La lettre diplomatique

Article – Soudan
La Lettre Diplomatique N°61 – Premier trimestre 2003

La Paix : clé de voûte du développement au Soudan

Encore enlisé dans une guerre civile longue de vingt ans, la plus longue du continent africain, le Soudan possède toutefois un potentiel de développement aux perspectives prometteuses. Depuis la levée des sanctions du Conseil de sécurité  en septembre 2001 et la signature le 19 janvier 2002 d’un accord de cessez-le-feu avec les rebelles du SPLA dans les monts Nouba et confirmé par le protocole d’accord conclu à l’été 2002 à Machakos, le Soudan s’est engagé dans une voie d’ouverture, accompagnée d’une volonté de relance économique. Le Président El-Bashir réélu en décembre 2000 s’est ainsi donné à cœur de convaincre la communauté internationale des progrès qu’a accomplis son régime, autrefois tant critiqué.
Certes, la situation économique intérieure reste fragile avec le triplement du déficit budgétaire et la baisse des recettes pétrolières qui sont passées de 400 millions de dollars en 2000 à 200 millions de dollars en 2001 sous le coup du retournement de la conjoncture pétrolière internationale. Elle s’est néanmoins consolidée, tout d’abord par la reprise du contrôle sur la chute du dinar soudanais, qui a perdu de sa valeur dans la première moitié des années 90, avant d’enregistrer un net rebondissement en 1999. Le rythme de la croissance reste soutenu (aux environs de 6%), grâce au regain de l’activité pétrolière, tandis que l’inflation n’a cessé de diminuer depuis 1996, passant de 115% à 4,2% en septembre 2001, malgré une légère reprise en 2002 en raison de la nouvelle politique fiscale du gouvernement. Le secteur manufacturier est passé de 8 à 15% du PIB. Premier producteur et exportateur mondial de gomme arabique, le secteur agricole qui constitue 46% du PIB continu d’être valorisé, grâce à l’encouragement de nouveaux projets dans le secteur sucrier où les entreprises enregistrent les meilleurs rendements au monde, avec une production de 692 000 tonnes de sucre blanc en 2000-2001 : des programmes de développement des cultures sont en cours dans la région de Gezirah entre les deux Nil, notamment celui de la White Nile Co et la Blue Nil Co qui devraient à terme élever la production à 1,2 millions de tonnes. Le pays pourra également compter sur la reprise des exportations de bétail sur pied qui dépassait 100 millions de dollars en 1999, depuis la levée, en décembre 2001, de l’embargo instauré par les Pays du Golfe en 2000 sur les importations des produits d’élevage de la Corne de l’Afrique. Il reste, par ailleurs, des efforts à accomplir en ce qui concerne la couverture du pays en énergie électrique, encore très déficitaire, assurée par la compagnie nationale, la NEC, auprès de laquelle EDF est devenue un consultant privilégié. Toutefois le secteur dispose aujourd’hui d’un ministère à part entière depuis le remaniement gouvernemental d’août 2002 et bénéficie de la mise en place de deux stations thermiques en 2002.  
Le développement du secteur pétrolier constitue de loin, cependant, le facteur de croissance à long terme. Devenu depuis la fin mai 1999, un pays exportateur d’hydrocarbures, le Soudan n’a certes pas encore pu profiter de la manne pétrolière dont la production est assurée par le consortium Greater Nile Petroleum Operating Company. Avec plus d’un milliard de barils de réserves prouvées, il dispose au rythme d’extraction actuel (de 230 000 barils par jour) de vingt-cinq années de production. L’objectif à court terme du Soudan est d’atteindre 300 000 barils par jour, soit l’équivalent de la production du Gabon. Il reste en effet des blocs d’exploitation prometteurs, entre Bentiu et Juba et en mer Rouge, encore inaccessibles pour cause d’insécurité ou de coûts de recherche sismique trop élevés. Aux côtés de cinq autres concessionnaires, la France est d’ailleurs présente dans ce secteur à travers TotalFinaElf, titulaire depuis 1980 du bloc B (119 000 km2), mais qui n’a pu en entreprendre l’exploration en raison de la reprise de la guerre civile en 1983. Depuis 1998, cette présence est complétée par celle de Geoservices, qui offre des services de sous-traitance aux sociétés d’exploration et de production.
La politique de relance du gouvernement inclut également la reprise des privatisations concernant six entreprises : les sociétés Sudatel et Tanneries, la cimenterie Rabak, l’hôtel Friendship Palace et la SFZ gestionnaire des zones franches et de la foire de Khartoum, qui ont déjà fait l’objet d’appels d’offres de cession. La Sudanese State Bank et la Bank of Khartoum devraient bientôt être proposées à la vente. Le gouvernement compte également poursuivre en abaissant sa participation à 26% (39% en 2001) son désengagement commencé avec succès en 1993-1994, du capital de Sudatel, l’opérateur de téléphonie fixe.
Alors que le Soudan n’a plus accès depuis de nombreuses années à la plupart des concours financiers occidentaux, les fonds arabo-islamiques maintiennent leurs interventions notamment à travers le financement des travaux du génie civil de l’important projet de barrage hydroélectrique de Merowe, qui permettrait de produire environ 100 000 MW. Signe particulièrement encourageant, les autorités soudanaises ont par ailleurs marqué leur volonté d’intensifier l’effort de remboursement de la dette extérieure du pays (dont 71 millions de dollars au FMI) en le portant à 136 millions de dollars en 2000. En 2001, cet objectif n’a pas pu être tenu, l’effort étant retombé à 86 millions de dollars. Le FMI a toutefois décidé de réduire la charge mensuelle de la dette de 5,5 millions de dollars en 2001 à 1,5 millions de dollars en 2002, ce qui devrait permettre au Soudan de faire face à ses engagements financiers extérieurs. Pour le rééchelonnement global de la dette extérieure du Soudan, il faut encore attendre le rééchelonnement de la dette au Club de Paris, soumis au soutien de tous les créanciers bilatéraux. Enfin, la perspective d’une levée de l’embargo décrété par les Etats-Unis en novembre 1997 n’est plus aujourd’hui exclue, ce qui pourrait ouvrir de plus larges perspectives en matière d’échanges commerciaux. La clé du développement économique du Soudan reste donc largement conditionnée par la conclusion d’une paix durable, encore difficile à entrevoir, mais dont la dernière avancée s’est soldée en février dernier par la signature d’un accord pour renforcer le cessez-le-feu et d’un mémorandum sur le partage du pouvoir et des richesses, élément central d’une entente pour la paix. C.H.

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