La lettre diplomatique

Article – Cuba
La Lettre Diplomatique N°65 – Premier trimestre 2004

Cuba : Vers une nécessaire ouverture économique

Alors que les tentatives se multiplient aux Etats-Unis pour assouplir l’embargo qui pèse sur Cuba depuis plus de quarante ans, la perspective de son ouverture économique laisse entrevoir les énormes possibilités que recèle ce joyau des Caraïbes.
Privée à la fin des années 80 des débouchés de sa production sucrière sur le marché commun du bloc soviétique, Cuba a fait du tourisme le fer de lance de son économie. De 340 000 en 1990, le nombre des visiteurs est passé à 1,9 millions en 2003. Le secteur contribue aujourd’hui à 12% du PIB et génère 42% des recettes en devises du pays et devrait continuer encore longtemps à jouer un rôle-clé dans le développement de l’île. Le Ministère du Tourisme cubain estime en effet pour 2010 un afflux de 7 millions de visiteurs et envisage la construction de 5 000 chambres d’hôtel d’ici dix ans. Dans le secteur industriel, Cuba peut compter sur l’exploitation de ses richesses naturelles comme le tabac, le sucre, le pétrole et le nickel, pour lequel le pays occupe le 3ème rang mondial en termes de réserves et le 5ème en terme de production. Les autorités de La Havane cherchent par ailleurs à valoriser le potentiel du capital humain et intellectuel cubain, notamment dans le domaine des biotechnologies où elles ont investi 2 milliards de dollars de 1983 à 2002. Jusqu’à une période récente, ces investissements étaient essentiellement destinés aux besoins pharmaceutiques et agricoles du pays. Ils visent désormais la conquête du marché mondial, à l’image de la Chine, où la société mixte sino-cubaine, Bitoech Pharmaceutical, a récemment annoncé qu’elle produira et commercialisera l'anticorps mis au point par des chercheurs du Centre d’Immunologie Moléculaire (CIM) de La Havane et utilisé pour le traitement des tumeurs de la tête et du cou.
Malgré ses atouts qui pourraient voir à terme émerger un « tigre des Caraïbes », Cuba manque de moyens pour financer la modernisation de ses installations industrielles et diversifier une économie trop vulnérable aux aléas de la conjoncture internationale. Après une forte croissance de 4,7% en moyenne de 1996 à 2000, l’économie cubaine a dû affronter une série de chocs successifs : impact des attentats du 11 septembre sur l’industrie touristique ; hausse du prix du pétrole doublée de la grève qui a paralysé de décembre 2002 à février 2003 l’industrie pétrolière vénézuélienne privant un temps l’île d’une source d’approvisionnement en brut à des conditions financières privilégiées ; effondrement des cours du sucre aggravant une production nationale en pleine restructuration qui ne fonctionne qu’au quart de sa production de 1989. Enfin, la reprise économique enregistrée en 2003 avec 2,6% de croissance (contre 1,1% en 2002) demeure conditionnée par la bonne tenue du secteur touristique. En outre, les réformes structurelles entamées durant les années 90 semblent marquer le pas tandis que l’ouverture aux investissements étrangers demeure encore très contrôlée. En dix ans, 578 entreprises mixtes ont été autorisées, dont 340 environ fonctionnent encore. Arrivant en tête, l’Espagne est suivie du Canada, de l’Italie et de la France. Avec 6% du stock d’investissements étrangers, soit 5,93 milliards de dollars, la présence française est diversifiée. Elle se résume toutefois à une quarantaine d’entreprises dont seulement 15 implantées sous forme d’entreprises mixtes ou de succursales parmi lesquelles Pernod Ricard qui a fêté en mars dernier ses dix ans d’association avec Havana Club, la seule marque de rhum cubaine à être exportée dans le monde et dont il détient les droits exclusifs de distribution ; Altadis, le leader mondial du cigare franco-espagnol qui détient 50% de la société mixte Habanos ; ou encore Bouygues construction, installé depuis 1998, et qui est maître d’œuvre de la construction de deux hôtels de haut standing à Varadero, principal pôle touristique à l’est de La Havane (photo) et du plus grand centre touristique de l’île à Holguin.
La crise diplomatique qui s’est ouverte à l’été 2003 entre l’Union européenne et La Havane n’est pas de nature à rassurer les entreprises européennes, notamment françaises, qui se voient privées des sources de financement qu’auraient pu apporter l’adhésion de Cuba aux accords de Cotonou, une fois encore repoussée. En effet, la brèche ouverte par les partisans américains d’une levée de l’embargo avec l’autorisation de ventes de produits agricoles à Cuba « pour raisons humanitaires » depuis le cyclone Michèle, place aujourd’hui les Etats-Unis en tête de ses fournisseurs agricoles, esquissant le retour en force des entreprises américaines sur l’île. C.H.


Tous droits réservés ® La Lettre Diplomatique