L’irrésistible pouvoir d’attraction de la Chine
Shanghai, Shenzhen, Canton, Pékin et maintenant Chengdu… Autant de symboles de l’ouverture économique chinoise qui séduisent les grands groupes français, de plus en plus nombreux à s’implanter en Chine ces dernières années. Avec un stock d’investissement évalué à 375 millions d’euros en 2002 soit 1,2% du stock d’investissement étranger total, la France occupe le huitième rang des investissements étrangers en Chine, dont le 3ème rang des investisseurs européens derrière le Royaume-Uni (2,4%) et l’Allemagne (1,8%). Les quelque 500 entreprises qui ont jusqu’à maintenant réussi à y prendre place à travers 900 implantations chiffrent la présence française à 5,1 milliards de dollars. Mais aussi importante qu’elle soit, la part de marché française y reste modeste : la Chine demeure en effet la deuxième cible des investissements français en Asie loin derrière le Japon (2,4 milliards d’euros) et ne représente encore que 0,6% des investissements sortants de l’hexagone.
A l’ombre de la fulgurante montée en puissance de la Chine, le rattrapage du retard français sur ce marché a pourtant tendance à s’accélérer. Depuis 1994, les investissements directs français ont ainsi été multipliés par quatre et cette progression n’est pas prête de s’affaiblir selon les sources chinoises qui comptabilisent une hausse de 50% des promesses françaises d’investissement en 2002.1
Si les entreprises françaises se consacrent majoritairement à l’investissement industriel, principalement dans l’industrie chimique, l’automobile et les industries mécaniques, elles s’orientent de plus en plus vers les secteurs des communications, de l’aéronautique et de l’espace, de l’énergie, de l’environnement, de l’agriculture ou de la transformation alimentaire. Après les succès remportés par Michelin, Alcatel et Vivendi en 2001-2002, les grands groupes français ont continué à gagner du terrain en 2003, au premier rang desquels se place Thomson dont le rapprochement avec le groupe chinois TLC International va donner naissance à un des leader mondiaux du téléviseur, TLC-Thomson Electronics. Peugeot s’apprête à faire son retour après sept ans d’absence sur le marché chinois en proposant une version « sinisée » de la 307, tandis que PSA Peugeot Citroën et son partenaire Don Feng Motors ont annoncé un investissement de 600 millions d’euros pour doubler la capacité de production automobile de l’usine de Wuhan, qui devrait la porter à 300 000 véhicules en 2006. L’entreprise d’Etat Luoyong Glass produisant du verre flotté, situé à Qingdao (Nord-est de la Chine) a fait l’objet d’une opération de rachat par Saint-Gobain, représentant un investissement de 60 millions d’euros. Ces trois contrats majeurs conclus en 2003 ont d’ailleurs été officiellement paraphé par le Président chinois Hu Jintao, à la l’occasion de sa visite d’Etat en France. Alcatel confirme quant à elle sa place de premier investisseur français en décrochant une série de contrats de plusieurs millions de dollars auprès principaux acteurs secteur chinois des télécommunications, comme China Mobile ou China Telecom.
Selon une enquête menée par la Direction des Relations économiques extérieures “les facteurs de succès (de l’investissement) résident d’abord dans le contrôle de son partenariat (à moins de bien s’entendre avec son partenaire), dans la maîtrise de sa structure de coûts et dans celle de ses ressources humaines, ainsi que, dans une moindre mesure, dans la technologie de ses produits.“2 Mais pour s’implanter durablement en Chine, les entreprises françaises ont dû aussi consentir à d’importants transferts de savoir-faire et de technologie, comme Alstom ou Veolia, à moins de miser sur le haut de gamme comme Michelin (la voiture et ses accessoires sont perçus en Chine comme un moyen d’ascension sociale) ou LVMH.3 Elles doivent également tenir compte des fortes disparités de pouvoir d’achat entre villes et campagnes, de la multiplicité des micromarchés chinois et des exigences de la demande locale.
La présence française en Chine commence également à diversifier tant les zones que les buts de son implantation. A l’image de Groupama, elle tend ainsi à se développer au-delà de l’opulente côte Est, dans les provinces du centre et de l’ouest où le gouvernement chinois s’efforce de promouvoir l’IDE (investissement direct étranger). Troisième société d’assurances française à pénétrer le marché chinois des assurances, elle a en effet obtenu une licence d’exploitation à Chengdu et Chongqing, qui devrait lui permettre de participer au développement de ce marché, particulièrement sous-développé dans le secteur agricole.
Les groupes français ont par ailleurs montré leur capacité à suivre leurs clients sur le marché chinois, comme Leroy Somer qui a accompagné l’implantation de Caterpillar ou encore Air Liquide, déjà fortement présent en Chine, dont la joint-venture qu’elle détient avec Praxair, la Shanghai Chemical Industry Park Industrial Gases Company (SCPIG), a conclu deux contrats : l’un avec BASF Chemical Co pour la fourniture d’hydrogène sur le site de Caojing en cours de construction et l’autre avec Shanghai SECCO Petrochemical Co Ltd pour la fourniture d’azote sur son futur site de craquage d’éthylène.
Motivée en grande partie par le marché local, l’implantation peut également l’être, mais dans une moindre mesure, par les possibilités de réexportation. Le projet de joint-venture entre Péchiney et la société Baotaou Aluminium Co. pour la construction d’une unité de fabrication d’aluminium à Baotou (Mongolie Intérieure) en constitue un bon exemple puisqu’il devrait permettre d’approvisionner les marchés asiatiques et notamment le Japon.
La coopération économique et commerciale demeure malgré tout insuffisamment exploitée et encore trop affectée par les clichés de part et d’autre, la France étant, par exemple, encore perçue sous l’angle restrictif du luxe ou du savoir-vivre. La Chine de son côté ne maque pourtant pas d’atouts, d’autant plus que la réputation de marché peu rentable qui prévalait dans les années 1990, tant de plus en plus à s’estomper. Selon la Banque de France, les revenus des investissements français en Chine sont en effet repartis à la hausse depuis 1999, après avoir été négatifs de 1995 à 1998. Les faibles coûts de la main-d’œuvre, la stabilité politique et sociale, l’attrait du marché local avec une taille potentielle immense et l’existence d’une classe moyenne de 200 à 400 millions de consommateurs dont le pouvoir d’achat progresse, en font un des tout premiers marchés mondiaux. Après une hausse des IDE de 16% en 2001 et de plus de 12,5% en 2002, la Chine s’est en effet affirmée comme un pôle d’attraction en plus d’être un pôle de croissance (7% à 9% par an en moyenne), dont le taux a frôlé les 10% au dernier trimestre 2003. En dépassant les 50 milliards de dollars de stock d’IDE, elle a même surclassé les Etats-Unis. Cet essor devrait d’ailleurs se poursuivre, malgré le ralentissement provoqué par l’épidémie du SRAS, les IDE devant avoisiner les 60 milliards de dollars en 2003.4
Pour continuer à enregistrer de telles performances, les autorités chinoises s’efforcent d’améliorer l’environnement des affaires, localement encore très compliqué et personnalisé. La mesure la plus importante est, à cet égard, le démantèlement du ministère du Commerce extérieur et de la Coopération économique (MCECE) dont la charge de délivrer les autorisations d’investissement étranger aux niveaux municipal, provincial et local, est dévolue au nouveau ministère du Commerce (MOFTEC) depuis le 25 mars 2003. Les investisseurs étrangers ne devraient donc plus être confrontés aux difficultés induites par l’hétérogénéité des décideurs de l’IDE à chaque échelon du gouvernement.
L’essentiel de la stratégie chinoise de promotion de l’IDE repose sur des avantages fiscaux et douaniers, mais aussi sur des mesures comme des facilités d’approvisionnement de devises ou un accès privilégié aux infrastructures locales. Si les plaintes subsistent à l’égard de l’absence de protection juridique de l’investisseur et des droits de propriété, des pesanteurs administratives, d’une application variable des règlements et de la corruption, il est toutefois indéniable que l’environnement commercial s’améliore de plus en plus. En outre, si le gouvernement chinois continue à soigneusement contrôler l’orientation de l’IDE, de nouveaux secteurs commencent aussi à s’ouvrir. De plus, en consentant à d’importants engagements par son adhésion à l’OMC fin 2001, la Chine a encore élargi sa capacité d’attraction. Alors que d’importantes réformes étaient déjà engagées dans le sens d’une baisse des tarifs douaniers et de la simplification du système commercial, l’effort s’est depuis particulièrement porté sur l’assouplissement du cadre de l’investissement et l’ouverture des services. Mais si l’OMC a contraint la Chine à adapter l’essentiel de sa législation commerciale aux normes internationales, elle a également servi de porte-étendard à ces vastes chantiers de réformes. Ceux-ci constituent en fait le couronnement de la politique d’ouverture économique amorcée dès 1978 et la consécration de l’“économie socialiste de marché“.
Désormais, les autorités françaises et chinoises se tournent vers la promotion de la coopération entre PME-PMI, dont l’entrée sur le marché chinois reste difficile étant donné les importants coûts qu’elle implique pour l’apport de capital, le recrutement et la formation. La mise en place d’un dispositif sur deux ans pour leur en faciliter l’accès par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) en partenariat avec les responsables français du commerce extérieur et le Conseil chinois pour le développement du commerce international (CCPIT) constitue à cet égard une avancée notable. Français et Chinois comptent également sur l’effet d’entraînement des multinationales. De ce point de vue, la coopération décentralisée (déjà bien développée avec 44 jumelages de villes, provinces et régions) peut aussi être amenée à jouer un rôle non-négligeable : la région Lorraine participe ainsi au “Programme sino-français de formation coopérative du personnel technique spécialisé d’usage international“ récemment mis en place à Wuhan (province de Hubei) en collaboration avec le Département de l’Education du Hubei, la société automobile Shenlong et l’Institut de formation technique et professionnelle. Le dynamisme des échanges économiques et commerciaux devrait pouvoir s’intensifier à l’approche des Jeux olympiques de Pékin, dont la préparation est d’ores et déjà en marche. Dans le contexte de la célébration du 40ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques et de l’organisation des “Années culturelles croisées“ lancées en octobre 2003, l’année qui s’ouvre s’annonce en tous cas comme une année particulièrement fructueuse pour les relations sino-françaises. Aux piliers économique et politique, déjà très actifs, du “partenariat global“ est en effet associé le nécessaire pilier culturel, essentiel à l’épanouissement des échanges entre deux peuples. C.H.
1 – MINEFI-DREE/TRESOR, Mission économique de Pékin, « Chine : Investissements directs étrangers et présence française en 2002 », 24/10/03.
2 – DREE, « Investissements français en Chine : Bilan et Perspectives », 2002.
3 – L’Expansion, Gilles Fontaine/ Gilles Tanguy, « Ces Français qui percent la muraille », novembre 2003.
4 – MINEFI-DREE/TRESOR, Mission économique de Pékin, « L’investissement direct étranger en Chine en 2002 », 22 octobre 2003.
6 – Ce programme étant le prolongement de la coopération entre le groupe automobile Dongfeng et le groupe Peugeot-Citroën
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