Réforme économique et volontarisme politique
Dix ans après la crise financière qui a touché les pays d’Asie du Sud-Est en 1997-1998, l’Indonésie connaît un renouveau sous l’impulsion du président réformateur Susilo Bambang Yudhoyono. Son élection en 2004 a marqué le renouvellement de la classe politique, mais aussi un changement de cap dans la gestion des affaires rendu nécessaire par la situation économique et les menaces sur la stabilité du pays. En effet, l’archipel peine alors à se relever de la crise financière, tandis que les séparatismes continuent d’agiter certaines provinces et que les attentats terroristes succèdent aux catastrophes naturelles.
Trois ans plus tard, le volontarisme de « SBY » comme l’appelle les Indonésiens a porté ses fruits. L’accord d’Helsinki du 15 août 2005 a mis fin au conflit qui opposait depuis trente ans le gouvernement au Mouvement d’Aceh libre dans la province du nord de Sumatra, par ailleurs riche en hydrocarbures. La lutte contre le terrorisme, autre menace pesant sur la cohésion nationale, a été conduite avec efficacité. Dernier aboutissement de cette traque pour démanteler les réseau terroristes, les autorités indonésiennes ont annoncé le 13 juin dernier la capture de Zarkasi, considéré comme le chef de la Jemaah Islamiah, et d’Abu Dujana, chef de la branche armée de l’organisation. La croissance se maintient avec 5,7% en 2005, 5,6% en 2006 et des prévisions pour 2007 de 6%. La maîtrise du déficit budgétaire a permis de stabiliser le rupiah et ainsi de juguler l’inflation. Montée à 18% en février 2006, elle semble désormais contenue à 6-7%. Sur le plan des échanges extérieurs, les exportations, principal moteur de la croissance, ont franchi pour la première fois les 100 milliards de dollars en 2006.
L’assainissement de l’économie répond à la priorité que s’est fixée le gouvernement de redonner confiance aux investisseurs étrangers. SBY s’est ainsi attelé à intensifier la lutte contre la corruption et à engager des mesures en faveur de l’amélioration de l’environnement des affaires. Les signes d’encouragement sont venus avec la mise en œuvre de réformes structurelles notamment de la fiscalité et des douanes. En revanche, la proposition d’une réforme du code du travail n’est pas allée sans entraîner une levée de bouclier des syndicats. En abaissant les indemnités pour perte d’emploi et en allégeant les démarches d’embauche et de licenciement, cette réforme remet en cause certains acquis de loi adoptées en 2003. Elle est d’autant plus périlleuse que la situation sociale est un des points faible du pays : près de 35% des actifs sont au chômage ou sous-employés alors qu’un sixième de la population vit dans la pauvreté. En revanche, le parlement indonésien a voté en mars dernier une nouvelle loi sur l’investissement consacrant l’égalité de traitement entre investisseurs nationaux et étrangers.
La dynamique insufflée par SBY pour séduire les multinationales étrangères s’est également traduite par les prises de positions du président indonésien lui-même, en intervenant par exemple en faveur de la compagnie pétrolière américaine Exxon Mobil face à l’entreprise d’Etat Pertamina, sur l’exploitation du gisement de Cepu. Ces efforts payent : après la vague de désinvestissement de 2003, les flux d’investissements étrangers directs sont en constante progression. Ils sont ainsi passés de moins de 1,9 milliards de dollars en 2004 à plus de 5,2 milliards en 2005. Toutefois, le report de certaines mesures s’est déjà fait sentir en 2006, avec une baisse des flux qui s’élèveraient à 4,5 milliards de dollars pour les dix premiers mois de l’année 2006. Mais, le plus important reste que le rôle des entreprises étrangères dans l’économie indonésienne s’est notablement accru : elles participent ainsi à 7,7% du PIB et leur contribution à la formation brut de capital fixe est passée de 1,9% en 2004 à 8,5% en 2005 selon la CNUCED. L’Agence nationale de coordination des investissements (BKPM) estime pour sa part qu’elles ont généré plus de 156 100 emplois tandis que l’investissement national a permis la création de 122 750 emplois supplémentaires en 2005.
Sur le papier, le géant indonésien dispose de tous les atouts pour s’affirmer comme l’une des grandes puissances économiques de demain. Pourtant, des incertitudes continuent de peser sur le climat économique. Pour certains économistes, il s’agit maintenant de passer à la vitesse supérieure. La croissance du PIB en 2006 est tout juste suffisante pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail. En reconnaissant la nécessité essentielle des investissements étrangers pour atteindre le potentiel économique du pays, le président indonésien les identifie comme un puissant levier pour consolider les infrastructures du pays et renforcer ainsi la compétitivité nationale dans un contexte de forte concurrence entre les « tigres » de la région. Une révision à la hausse du déficit des finances publiques dans le budget 2007 pourrait d’ailleurs intervenir pour répondre aux besoins d’investissements, notamment en matière d’infrastructures. Après la restructuration du secteur bancaire en revanche, peu de projets de privatisation dans le secteur industriel sont pour l’heure envisagés. A deux ans de la fin de son mandat, SBY mise également sur les capacités propres de l’archipel. Celui-ci dispose en effet de ressources considérables notamment agricoles, énergétiques et minières, dont la hausse des prix ces dernières années pourraient profiter à la consolidation de l’appareil de production industriel. Ces bonnes perspectives se confirment notamment avec la décision de Total d’investir 6 milliards de dollars sur cinq ans en Indonésie, d’où le Président Directeur général du groupe pétrolier français, Thierry Desmaret, a fait l’annonce en janvier dernier. Première entreprise productrice de gaz et troisième de pétrole du pays, Total compte accroître ses capacités de production et d’exploration en particulier dans la région de Kalimantan, sur l’île de Bornéo. C’est aussi la première entreprise de l’Hexagone présente sur l’archipel, aux côtés d’autres grands groupes comme Danone qui est devenu le leader indonésien et asiatique des eaux en bouteilles, Carrefour qui compte ouvrir en 2007, huit nouveaux hypermarchés qui viendraient s’ajouter aux 27 qu’il a créés depuis 1998. Dans le tourisme, secteur économique majeur pour l’Indonésie, Accor détient la première chaîne hôtelière et a encore renforcé sa présence avec l’ouverture d’hôtels de type F1 en 2006. Enfin, le groupe d’extraction de minerai Eramet a fait son entrée sur le marché indonésien au travers de sa filiale canadienne Weda Bay Minerals Inc, où il exploitera le gisement de nickel des Moluques, figurant parmi les plus importants du monde. L’implantation française ne se limite pas non plus aux grands groupes, puisque des petites et moyennes entreprises sont présentes dans une grande variété de secteurs d’activités en Indonésie. Une implantation solide donc, en dépit d’une contraction de 57 millions d’euros des investissements français en 2005, mais qui devrait pouvoir s’affirmer dans les années à venir, avec la poursuite des réformes économiques.2 La confirmation d’une implantation industrielle en Indonésie que le constructeur automobile français Renault serait en train d’étudier, apparaîtrait de ce point de vue, de bonne augure. C.H.
1 – Asia Times, Federico Bordonaro, 19/05/06.
2 – Source statistiques économiques DREE/MINEFI sauf indiqué.