Le BTC, clé de l’essor azerbaïdjanais
A 20 km au sud de la capitale azerbaïdjanaise se dressent les deux cuves géantes du terminal pétrolier de Sangachal, réalisées par l’entreprise française Entrepose. Mesurant 22 mètres de hauteur, elle serviront à stocker chacune 800 000 barils de pétrole brut extrait des gisements offshore Azeri, Chirag et Gunshili (ACG) et qui sera d’ici 2005 injecté dans l’oléoduc devant relier Bakou au port turc de Ceyhan en Méditerranée, via Tbilissi en Georgie.
Dix ans après la signature du « contrat du siècle » en 1994, le plan de financement du BTC, d’un montant total de 3,5 milliards de dollars, a été officiellement approuvé le 3 février dernier par ses principaux actionnaires. Assuré à 30% par l’opérateur du projet, BP Azerbaïdjan, les 70% restant sont principalement prêtés par la Société Financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), et les autres partenaires financiers. Près de la moitié des travaux de construction a déjà été réalisée depuis la pose du premier tronçon à Sangachal le 18 novembre 2002. Courant sur 1760 km à travers trois pays, le BTC constituera la plus importante infrastructure pétrolière au monde. Surtout, il désenclave définitivement l’Azerbaïdjan, en contournant la Russie. Son or noir affluait jusque-là vers les marchés occidentaux via le port géorgien de Supsa et le port russe de Novorossiysk sur les rives de la Mer Noire.
Si l’on ne parle plus de l’Azerbaïdjan comme d’un nouveau Koweit, son potentiel pétrolier est en revanche bien réel avec des réserves de brut d’un peu plus d’un milliard de tonnes et des réserves de gaz de 835 millions de mètres cube. Alors que la production pétrolière ne dépasse pas pour l’instant les 300 000 barils/ jour (2002), la mise en service du BTC devrait multiplier celle-ci par deux dès 2006. Ses réserves pétrolières permettront alors à l’Azerbaïdjan de drainer 8 à 9 milliards de dollars d’investissements. L’Azerbaïdjan deviendra également un pays exportateur de gaz avec la réalisation du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzorum (BTE) en 2007.
Fruit de l’ouverture économique de l’ancien Président Heydar Aliyev, aujourd’hui poursuivie par son fils et successeur Ilham Aliyev, le BTC symbolise le parcours accompli par ce pays sorti difficilement des premières années de l’indépendance. Sur fond d’une crise politique aiguë, l’Azerbaïdjan perdait alors 20% du PIB par an entre 1992 et 1995, du fait de l’effondrement du système économique hérité de l’époque soviétique. Le retour à la croissance s’est réellement traduit à partir de 1996 avec la stabilisation politique, l’accord de cessez-le-feu en 1994 mettant en suspend une guerre de six ans avec l’Arménie voisine malgré la perte de 20% du territoire azerbaïdjanais et la conclusion du « contrat du siècle » qui donna naissance au consortium étranger AIOC, dominé par BP, en charge de la production de pétrole azerbaïdjanais. Oscillant désormais autour de 10%, la croissance azerbaïdjanaise s’appuie depuis lors essentiellement sur le secteur énergétique (42% du PIB en 2003).
La stratégie d’ouverture du Président Heydar Aliyev tient pour beaucoup à l’essor économique azerbaïdjanais. L’Azerbaïdjan a en effet valorisé d’une façon optimale ses réserves énergétiques tout en conservant la participation de la compagnie nationale, la SOCAR, aux projets pétroliers en privilégiant notamment les accords de partage de production (PSA). Les négociations pour la réhabilitation du gisement offshore de Gunshili, l’un des plus importants du secteur azerbaïdjanais de la Caspienne (il recèle encore environ 53 millions de tonnes de pétrole), constitue un bon exemple de la volonté azerbaïdjanaise d’associer les compagnies étrangères à l’exploitation des ressources pétrolières du pays, tout en préservant l’intérêt national : divisé en deux blocs, la SOCAR en développerait le premier tandis que les partenaires étrangers opéreraient sur le second tout en s’engageant à réhabiliter l’ensemble des infrastructures du gisement. Les autorités azerbaïdjanaises ont en outre créé en 2000 un Fond pétrolier, le Sofaz (Sate Oil Fund of the republic of Azerbaïdjan) qui a notamment servi à assurer une part du gouvernement azerbaïdjanais dans le projet BTC, à hauteur de 103 millions d’euros. Ce fond, estimé fin 2003 à 602 millions d’euros, a également servi à mener des actions dans le cadre du programme de lutte contre la pauvreté qui touche près de 49% de la population.
La mise en place d’un processus de privatisation a permis d’engager une restructuration du système économique en faisant appel à des investisseurs privés, notamment étrangers. En 2002, le stock d’investissements directs étrangers atteignait ainsi 11 milliards de dollars. La France, 3ème partenaire commercial de l’Azerbaïdjan, a fait une entrée significative sur le marché azerbaïdjanais à partir de 2001. Sur la seule année 2002, les échanges entre les deux pays ont progressé de 60% et près de 250 millions d’euros de contrats ont été conclus. Si une majorité des investissements français sont concentrés dans le secteur pétrolier et surtout para-pétrolier, leur diversification dans d’autres secteurs d’activité comme la distribution, le commerce ou les services témoignent de l’ouverture progressive de l’économie azerbaïdjanaise. Le Groupe Castel s’est ainsi rendu propriétaire de deux brasseries à Bakou et à Ganjal. En dix ans, Alcatel, qui a installé 300 000 lignes dans le pays et qui détient 65 % du marché numérique, est devenu l’un des principaux fournisseurs de réseaux de télécommunications du pays. Si Total est la seule compagnie française présente au sein du consortium conduisant le projet BTC, avec 5% des parts, nombre de firmes de l’Hexagone y participent en amont comme Entrepose et Spie-Capag chargé de la réalisation des stations de pompage de l’oléoduc. Si la présence française demeure encore insuffisante, elle devrait néanmoins se renforcer avec le lancement de la deuxième phase de privatisations qui doit concerner les grandes entreprises azerbaïdjanaises ; ce d’autant plus que les entreprises françaises bénéficient des relations étroites entretenues par l’Azerbaïdjan et la France. C.H.