Ghana : étoile montante de l’Afrique
A peine le 9ème sommet de l’Union africaine vient-il de s’achever à Accra, que les Ghanéens s’activent pour mettre la dernière main aux préparatifs de la Coupe d’Afrique des Nations. Cet enthousiasme est à l’image du dynamisme de l’économie ghanéenne. Le renouveau impulsé depuis huit ans par le Président John Kufuor commence à porter ses fruits. Le Ghana fait même figure d’îlot de stabilité et de développement dans une Afrique de l’Ouest bouleversée par les crises politiques et les guerres civiles. A l’image de l’Afrique du Sud, elle incarne cette autre facette de l’Afrique qui fait sienne les vertus de la démocratie et du réalisme économique. Il est d’ailleurs heureux que ce soit cette facette que l’Union africaine ait finalement choisie de mettre en avant au moment où le projet panafricain traverse une étape charnière pour son avenir. Tout un symbole, 50 ans après que le Dr Kwame Nkrumah ait proclamé l’indépendance du premier pays subsaharien.
« L’âge d’or des affaires »
Sur la route qui longe les côtes ghanéennes entre Accra et le port de Tema, les King’s Cottage poussent comme des champignons. Ces petites villas résidentielles appartiennent souvent à des expatriés qui perçoivent les nouvelles opportunités d’affaires qu’offre leur pays. L’essor de la consommation séduit également les exportateurs étrangers, témoins des besoins de plus en plus diversifiés et exigeants de la classe moyenne émergente, mais également d’un secteur privé en expansion. Lorsqu’il arrive au pouvoir après avoir remporté les élections de novembre 2000, le Président John Kufuor annonce « l’âge d’or des affaires ». Son programme résolument libéral vise à redresser une économie affaiblie, en changeant de modèle économique, estimant que « le système étatique a échoué au Ghana »1. Il veut faire de l’initiative privée le moteur de l’économie à l’appui d’une stratégie de réduction de la pauvreté mise en œuvre en 2003 et reconduite pour la période 2006-2009. En 2005, le gouvernement ghanéen lance également une « politique nationale du commerce » pour renforcer la compétitivité internationale du pays, cherchant à favoriser l’intégration économique au sein de la CEDEAO et à soutenir le développement des commerces locaux et des entreprises exportatrices, notamment en zone rurale.
Le rythme de la croissance a ainsi été rehaussé, avec une moyenne de 5,5% par an et oscille désormais autour de 6%. L’inflation a été ramenée de 25% en 2000 à 11% en 2006, malgré la hausse des cours du pétrole et grâce à une politique monétaire prudente. Après avoir enrayé la chute de la devise nationale, le cédi, le gouvernement a lancé à partir de juillet une nouvelle monnaie plus forte pour faciliter les échanges. En revanche, le coût du pétrole a continué de creuser le déficit commercial avec des importations en hausse de 31,9% en 2005, alors que les exportations n’enregistrent qu’une progression de 4%. Par ailleurs, l’aide extérieure et l’afflux de capitaux ont permis le maintien d’un solde positif de la balance des paiements en 2005, avec un excédent de 86,7 millions de dollars. Fin 2005, les réserves internationales du pays s’élevaient à 1,6 milliard de dollars, l’équivalent de trois mois d’importations de biens et services.2 Autre signe de l’amélioration de la situation financière, le lancement du premier emprunt international de souveraineté du Ghana, d’une valeur de 500 millions de dollars en bons du Trésor émis sur le marché international des capitaux.
Parallèlement à l’économie ghanéenne, l’ancienne Côte de l’Or s’est maintenu au rang de deuxième producteur mondial de cacao (538 109 tonnes récoltées en 2004-2005) et de deuxième producteur africain d’or. Les deux grands ports ghanéens, Tema et Takoradi ont également su tirer profit de la crise ivoirienne, devenant la meilleure alternative pour les exportations des pays enclavés de la région, avec des flux de trafic passant de 9 millions de tonnes en 2000 à 14 millions en 2006. L’exploitation forestière, la construction ou le tourisme sont en plein essor. Le secteur touristique est d’ailleurs devenu la troisième source de devises pour le pays. Selon le ministère ghanéen du Tourisme et des Relations avec la diaspora, 428 533 touristes ont visité le pays en 2005, dont 44% proviennent de pays africains et un tiers d’Europe. L’objectif est d’atteindre le million de touristes en 2007, en attendant la Coupe d’Afrique des Nations 2008.
A la faveur de cette nette amélioration du climat des affaires et d’une vague de privatisation, notamment dans le secteur des services (l’eau et les télécommunications) et celui des mines, le marché ghanéen attire de plus en plus d’investisseurs étrangers. Le groupe français Air Liquide a par exemple choisi de transférer sa direction régionale pour l’Afrique de l’Ouest d’Abidjan à Accra. D’une manière générale, les flux d’investissements directs étrangers (IDE) enregistrent une reprise progressive depuis 2003, s’élevant à 156 millions de dollars en 2006, avec une opérations marquante, l’entrée de l’américain Alcoa dans le capital de la Volta Aluminium Company (Valco). Le stock d’investissement étranger a atteint un niveau record de 2,4 milliards de dollars, selon les statistiques du Centre de promotion de l’investissement du Ghana (GIPC), qui a mis en œuvre 238 projets au cours de l’année. De belles perspectives restent également ouvertes. Le Ghana a signé en juin 2006 un protocole d’accord avec le groupe canadien Alcan pour l’exploration de la faisabilité du développement d’une mine de bauxite et des facilités de production de l’aluminium qui nécessiterait un investissement de l’ordre de 2 milliards de dollars. Côté privatisations, d’importants projets sont à l’étude comme l’ouverture du capital de la Tema Oil Refinery (TOR).
« Zéro tolérance pour la corruption »
L’autre credo du Président John Kufuor est la promotion de la bonne gouvernance, au travers d’une volonté de rationalisation et de transparence dans la gestion des affaires. Il engage une politique de lutte contre la corruption, dont les résultats demeurent certes modestes si l’on s’en réfère au Rapport annuel sur la corruption de Transparency international, qui établit l’indice de perception de la corruption à 3.3 sur une échelle de 0 à 10 (10 étant la perception la plus basse). Le Ghana est en outre le premier pays a avoir franchi avec succès les cinq étapes du mécanisme africain d'évaluation par les pairs (MAEP) en janvier 2006.
A la rigueur économique et à l’ouverture au libéralisme, il ajoute au premier rang de ses préoccupations budgétaires la réduction du ratio de la dette qui est passé de 119% en 2001 à 72.5% en 2004. Un programme d’action qui suscite la confiance et le soutien de la communauté internationale et des bailleurs de fonds, en dépit du dérapage volontaire et assumé des dépenses publiques. Grâce aux réformes structurelles entreprises, le Ghana atteint en juillet 2004 le point d’achèvement au titre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) qui permet un allègement conséquent de la dette, complété avec l’Initiative d’allègement de la dette multilatérale lancée en 2005 par le groupe des huit pays industrialisés (G8) réuni à Gleaneagles, en Ecosse, et mise en vigueur en 2006. Avec l’appui du Président Georges Bush, le Ghana a d’ailleurs rejoint le groupe restreint des Etats africains invités à participer au G8, lors de ce sommet. Il entre également en 2005 dans l’initiative américaine du Millenium Challenge Account, doublant quasiment le montant de l’aide des Etats-Unis et au titre de laquelle le pays bénéficie de 547 millions de dollars sur cinq ans, principalement destinés à améliorer le secteur agricole et, plus particulièrement, les installations de manutention post-récolte des fruits et légumes. Au total, l’encours de la dette extérieure du Ghana est passé de 6,4 milliards de dollars à 1,5 milliard.
Des partenariats diversifiées, une francophilie affichée
Préférant le commerce à l’aide des pays développés, le Président Kufuor a fait de la « diplomatie économique » l’un des axes fondamentaux de sa politique étrangère. Accra consolide ses relations avec la Grande-Bretagne qui reste son principal partenaire commercial et développe en outre de forte relations de coopération avec les géants indiens et chinois qui ne tardent pas à se convertir en afflux de capitaux. La construction du barrage hydro-électrique de Bui et d’une centrale de 400 MW par la compagnie Sinohydro Company of China, dont le contrat de 600 millions de dollars a été formalisé le 19 avril dernier, représente ainsi le plus important investissement chinois au Ghana.
Situé en plein cœur de l’espace francophone ouest-africain, le Ghana de John Kufuor n’est pas non plus indifférent aux atouts qu’il peut tirer d’une relation renforcée avec la France ; relation que le Président ghanéen qualifie volontiers de « stratégique ». L’intérêt est doublement partagé par les deux pays. Il s’agit pour l’un d’approfondir les liens avec les pays de la zone CFA et pour l’autre d’élargir son influence au-delà de l’espace francophone africain. Ce d’autant que le Ghana, assurant pour la deuxième fois la présidence de la CEDEAO, s’impose comme un interlocuteur privilégié dans la région, au centre des médiations sur les crises ivoirienne ou togolaise notamment. En visite à Accra en juin 2004, l’ancien ministre de la Coopération et du Développement, aujourd’hui ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos, avait qualifié le pays de « modèle dans la région ». Après l’entretien qu’ont eu les présidents français et ghanéen à l’Elysée le 4 juin 2007, Nicolas Sarkozy a relevé le satisfecit de la diplomatie française, qualifiant le Ghana d’« exemple pour l’Afrique ».
Cette volonté d’intensifier la coopération veut aussi s’appuyer sur des avancées concrètes : le Ghana a ainsi obtenu le statut de membre associé au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie au Sommet de Bucarest, en septembre 2006 et, surtout, le gouvernement devrait mettre en place l’enseignement du français obligatoire en primaire et en secondaire. Lors de ses visites à Paris en 2001 et en 2005, le Président ghanéen a également pris soin de rencontrer les chefs d’entreprises français, les invitant à s’investir davantage dans le marché ghanéen. Ce renforcement du dialogue bilatéral a commencé à porter ses fruits. Après la rencontre du Président John Kufuor avec l’ancien Président Jacques Chirac en octobre 2005, le gouvernement français a décidé en avril 2006 de porter sa contribution au soutien budgétaire multilatéral de 21 à 30 millions d’euros sur les trois prochaines années, participant ainsi à la mise en place du projet d’identification nationale. Sagem est devenu depuis novembre 2006, fournisseur technique de ce projet, peu après que le président du groupe français de télécommunications, François Perachon, ait rencontré le Président John Kufuor.
Si la part de marché française reste modeste avec un stock d’investissement de 100 millions d’euros, par rapport à celle des investisseurs britanniques, américains, chinois ou indiens, les entreprises de l’Hexagone ne sont pas en reste dans la course à la reprise des flux d’investissements directs étrangers vers le marché ghanéen. Elles emploieraient 5 000 salariés. Certaines sont présentes de longue date sur ce marché à l’instar du groupe de distribution CFAO, importateur notamment de véhicules Renault ou PSA, qui vient de fêter un siècle d’activité dans le pays. Parmi les implantations récentes les plus marquantes, la Société Générale a repris en 2003 pour un montant de 30 millions d’euros, 50,7% des parts de la quatrième banque du pays, la SSB Bank. C’est vers elle que s’est d’ailleurs tourné le gouvernement ghanéen pour se faire conseiller sur la fusion de l’Ashanti Goldfields Corporation (AGC) et du géant sud-africain AngloGold, autre opération majeure de cette année. 2003 a également vu l’arrivée de la Compagnie fruitière de Marseille, dont l’investissement dans le pays se porte aujourd’hui à 18 millions d’euros. La filiale française du groupe américain Dole a acquis une plantation d’ananas dont la production a atteint 3 600 tonnes en 2005, et a renforcé sa présence en 2006 en inaugurant une plantation de bananes à Kasunya, dans la région d’Accra, dont la production devrait atteindre 60 000 tonnes en 2007 et générer 1 500 emplois. Autre succès français, le groupe pétrolier Total a pris le contrôle du réseau de distribution de Mobil, couvrant ainsi près du tiers du marché ghanéen des produits pétroliers raffinées.
Si l’ancienne Côte de l’Or dispose aujourd’hui d’indéniables atouts pour accélérer sa croissance, elle doit encore se débarrasser de lourds handicaps. A commencer par l’insuffisance de l’approvisionnement énergétique, comme le montre les pannes récurrentes de courant, qui paralysent autant les particuliers que les entreprises. A cet égard, la capacité énergétique qui repose essentiellement sur la production hydroélectrique du barrage d’Akosombo, devrait être renforcée en particulier avec l’arrivée du gaz nigérian transporté à travers le gazoduc ouest-africain dont les premières livraisons sont effectives depuis peu de temps.
Le Ghana reste par ailleurs étroitement dépendant de ses exportations de cacao, d’or et de bois, pour ne citer que les principales ressources. Tout le défi consiste aujourd’hui à saisir l’opportunité de développement qu’offre l’envolée actuelle des cours des matières premières pour investir, diversifier l’appareil de production et donner une véritable impulsion à l’industrialisation du pays. Il s’agit de permettre aux entreprises d’accroître leur épargne et de la maîtriser, selon le point de vue exprimé par Moeletsi Mbeki, Vice-Président du Conseil d’administration de l’Institut de Affaires internationales d’Afrique du Sud, pour qui « c’est l’impuissance du secteur privé dans ses rapports avec les Etats prédateurs qui est à la source de l’exode des capitaux et des compétences et qui explique aussi la pénurie d’investissement direct étranger en Afrique. » En ce sens, le double mandat du Président John Kufuor qui prendra fin en 2009, a déjà permis de replacer l’initiative privée au centre de l’activité économique. Le rythme de croissance actuel pourrait également permettre au Ghana de dépasser l’Objectif de développement pour le Millénaire (ODM) consistant à réduire la pauvreté de moitié à l’horizon 2015. Son niveau est en effet passé de 52% en 1992 à 39,5% en 2000, tandis qu’il est tombé à 33.4%, selon la Banque mondiale. Pour Mats Karlsson, le Directeur du Bureau de la Banque mondiale au Ghana, le pays a toutes les chances de devenir un pays à revenu intermédiaire dans les dix prochaines années. C.H.
1 – Géopolitique Africaine, George B. N. Ayittey, entretien avec John Kufuor, 2004
2 – Sources statistiques économiques : OCDE/BAfD, Perspectives économiques en Afrique, 2005, DREE/MINEFI
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