La lettre diplomatique

Article – Arménie
La Lettre Diplomatique N°79 – Troisième trimestre 2007

L’Arménie et Alfortville, une longue amitié

Par M. René Rouquet, Député du Val de Marne et Maire d’Alfortville

En France, nous sommes nombreux à nous efforcer d’œuvrer, en toutes circonstances, pour préserver la mémoire du peuple arménien, et à vouloir réaffirmer à la fois l’exigence de reconnaître le génocide de 1915, ainsi que la nécessité de légiférer, pour pouvoir punir ceux qui en nient l’existence. De même, il est aussi de notre devoir de répondre aux attentes de l’Arménie, en termes de partenariats, de coopération et de développement.
Alfortville, « la Petite Arménie » a, de longue date, édifié ce pont symbolique avec nos amis Arméniens, et nous avons déjà accompli ensemble de grandes choses sur le chemin de la fraternité et de la mémoire, de la coopération et de la solidarité.
En ce qui me concerne, cette Histoire est déjà riche d’étapes particulièrement marquantes et je retiendrai en premier lieu, bien sûr, la loi sur la reconnaissance du génocide arménien de 1915, dont j’avais eu l’honneur d’être le premier rapporteur à l’Assemblée nationale en 1998, bien avant qu’elle ne soit officiellement votée au Parlement puis promulguée en 2001. Mais au-delà de cette date particulièrement symbolique, et des combats législatifs passés ou qui restent à mener, en particulier pour voter la loi qui permettra de pénaliser la négation du génocide arménien, l’amitié entre la France et l’Arménie se construit aussi au quotidien dans nos collectivités. Je pense bien sûr à notre relation fructueuse de confiance avec nos compatriotes d’origine arménienne qui œuvrent à nos côtés, au sein de la diaspora et des nombreuses organisations ou associations qui ont été, légitimement, mises à l’honneur au cours de l’Année de l’Arménie.
Notre longue histoire d’amitié se nourrit également de nos échanges, dans le cadre de nos relations de jumelages et de nos séjours en Arménie. Récemment, j’ai accompagné mon collègue le Premier secrétaire du Parti socialiste François Hollande du 5 au 7 septembre dernier à Erevan à l’invitation de nos amis de la FRA Dachnaktsoutioun. Avec les membres de notre délégation, le député de Seine-Saint-Denis Bruno Le Roux, des représentants du secteur International du PS, de la FRA Dachnaktsoutioun pour l’Europe occidentale et du Comité de défense de la Cause arménienne, nous avons eu de fructueux échanges avec le Premier ministre de la République d’Arménie Serge Sarkissian, le Ministre des Affaires étrangères Vartan Oskanian et le Vice-Président de l’Assemblée nationale Vahan Hovhanessian. Tous ont salué la qualité des relations entre la France et l’Arménie, et ont appelé de leurs vœux le renforcement de partenariats dans certains domaines comme l’éducation et la francophonie. Au-delà de cette solidarité de cœur avec le peuple arménien, chacun de nous a pu apprécier au cours de ce bref séjour l’opportunité qui nous était donnée, de réitérer notre amitié et nos liens fraternels à l’égard de l’Arménie. A cet égard, nos interlocuteurs ont remercié les socialistes français d’avoir été à l’origine de la proposition de loi sur la reconnaissance du génocide arménien et, plus récemment, de l’examen du texte sur la pénalisation de la négation du génocide, en dépit des protestations véhémentes d’Ankara.
Au titre des temps forts de ce séjour nous avons également eu l’honneur d’être accueillis par le Président de la République d’Arménie, mon ami Robert Kotcharian. Cette rencontre, effectuée au lendemain du scrutin législatif arménien, et au moment où l’Arménie s’apprête à entrer en campagne pour l’élection présidentielle prévue au printemps 2008, nous a permis d’avoir des échanges éclairés sur la situation du pays, comme sur l’évolution du contexte et des relations politiques régionales avec l’Iran, la Turquie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Les liens entre l’Arménie et la France étaient bien sûr à l’ordre du jour de notre entretien avec le Président Kotcharian. Des liens d’amitié qui, nous a-t-il lui-même indiqué, « se renforcent d’année en année » et « englobent de nouveaux domaines ». François Hollande a précisé quant à lui, au nom des socialistes français, que nous étions prêts à aider l’Arménie à l’exécution de nouveaux programmes et à développer la coopération entre nos deux pays.
A ce titre, nous sommes nombreux à être attentifs, parmi mes collègues maires ou parlementaires, au renforcement des conditions d’un développement harmonieux en Arménie. C’est particulièrement le cas dans le cadre de nos relations de jumelage, qui vont trouver une nouvelle concrétisation, au travers de la construction prochaine d’un équipement initié par Alfortville. En octobre 2007, nous sommes d’ailleurs retournés sur place à Ochagan, pour suivre l’avancement du chantier de cette structure où seront, notamment, accueillis les élèves des classes de français qui ont été ouvertes dans notre ville jumelle en Arménie, dans le cadre de notre coopération pour l’enseignement de la langue française.
Enfin, je ne puis conclure cette tribune, sans évoquer la situation internationale au regard de l’Arménie, et, particulièrement, notre position vis-à-vis de la Turquie, car il me paraît en effet indispensable de rappeler que la reconnaissance du génocide arménien reste, plus que jamais, à mes yeux, la condition à une éventuelle adhésion de ce pays à l’Union européenne. A ce titre, qu’il me soit ici permis d’exprimer à titre personnel mon émotion et, pour parler clairement, ma très vive inquiétude, à voir certains responsables politiques du gouvernement ou de la majorité présidentielle, laisser désormais planer le doute sur la question du référendum. Alors que la question du processus d’adhésion de la Turquie semblait devoir être réglée depuis plusieurs mois, et alors même que le candidat à l’élection présidentielle Nicolas Sarkozy en avait fait « une question de principe » lors du débat démocratique du printemps dernier, une perspective radicalement différente semble se dessiner actuellement : à entendre certains représentants de la diplomatie française tester les réactions en envisageant de faire « sauter le verrou » du référendum et de s’acheminer vers sa suppression pure et simple, qui était pourtant obligatoirement préalable à une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne. La fermeture, que l’actuel Président de la République prônait avant d’être élu, se voit du jour au lendemain, compromise. Pour la Turquie, tout redeviendrait possible ! Dans la période qui s’ouvre, je pense que nous serons nombreux à vouloir demander au chef de l’Etat et au gouvernement des éclaircissements, sur la position de la France vis-à-vis du processus d’adhésion de ce pays, car nul n’a oublié, toutes ces dernières années, les multiples revirements, liés à la « réal politique », aux pressions économiques et aux intérêts financiers qui sont en jeu… C’est désormais à cette mission, que tous les amis de la cause arménienne devront désormais s’atteler en France, malgré les difficultés de la tâche que nous mesurons tous !

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