La lettre diplomatique

Article – Ethiopie
La Lettre Diplomatique N°82 – Deuxième trimestre 2008

Le Millénium éthiopien

Par M. Beseat Kiflé Sélassié, Président de l’Association culturelle pour le Millénium éthiopien en France (ACMEF)

Les célébrations du «Millénium éthiopien » à travers le monde ont donné à la communauté internationale l’occasion de manifester sa solidarité diplomatique et davantage encore son soutien aux actions et programmes culturels organisés en Ethiopie comme à l’étranger. Sur le plan diplomatique, le 8ème Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union africaine (UA) réuni du 29 au 30 janvier 2007 avait déclaré le millénaire éthiopien, millénaire africain. De même, le Conseil exécutif de l’UNESCO et, ultérieurement les Nations unies, avaient accepté de retenir le « Millénium éthiopien » comme l’un des événements à soutenir tout au long de l’année 2007-2008.
Sur le plan culturel, « la solidarité intellectuelle et morale », raison d’être de l’UNESCO, explique l’appui des Etats membres aux programmes présentés à Paris du 17 au 21 décembre 2007 au Palais de l’UNESCO par l’Alliance culturelle pour le Millénium éthiopien en France (ACMEF) avec les concours de la Délégation éthiopienne, du Groupe Africain, du Directeur général et des présidents du Conseil exécutif et de la Conférence générale.
Pour l’ACMEF, l’approfondissement et le partage avec les peuples et notamment la jeunesse, les intellectuels d’Afrique, de France, d’Europe et du reste du monde, de la longue histoire de l’« Ethiopie-Mère », selon la belle formule d’Aimé Césaire, était l’occasion de montrer l’unité dans le respect de la diversité culturelle Ethiopie-Afrique, berceau de l'humanité. En l’espèce, il ne s’agit pas de se complaire dans une nostalgie du passé. Bien au contraire, comme le souligne encore Césaire qui a tenu à apporter son soutien aux objectifs de l’ACMEF, quatre mois avant de nous quitter, en nous donnant comme cadeau deux de ses poèmes « Ethiopie » et « A l’Afrique », et pour qui « la voie la plus courte pour l'avenir est celle qui passe toujours par l'approfondissement du passé ».
C’est dans cet esprit qu’ont été présentés du 29 janvier au 1er mars 2008 à Paris, mais aussi à Lyon par le biais de l’« Association Amitié Franco-Ethiopienne », des conférences et débats, des expositions de peinture, de photographies et d’installations vidéos ; des projections de films ; des défilés de modes vestimentaires ; des chansons, musiques et danses traditionnelles ; les arts culinaires éthiopiens et l’artisanat traditionnel et moderne, etc…
Dans cette approche polyphonique de célébration ludique et instructive qu’est-ce que le « Millénium éthiopien » ? Selon le calendrier éthiopien, toujours en vigueur dans le pays, c’est le passage de l’an 2000 à 2001, commençant selon le calendrier grégorien, le plus couramment utilisé dans les pays occidentaux, le
12 septembre 2007 et allant jusqu’au 11 septembre 2008. Ce calendrier éthiopien est parfois appelé calendrier julien, et plus souvent calendrier copte alexandrin. En fait, il est plus proche du calendrier pharaonique de l’Egypte antique qui remonte à 4 236 avant J.C.
De ce calendrier égyptien, le calendrier éthiopien retiendra les douze mois de trente jours plus un treizième mois appelé « épagomène » de cinq jours pendant trois ans et de six jours les années bissextiles qui le composent. Il s’agit des « cinq jours réservés à la naissance des cinq dieux égyptiens (Osiris, Horus, Seth, Isis et Nephtys) » selon Cheikh Anta Diop1. Le calendrier éthiopien substituera à ces cinq dieux égyptiens, après la conversion du pays au christianisme vers 330 après J.C., les quatre évangélistes (Luc, Mathieu, Marc et Jean). Ce calendrier est fondé « sur le lever héliaque de Sothis ou Sirius (étoile la plus brillante du ciel) et dont la périodicité est de 1460 ans » toujours selon Cheikh Anta Diop2.
De l’avis de Otto Neugebauer, spécialiste de l’Egypte antique, il s’agit du calendrier « le plus intelligent que l’homme ait jamais inventé »3. A cet égard, il est à noter que l’Université d’Addis-Abeba et l’Institut d’Etudes sémitiques de l’Université de Princeton aux Etats-Unis ont organisé, saisissant l’occasion de la célébration du Millénium éthiopien, une conférence académique du 3 au 5 juin 2008, dans l’Africa Hall, au siège de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, à Addis-Abeba. Cette conférence portait sur « Les systèmes mondiaux de la reconnaissance du temps et le Temps sacré et leur rapport au Calendrier éthiopien » en l’honneur du même
Otto Neugebauer, auteur notamment de l’« Ethiopian Astronomy and Computus »4.
De telles réflexions sur les différents aspects de la civilisation Ethiopie-Afrique, comme la dynamique des langues et des écritures, ainsi que des cultures Ethiopie-Afrique constituent les conditions du renouveau de divers peuples de ces pays comme ceux des autres. En effet, l’approfondissement de l’histoire de l’Ethiopie à l’occasion du Millénium et la consolidation des valeurs communes de ces pays et de ceux de toute l’Afrique permettra de renforcer la vocation panafricaine et, au-delà, universelle des peuples et des individus dans le respect de l’unité dans la diversité.
A cet égard, il est bon de noter que la civilisation éthiopienne s’articule depuis des siècles autour de quelques valeurs universelles, sur la base desquelles sont élevées des générations d’Ethiopiens qu’elles soient de confessions chrétiennes, musulmanes, juives ou de croyances traditionnelles :
– il s'agit en premier lieu d’un adage populaire qu’on peut traduire approximativement en français par « la religion est une affaire personnelle, le pays est le bien commun » et qui montre que l’Ethiopie était laïque dès sa conversion au christianisme vers 330-350 après J-C ;
– en second lieu, « quand on dit au nom du droit, non seulement la puissance publique mais même l’eau doit s’arrêter. » Quelle plus grande affirmation de la nécessité du respect absolu du principe des droits humains que celle contenue dans cet adage ;
– en troisième lieu, ces deux premiers principes appellent à leur tour « le respect de la religion traditionnelle des ancêtres ». Il s’agit ici des croyances traditionnelles antérieures à la conversion aux trois religions dites « universelles » qui coexistent en Ethiopie. La tradition ici signifie transformation, et donc modernité ;
– enfin, en quatrième lieu, « la crainte et le respect de Dieu ». Ce Dieu étant celui qui conjugue les deux visages qui le constituent en un Être absolu: la Vérité d'un coté, et le Droit de l'autre.
Ces quelques pistes de réflexion vont nourrir des programmes du « Millénium Éthiopien » jusqu'au 1er septembre 2001 du calendrier éthiopien, soit le 11 septembre 2008 du calendrier grégorien et bien au-delà. L’ACMEF s’associera à des initiatives similaires en France et ailleurs. Elle envisage notamment des rencontres dans des villes telles que Charleville-Mézières, berceau du poète Arthur Rimbaud, jumelée depuis 2005 à la ville de Harar, classée au sein du patrimoine mondial de l’UNESCO ; mais aussi à Lyon, Marseille, Hendaye, le Blanc-Menil, etc…, autant de villes partageant des liens forts avec l'Éthiopie.


1 – Voir Cheikh Anta Diop, Apport de l’Afrique à la civilisation universelle, in: Sciences et Philosophie. Textes 1960-1986, ed IFAN Ch.A. Diop, Dakar, Sénégal, 2007, p.66.
2 – Ibid, p.66.
3 – Voir Otto Neugebauer, The Exact Sciences in Antiquity, Harper, New York, 1962, p.81.
4 – Otto Neugebauer, « Ethiopian Astronomy and Computus », Austria, Vienna Academy, 264 pages, 4 plates,1979.


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