La lettre diplomatique

Article – Qatar
La Lettre Diplomatique N°66 – Deuxième trimestre 2004

Un petit pays pour de grands projets

Le Qatar s’apprête à accueillir, en 2006, les 15ème Jeux olympiques d’Asie, le troisième événement sportif mondial derrière la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques, auxquels participeront près de 12 000 athlètes représentants 45 nations, dans 40 disciplines. Tout un symbole pour un pays à peine plus grand que la Corse (11 500 km2 pour 660 000 habitants), qui sera surtout le premier pays arabe à organiser un tel événement. Partageant avec l’Arabie saoudite l’islam sunnite le plus strict, le Qatar autorise cependant la pratique de tous les sports sans restriction pour les femmes. De la même façon, il est le seul pays du Golfe à organiser un tournoi international de tennis féminin, le premier de l’année, bénéficiant d’une vaste couverture médiatique grâce à l’afflux des plus grandes stars mondiales. Le sport illustre à bien des égards les réussites d’un modèle de développement qui a permis au Qatar de faire entendre sa voix sur la scène régionale et internationale. Plus encore, il est l’expression d’une ouverture volontariste du pays, à l’image de l’association d’universités occidentales au système d’éducation qatarien. Conduites depuis 1995 par l’Emir Cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, de nombreuses réformes ont, en effet, engagé le Qatar dans un processus de démocratisation et de libéralisation économique qui associe pleinement la population qatarienne à son essor fulgurant.

Une expansion économique centrée sur le GNL

Solidement sise sur d’importantes richesses pétro-gazières, la péninsule qatarienne a accéléré son développement économique depuis le milieu des années 90. Multipliant par trois son PIB (20,3 milliards de dollars en 2003) et par deux son PIB par habitant (33 000 dollars, soit un des plus élevés du monde), elle présente aujourd’hui une situation économique enviable à bien des égards, avec un taux de croissance de 8% en 2003 et un excédent budgétaire de l’ordre de 4% pour la période 2003/2004, découlant d’une faible inflation, de la maîtrise des dépenses publiques et de la contribution croissante des hydrocarbures aux recettes de l’Etat.1 Compensant de modestes réserves pétrolières (avec une capacité de production de 800 000 barils par jour), l’intensification de sa production gazière fait du Qatar un des marchés les plus prometteurs du Moyen-Orient ; ce d’autant plus que l’arrivée du centre de commandement des opérations américaines en Irak (Centcom), transféré d’Arabie saoudite à la base qatarienne d’Al Udeid, est de nature à renforcer la confiance des investisseurs.
La véritable source de sa prospérité à long terme réside, en effet, dans l’exploitation de l’immense gisement gazier qui s’étire au nord-est de ses eaux maritimes, dans la zone offshore appelée North Field. Découvert en 1971 par la compagnie britannique Shell et mis en exploitation depuis 1997, ce gisement situe les réserves en gaz du Qatar, évaluées à 10 000 milliards de m3, au troisième rang mondial, derrière celles de la Russie et de l’Iran. Leur valorisation n’est pas allé pour autant sans poser d’importants défis, car le pays est éloigné des grands marchés de consommation que sont l’Amérique du Nord, l’Europe, le Japon ou la Corée du Sud. Face aux coûts de transport et aux problèmes logistiques que cette situation engendre, il s’est tourné vers les solutions technologiques les plus pointues, n’hésitant pas à accroître sa dette extérieure. Misant également sur la transformation du gaz naturel en produits pétrochimiques (base de matières plastiques par exemple) dont les coûts de transport sont plus faibles, le Qatar vise à devenir le leader mondial du GTL (gaz-to-liquids).
Avec l’émergence d’une demande internationale en gaz naturel liquéfié (GNL) de plus en plus forte, Doha a prévu d’investir près de 70 milliards de dollars dans les dix années à venir, pour l’exploitation de ce seul secteur.2 De 14,5 millions de tonnes en 2003, sa production de GNL devrait passer dès 2007 à 26 millions de tonnes. Plus de 90% de celle-ci est destinée à l’exportation, principalement vers le Japon, premier partenaire commercial, la Corée du Sud et Singapour avec lesquels le Qatar a signé des contrats d’approvisionnement de longue durée. Les récents contrats qu’il a conclu, fixent son objectif de production pour 2010 à 60 millions de tonnes de GNL par an, réparties entre les deux compagnies nationales chargées de l’ensemble de la filière, Rasgas et Qatargas, et destinées à alimenter de nouveaux marchés comme les Etats-Unis ou l’Europe.
Elever le pays au statut de plate-forme régionale est également un des objectifs de Doha qui multiplie les projets en ce sens à l’instar du projet Dolphin dans le secteur gazier. Premier projet de coopération régionale dans le domaine énergétique entre pays du Golfe arabique, celui-ci a pour objectif d’approvisionner via un gazoduc, à partir de 2006, les Emirats Arabes Unis, dont les besoins en gaz sont appelés à s’accroître pour le développement de leur production électrique, la désalinisation de l’eau, mais aussi pour optimiser leur production de pétrole par la réinjection de gaz dans les champs. Ces ambitions régionales sont également visibles avec le renforcement de ses infrastructures aéroportuaires et avec la construction d’un nouvel aéroport, dont la première phase a été confiée au géant américain des travaux publics, Bechtel. Estimé à un coût total de 5 milliards de dollars, le nouvel aéroport devrait disposer en 2015, d’une capacité annuelle de 50 millions de passagers, de bâtiments pour les services de fret d'une capacité de 750 000 tonnes par an, d’une zone franche et d’un complexe résidentiel et hôtelier haut de gamme.3
La France : un partenaire encore trop modeste Petit pays, dont la main d’œuvre est limitée et dépendant de l’extérieur en matière d’équipement industriel et de savoir-faire technologique, le Qatar s’est largement tourné vers les entreprises étrangères pour mener à bien son développement économique. Parmi les acteurs français sur le marché qatarien, Total demeure le plus important, avec une présence sans discontinuité depuis 1938 dans les secteurs pétrolier et gazier. Depuis le rachat de la part d’ENI en mai 2002, la compagnie française détient 100% du champs pétrolier d’Al Khalij où l’engagement de la troisième phase d’exploitation devrait permettre d’atteindre cette année une capacité de production totale de 80 000 barils/jour. Fin 2003, l’exploitation  d’Al Khalij représentait un investissement de plus de 500 millions d’euros supporté in fine à 100% par Total. Celle-ci contribue également à mettre en valeur les réserves gazières de North Field, à travers ses participations
au sein de Qatargas (30%, filières amont et aval confondues) et de Rasgas (10% dans la réalisation d’une raffinerie de condensats).4 Il convient également de souligner certains succès comme celui de Technip, maître d’œuvre de la réalisation du premier complexe de GTL au Moyen-Orient, pour le compte d’Oryx GTL Limited, dans la zone industrielle de Ras Laffan ; ou celui d’Air Liquide qui achève la construction d’une usine d’hélium, dont la compagnie française sera détentrice de près de la moitié de la production.
Face à une concurrence très forte, notamment américaine, la place de la France au Qatar, que ce soit du point de vue des exportations que des investissements directs, demeure néanmoins insuffisante au regard des nombreuses opportunités qu’offre ce marché et des relations excellentes qu’entretiennent les deux pays. Malgré l’envolée des exportations françaises vers le Qatar qu’ont occasionnés les ventes du constructeur aéronautique Airbus à la compagnie qatarienne Qatar Airways (770 millions d’euros en 2003, soit une hausse de 19,4% par rapport à 2002), celles-ci n’ont cessé de régresser depuis le début des années 90 (les exportations françaises au Qatar ont représenté 4,2% en 2002 tandis qu’elles étaient de 5,5% en 1992). Les autorités françaises cherchent donc à mobiliser des groupes et des PME français encore trop discrets. L’intérêt récemment manifesté par Veolia Water System, Bouygues ou Vinci, pour un certain nombre de projets d’infrastructures semblent cependant ouvrir de nouvelles perspectives. Quittant Doha le 18 mai dernier, le Secrétaire d’Etat français au Commerce extérieur François Loos a ainsi qualifié sa visite au Qatar de « grande réussite »,5 à juste titre, si l’on en croit l’attribution d’un contrat pour la construction d’une troisième cimenterie à Umm Bab, d’un montant de 159 millions de dollars, à la compagnie française FCB Ciment par la Qatar Ciment National Company (QCNC).6
 
C.H.

1 – MINEFI-DREE, Mission économique de Doha, « La situation économique et financière du Qatar en 2004 », 20/06/04.
2 – MINEFI-DREE, Mission économique de Doha, « Le secteur des hydrocarbures », 20/04/04.
3 – Bati Actu, 26/01/04.
4 – Voir : Université d’Automne 2003, Enseignants de Sciences économiques et sociales, Entreprises, Paris, « Les entreprises dans la mondialisation », Total au Qatar, 23-24 octobre 2003.
5 – The Peninsula, « French firms interested in Qatar : Minister », 18/05/04.
6 – The Peninsula, 8/04/04.

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