La lettre diplomatique

Article – Brésil
La Lettre Diplomatique N°65 – Premier trimestre 2004

Brésil : le défis d’une croissance durable

Dans une Amérique latine en pleine mutation, le Brésil serait-il en train de s’affirmer comme le moteur d’un quatrième pôle de croissance mondiale ? Telle est en tout cas l’ambition du Président Lula qui a fait de la réactivation du Mercosur, le marché commun associant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay, la priorité de sa politique étrangère.
Déchu de son statut de première économie latino-américaine par le Mexique en 2001, le Brésil demeure le poids lourd de l’Amérique du Sud avec un PIB de 497,85 millions de dollars. Figurant parmi les dix premières puissances économiques mondiale, le Brésil occupe les premières place dans de nombreux secteurs industriels comme l’aéronautique ou la sidérurgie (respectivement 4ème et 5ème place mondiale). Elu sur fond de crise financière et d’instabilité des marchés, le Président Lula a consacré sa première année de mandat à lutter contre l’inflation en maintenant des taux d’intérêts élevés et à réduire la dette en gelant les dépenses budgétaires. Cette discipline financière a certes son prix : un chômage en hausse et un PIB en recul de 0,2% en 2003, soit le plus mauvais score depuis 1992, mais les fondements d’une reprise de la croissance sont désormais consolidés d’autant que les réformes des retraites, fiscale et budgétaire sont lancées et que les investissements étrangers se redressent. Ceux-ci avaient chuté de 22 millions de dollars en 2001 à 17 millions de dollars en 2002, reflétant la conjoncture générale de l’Amérique latine. Accompagné d’une importante délégation gouvernementale, le Président Lula s’est d’ailleurs rendu à Genève en janvier dernier pour promouvoir le Brésil comme une destination privilégiée de l’investissement étranger.
En dix ans, le géant sud-américain est devenu l’une des premières destinations de l’investissement direct français à l’étranger. Loin devant l’Argentine et la Chine, le Brésil était encore, avec 7,3 milliards d’euros soit 1,6% du stock total fin 2000, le premier pays bénéficiaire des investissements français à l’étranger hors OCDE. Depuis 1999, la France s’y maintient au quatrième rang des investisseurs étrangers. Tous les grands de l’industrie française y sont présents, pour certains de longue date, comme Lafarge, Michelin ou Alstom. Saint-Gobain a doublé en 12 ans son chiffre d’affaires au Brésil où il enregistre ses meilleurs résultats. A l’image de l’entrée de Snecma, Dassault et EADS dans le capital d’Embraer en 1999, les partenariats industriels et technologiques se multiplient entre les groupes français et brésiliens. Ceux-ci s’orientent désormais vers la constitution de pôles technologiques privilégiant la coopération entre PME des deux pays. Récemment des entreprises comme Leroy-Merlin ou la Fnac se sont lancées à la conquête de son immense marché intérieur. En 2003, Carrefour, qui exploite actuellement 79 hypermarchés et 114 supermarchés au Brésil, prévoyait de multiplier par trois ses investissements au Brésil, en ouvrant de nouveaux magasins et pas seulement en réalisant de nouvelles acquisitions.
Nombre d’entreprises ont également fait le pari du Mercosur, marché ouvrant sur quelque 240 millions de consommateurs. Deux ans après Renault, PSA Peugeot-Citroën s’est pour cela implanté en 2000 près de Rio en investissant 600 millions de dollars dans la construction d’une usine à Porto Real. Ultramoderne, elle est la première du groupe à fabriquer deux voitures de marques différentes, la Xsara Picasso et la Peugeot 206, et à disposer à ses portes d’un technopôle de fournisseurs pour l’équipement des voitures comme Faurecia ou Vallourec. En mars 2002, une usine de moteurs a été ajoutée au site, tandis que le groupe y lançait au printemps 2003 la production de Citroën C3. Bien que ses ventes aient reculé de 3% au premier trimestre 2004, le groupe a récemment confirmé le développement de ses activités en annonçant un investissement de 50 millions de dollars pour l’agrandissement de ses installations et le développement de la production de ses moteurs 1,4 litre ainsi que de son nouveau break 206 SW. Danone, leader du marché des produits laitiers et figurant en troisième position du marché des biscuits au Brésil, a affirmé sa stratégie régionale en fusionnant ses activités biscuits avec le premier groupe alimentaire argentin, le Groupe Arcor. Cette joint-venture pèsera 250 millions d’euros de chiffre d’affaires pour une production de 255 000 tonnes et occupera la deuxième position au Brésil. Celui-ci continue donc de séduire les investisseurs français, d’autant que le réalisme économique du Président Lula associé à son engagement social pour lequel des millions de Brésiliens l’ont porté au Planalto semble offrir à cette puissance émergente un compromis historique pour relever les défis de la pression sociale et de la vulnérabilité financière.

Michelin s’associe à la protection de la forêt brésilienne
Avec quelque 460 espèces d’arbres et 400 espèces d’oiseaux par hectare, la forêt brésilienne est considérée comme une des zones à la biodiversité la plus riche du monde. Menacée par la déforestation, elle suscite de plus en plus la préoccupation des dirigeants et de la société civile au Brésil. Illustrant les possibilités de partenariats pour sa préservation, le groupe français Michelin, implanté au Brésil depuis 1981, s’est impliqué dans la réhabilitation de l’espace forestier entourant la plantation d’hévéas qu’il possède à 200 km au sud de Salvador de Bahia.
Acquise en 1984, cette plantation lui a en effet permis de développer des recherches pour préserver l’hévéaculture et des initiatives en faveur de la protection de l’environnement. Elle est devenue un centre de recherche mondial sur le microcyclus, champignon qui infecte l’hévéas dont est extrait le latex nécessaire à la production de pneumatique. Des partenaires scientifiques de dimension internationale comme le Centre international de recherche en agronomie pour le développement (CIRAD) se sont associés à Michelin pour y conduire des études sur les moyens de combattre le microcyclus et créer de nouvelles variétés d’hévéas plus résistantes.
Sur les 10 000 hectares qu’elle couvre, une partie de la plantation a été préservée de toute exploitation, soit 15% des 7 000 hectares qui subsiste de la forêt atlantique primaire. Michelin cherche désormais à créer, en collaboration avec l’ONG BioBrasil, un « couloir écologique » de 3 000 km2 s’étendant autour de la plantation de Bahia, sur la forêt tropicale et la forêt atlantique.
Il a également mis en place un projet destiné à associer pleinement la population locale à l’exploitation et la préservation de cette plantation. Lancé officiellement en août prochain, le projet « Oro Verde » verra la cession progressive de ses terres divisées en 12 parcelles aux actuels cultivateurs. Tandis qu’ils devront continuer à planter de jeunes pousses d’hévéas pour pérenniser la plantation, ceux-ci pourront également avoir recourt à d’autres cultures comme celle du cacao. Le projet « Oro Verde » devrait, selon les prévisions des banques qui financent l’opération et auprès desquelles Michelin s’est engagé, créer quelque 330 emplois en 12 ans qui s’ajouteraient aux 650 personnes actuellement employées dans la plantation.


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