La lettre diplomatique

Article – Roumanie
La Lettre Diplomatique N°82 – Deuxième trimestre 2008

Les langues, plus qu’un patrimoine, « un atout économique et culturel qu’il faut cultiver »

Par M. Léonard Orban, Commissaire européen chargé du Multilinguisme

Le 1er janvier 2007, la Roumanie a officiellement fait son entrée dans la famille communautaire. L’adhésion représente très clairement une chance pour la Roumanie qui intègre ainsi un espace économique porteur de prospérité mais aussi un espace social et humain constitué autour de valeurs. Elle enrichit aussi l’Union qui a accueilli un Etat dynamique, riche d’une longue histoire et désireux d’apporter sa pierre à la construction communautaire toujours en mouvement.
L’Europe a pu avancer car elle a toujours respecté les diversités. Parmi celles-ci, la diversité linguistique n’est pas des moindre. Aujourd’hui plus que jamais, notre large éventail de langues est considéré comme une chance et comme une richesse. Nos langues font partie de notre patrimoine commun. Elles constituent aussi un aspect essentiel de la culture et de l’identité de chacun. Elles représentent ce que nous sommes dans toutes nos composantes : notre histoire, nos goûts, notre créativité, etc. Stendhal ne disait-il pas que « le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue » ?
De plus en plus, ce patrimoine est respecté et valorisé. Il s’agit à mon sens d’une mission majeure des politiques publiques. Beaucoup a déjà été fait et la plupart des Etats membres mènent désormais des politiques linguistiques volontaristes visant à protéger et valoriser leurs langues aussi bien sur leur territoire qu’au-delà de leurs frontières. Le Goethe Institut, le British Council, l’Alliance française, pour ne citer qu’elles, sont des organisations bien connues et qui ont fait leurs preuves. La Communauté européenne joue aussi depuis plusieurs années un rôle actif dans le domaine des langues, par des initiatives telles que le programme Lingua, le programme d’éducation et de formation tout au long de la vie 2007-2013 ou encore le programme culture. Je considère que désormais, il convient d’aller plus loin : notre communauté est mûre pour faire un saut qualitatif lié aussi à une conception renouvelée des langues et de leur place dans notre société et dans notre économie. Celles-ci doivent être vues non seulement comme un élément de notre patrimoine qui doit être préserver, mais aussi comme un atout économique et culturel qu’il faut cultiver. Cette nouvelle approche a guidé mon action en tant que Commissaire européen chargé du Multilinguisme.
La création en 2007 de ce portefeuille à l’initiative du Président Barroso avait déjà donné un signal fort de la priorité accordée par la Commission au multilinguisme. En tant que citoyen d’un pays où le multilinguisme est une réalité, je me suis pleinement investi dans cette nouvelle fonction. Je suis particulièrement fier d’avoir été le premier commissaire roumain de l’histoire européenne et d’assumer la responsabilité d’une politique aussi sensible aux yeux des citoyens.
A mon initiative, la Commission adoptera en septembre prochain une communication stratégique sur le multilinguisme. Cette communication doit constituer un nouveau pas de la Commission en faveur des langues, du multilinguisme, et d’une manière plus générale, du respect des diversités.
Cette communication se veut ambitieuse. Son fil conducteur sera le respect et la promotion de la diversité linguistique. Ceci implique bien sûr qu’elle abordera la question de l’éducation et de la formation aux langues, et envisagera la manière de promouvoir l’apprentissage des langues. Elle touchera aussi des sujets moins explorés tels que celui de l’importance des langues en matière de compétitivité, de leur rôle en matière de mobilité et de nouvelles technologies. Elle évoquera l’importance de la traduction qui est « la langue de l’Europe » pour reprendre les mots d’Umberto Ecco. La communication s’intéressera à la situation du migrant et soulignera la nécessité pour le migrant d’apprendre la langue du pays d’accueil pour des raisons d’intégration sociale et professionnelle. Elle considérera aussi l'importance du maintien du lien entre le migrant et sa culture ou sa langue d'origine.
Enfin, cette communication présentera certaines propositions issues de plusieurs rapports de très grande qualité. Ainsi, l’an passé, j’ai souhaité réunir un groupe d’intellectuels présidé par l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, afin de réfléchir aux relations entre multilinguisme et dialogue interculturel. Dans le rapport, intitulé « Un défi salutaire – comment la multiplicité des langues pourrait consolider l’Europe », le concept de l’apprentissage de deux langues étrangères a été développé et approfondi de manière particulièrement créative. A l’issue de la conférence « les langues font nos affaires » de septembre 2007, j’ai également mis sur pied un groupe de travail, le Business Forum, présidé par M. Etienne Davignon. Les propositions de ce groupe, qui viennent d’être rendues publiques, devraient à l’automne prochain susciter des débats fructueux.
Cette communication va établir les fondements de la politique communautaire du multilinguisme pour les années à venir. Elle va ouvrir des chantiers qui nous permettront de continuer à avancer. Au cours de mes rencontres en tant que commissaire, Français et Roumains ont toujours été des interlocuteurs actifs et imaginatifs. Leurs suggestions ont contribué à alimenter la future communication stratégique. Aujourd’hui, je me réjouis de l’initiative qu’a prise La Lettre Diplomatique de se pencher sur ces rapports franco-roumains si étroits et de consacrer ce dossier aux relations entre deux grandes nations dont la place en Europe est si déterminante.


Tous droits réservés ® La Lettre Diplomatique