fejej.
Divers chercheurs d’autres pays africains (Burkina Faso, Bénin et Sénégal) ont également été associés à ce programme de recherche.
La région de Fejej, située dans le bassin de l’Omo-Turkana, représente en effet une aire extrêmement riche et pour appréhender les modes de vie et les environnements des tout premiers hommes et pour reconstituer l’histoire de cette période charnière de l’humanité.
Ainsi, de 1992 à 1999 fut entreprise la fouille du site de Fejej FJ-1, qui présentait un niveau archéologique, très riche en faune et en industrie, parfaitement en place et particulièrement bien conservé, antérieur à 1,96 million d’années.
Les fouilles menées dans la localité Fejej FJ-1 ont fait l’objet de la publication d’une monographie pluridisciplinaire en 2004, et ont permis de récolter des données précieuses concernant le comportement et le mode de vie des premiers hommes, Homo habilis.
Du point de vue bio-stratigraphique, l’association des suidés Notochoerus scotti et Metridiochoerus modestus, la présence du genre Equus et d'Elephas recki (cf. atavus) sont autant d'éléments qui permettent de relier cette faune avec celle recueillie dans le membre G supérieur de la formation de Shungura (vallée de l’Omo) datée de 2,02 à 1,90 millions d’années. Cette corrélation bio-stratigraphique est confirmée par les rongeurs.
Le site de Fejej FJ-1 a livré plus de 2 500 outils taillés, essentiellement en quartz, matière première issue de l’environnement immédiat du site. Ces outils sont très souvent directement associés à des restes d’animaux fossiles.
De nombreux fragments d’os longs sont de petite taille par rapport à la taille d’origine des os entiers. L’association de ces ossements ou fragments d’ossements et de l’industrie lithique permet d’évoquer un lieu d’activité humaine consacrée à la préparation de nourriture carnée où des carcasses ou portions de carcasses d’herbivores sont rapportées pour être dépouillées et désarticulées.
Cette industrie lithique montre qu’à côté de la fabrication de quelques galets aménagés, la production d’éclats était la priorité des tailleurs. La production s’est orientée vers le débitage d’éclats de petites dimensions par des méthodes sommaires, mais systématiques, que les nombreux remontages confirment. Aucun éclat ne présente de retouches volontaires.
Les nombreux nucléus, ainsi que les remontages, témoignent que l’activité de taille a eu lieu sur le site.
Le niveau archéologique correspond à un campement de base où les hommes se livraient à différentes activités, taille de l’industrie lithique, désarticulation de carcasse, fracturation des ossements, consommation de nourriture carnée.
C’est à proximité immédiate du site, dans les alluvions d’un cours d’eau, que les hominidés sélectionnaient les galets destinés à la fabrication de leurs outils. Les galets, essentiellement en quartz, étaient choisis en fonction de leur forme et de leur utilisation postérieure.
Quatre restes d’hominidés, constitués de trois restes dentaires attribués à Homo habilis et d’un fragment d’humérus attribués à Paranthropus boisei, sont également connus à Fejej FJ-1.
Ainsi, la fouille archéologique du site de Fejej FJ-1 a permis d’individualiser un sol d’occupation correspondant à une occupation de courte durée. Les hominidés s’étaient installés sur un bourrelet de sable à proximité d’une rivière temporaire non loin de l’Omo. Le choix de ce site était lié à la présence, en abondance dans cette zone, d’eau, de nourriture et d’une matière première lithique pour élaborer des outils.
A l’issue de la fouille du site Fejej FJ-1, à partir de 2002, au cours des missions de prospection organisées sur le terrain, dans la région de Fejej, de nombreuses localités ont été découvertes.
Parmi celles-ci, trois localités ont livré des restes d’hominidés archaïques, attribués à Australopithecus anamensis, associés à des faunes permettant de proposer un âge compris entre 4,2 et 5 millions d’années.
Les restes humains se rapportant à Australopithecus anamensis découverts à Fejej apportent par conséquent des données inédites sur l’évolution humaine et en particulier sur :
– l’âge des Australopithecus anamensis,
– l’évolution des Australopithèques,
– la morphologie du squelette crânien des Australopithecus anamenis.
Les recherches menées dans la région de Fejej se situent par conséquent à la pointe des recherches internationales concernant l’origine de l’Humanité.
D’autre part, parallèlement aux travaux réalisés sur le terrain et en laboratoire, nous avons initié, à la demande du Ministère éthiopien de la Culture et du Tourisme, un projet muséographique à Addis-Abeba, ville désormais en plein développement culturel et économique.
Ce projet de réalisation d’un grand Musée des origines de l’Humanité dans la capitale de l’Ethiopie est en cours d’élaboration, en concertation étroite avec l’UNESCO et la Communauté européenne.
Ainsi, en mai 2008, la délégation de l’Union européenne à Addis-Abeba a officiellement effectué une demande de services auprès de ses consultants habituels, afin de recruter un architecte qui sera chargé de mener, en collaboration avec un muséographe, une étude de faisabilité et d’élaborer un cahier des charges, durant les mois de juillet et août 2008.
A l’issue de cette période, il est prévu d’organiser une session de travail de cinq jours, à Addis-Abeba, en présence des scientifiques, de l’architecte et du muséographe, afin de finaliser le programme muséographique et scientifique du Musée des Origines de l’Humanité.