La lettre diplomatique

Article – Le partenariat franco-russe
La Lettre Diplomatique N°79.1 – Quatrième trimestre 2007

La coopération décentralisée : une valeur sûre, une voie d’avenir

Par M. Pierre Pougnaud,
Conseiller technique à la Délégation pour l’Action extérieure des collectivités locales du Ministère des Affaires étrangères, Président en exercice du Collège européen des Experts en administration publique (CEEAP-ECEPA).

Les relations franco-russes sont marquées au sceau du paradoxe. Une profonde communauté de pensée dans le domaine culturel et des initiatives souvent convergentes sur la scène diplomatique ne s’accompagnent pas d’une présence à la hauteur des attentes tant dans le domaine des échanges économiques que dans celui de la coopération entre autorités régionales et locales.
Or, à bien des égards, la France et la Russie se ressemblent dans leur approche des enjeux territoriaux. Chacun des pays, à son échelle, est vaste et ne peut négliger les questions d’aménagement et d’infrastructures de communication. Toutes deux ont été longtemps gouvernées sous un mode centralisé, dont elles gardent de nombreuses caractéristiques. Depuis trois ans, la Russie s’est lancée dans une réforme ambitieuse des structures communales et infra-régionales, le tout dans un contexte qui fait une place au renforcement de « la verticale du pouvoir », approche qui n’est pas toujours facile à décrypter pour les élus locaux français désireux de s’impliquer dans une relation suivie avec un partenaire russe.
Un peu plus de 60 jumelages, concernant essentiellement des villes, sont recensés, une part appréciable d’entre eux remontant à l’époque soviétique, d’autres ayant été conclus au tout début des années 1990. Ils portent le plus souvent sur les domaines culturel, éducatif et sportif, avec toutefois dans certains cas une coopération en matière de gouvernance urbaine, ce qui constitue une piste d’avenir. Ils s’appuient parfois sur des échanges universitaires, sachant que plus de 250 accords inter-universitaires existent entre établissements français et russes, et que le nombre des apprenants du français en Russie est considérablement supérieur à celui des Français apprenant le russe.
Plus récemment, le Gouvernement a entendu favoriser des échanges entre régions françaises et sujets de la Fédération, ce qui s’est traduit par l’adoption d’une Déclaration commune en date du 3 octobre 2003, à l’occasion d’une visite de M. Raffarin, alors Premier ministre, à Moscou. Ce document a conféré une plus grande visibilité institutionnelle aux échanges existants, mais, à l’exception d’un partenariat de référence entre la région Champagne-Ardenne et l’oblast d’Orel, n’a pas encore donné lieu à des développements vraiment nouveaux. Cependant, la Russie est expressément citée dans les pays prioritaires mentionnés en annexe du Document d’orientation approuvé en réunion interministérielle le 3 mars 2006 et communiqué aux associations nationales de collectivités territoriales.
Pour aller plus loin, des stratégies nouvelles sont proposées aux acteurs locaux. Tout d’abord, insister sur des coopérations thématiques tenant compte des caractéristiques et avantages comparatifs des collectivités partenaires, notamment en les faisant porter sur les priorités « Pôles de compétitivité ». Ensuite, rechercher une meilleure articulation avec les partenaires économiques, universitaires et de recherche. Pour ce faire, les régions, départements, communes et leurs groupements peuvent mieux s’appuyer sur la présence en Russie d’un réseau actif et en expansion d’Alliances françaises, leur permettant des actions en dehors d’un pôle d’attraction que constitue la métropole moscovite.
Mais c’est aussi enrichir le contenu des coopérations en les faisant porter sur des sujets plus actuels et plus directement liés aux grands enjeux de la gouvernance locale et régionale (services d’intérêt économique général, finances publiques locales, formation des élus et des personnels, transports…), ainsi qu’à l’environnement et au développement durable (efficacité énergétique…) et à l’ingénierie touristique ; certaines de ces opérations de conseil et de soutien dirigées vers les maîtres d’ouvrage peuvent être porteuses de retombées économiques au profit des opérateurs français.
Un séminaire tenu au Sénat le 15 février 2007, en s’appuyant sur « Dialogue Franco-Russe », l’association créée il y a deux ans et co-présidée par M. Louis Schweitzer, a permis une identification plus précise des pistes d’avenir. L’idée d’un Fonds franco-russe de coopération décentralisée a été lancée, et a rencontré un accueil intéressé de hautes personnalités russes, notamment M. Sergueï Naryshkine.
En conclusion, il s’agit de donner aux collectivités territoriales de vraies motivations de s’engager dans un partenariat rénové avec leurs homologues russes, autour d’enjeux mieux définis et plus actuels. Les « bonnes raisons » qu’elles ont parfois de ne pas privilégier la Russie (existence de nombreux liens avec d’autres pays, motifs politiques, préjugés entretenus dans l’opinion française à l’encontre de la Russie, mais aussi signaux jugés négatifs donnés par l’autorité centrale russe vis-à-vis de la décentralisation, comme les gouverneurs nommés) devraient être dissipées à la lumière de l’intérêt considérable d’être présent dans le processus rapide, sinon toujours déchiffrable, d’évolution de ce grand pays. Cela requiert donc un effort considérable d’information et sans doute une aide spécifique de l’Etat, suivant des formes à définir rapidement.
L’année 2007, officiellement « Année de la langue russe », et préludant aux « Années croisées franco-russes » de 2009 et 2010, correspond à une bonne « fenêtre de lancement » pour une coopération franco-russe modernisée et tournée vers les intérêts d’avenir des territoires : développement durable, services au citoyen, technologies avancées, approches fondées sur les avantages comparatifs. Cette métaphore spatiale est d’autant plus indiquée qu’au moment où cet article paraît une toute nouvelle coopération se fait jour, cette année même, entre la communauté d’agglomération d’Evry, un des sièges de la SNECMA, et la ville de Rybinsk, pôle aéronautique de Saturn…

 
La Russie et la Champagne-Ardenne

La coopération décentralisée entre la région de Champagne-Ardenne et la Russie a débuté en 1991 avec l’oblast d’Orel (situé à environ 400 km au sud-ouest de Moscou).
Cette coopération s’est développée à partir des relations entre l’Université de Reims et les trois universités d’Orel. Le viatique fut Alexis Tourgueniev, né à Orel, connaissant la France et la langue française. En effet, dans cette région russe, de nombreux étudiants ont appris le français dès l’école primaire et ont continué à l’étudier à l’Université.
Le Conseil régional de Champagne-Ardenne a décidé de conforter cet apprentissage du français en offrant des bourses d’études à une trentaine d’étudiants chaque année ; toutefois, avec la progression de la coopération, ce ne sont plus seulement des futurs professeurs de langue française qui sont accueillis tous les ans, mais également des étudiants en master (PECO, économie, droit et médecine), en lycées professionnels (agronomie, hotellerie, tourisme). Le Conseil régional a souhaité prendre au sein de ses services des stagiaires russes en formation pour que les liens entre les deux collectivités soient pragmatiques et concrets.
La volonté des élus champardennais et russes a amélioré la coopération en développant d’autres thématiques, allant des échanges de savoir-faire entre agriculteurs, en passant par l’aide à la mise en place au sein de l’oblast de services sociaux pour l’insertion professionnelle et la prévention de la délinquence, les échanges culturels et le développement du tourisme rural.
Après 15 années de coopération continue, on peut constater l’exemplarité de cette coopération, malgré la difficulté de mener une coopération économique plus importante, le secteur de l’agriculture étant le seul qui s’est développé notamment dans le domaine de la betterave et du malt.
La permanence sur une longue période de bonnes relations entre les représentants de la Champagne-Ardenne et de l’Oblast d’Orel devrait permettre d’élargir le champ de leur coopération.

Tous droits réservés ® La Lettre Diplomatique