La lettre diplomatique

Article – Afrique du Sud
La Lettre Diplomatique N°67 – Troisième trimestre 2004

Une nouvelle décennie de liberté

Le 27 avril 1994, les Sud-Africains, Noirs et Blancs confondus, se pressaient pour la première fois devant les bureaux de vote pour clore une des plus sombres pages de l’histoire de l’Afrique du Sud. La victoire écrasante du Conseil national africain (ANC) portait au pouvoir Nelson Mandela, symbole vivant d’une lutte opiniâtre contre le régime inique et raciste de l’apartheid. Ni l’assassinat de Chris Hani, leader de la branche armée de l’ANC, un an plus tôt, ni la peur des attentats de l’extrême droite blanche n’auront fléchi la détermination calme des Sud-Africains à refermer trois siècles et demi de colonialisme et de dictature raciste. Fait exceptionnel dans l’histoire des peuples, ils choisissaient d’accomplir cette transition dans la paix. Mandela serait l’artisan de la réconciliation, fruit du compromis proposé par le leader communiste Joe Slovo, qui en échange du pouvoir aux Noirs garantit la protection de la minorité blanche. Si le « miracle sud-africain » impliquait un pardon sans conditions à la communauté blanche, cela n’empêcha le gouvernement de lancer dès 1998, un programme d’émancipation des Noirs
s’articulant autour du Black Economic Empowerment et de l’Affirmative Action. En 1999, Mandela cédait la place à un autre chef de l’ANC, l’actuel Président Mbeki, surnommé à ses débuts « Dr Delivery ». Celui-ci serait l’homme à qui échouait la tâche ardue de redresser l’économie à la dérive de l’Afrique du Sud. Passé le soulagement de la fin du cycle des violences politiques, le pays devait, en effet, faire face à une situation économique catastrophique. Isolée du Commonwealth depuis 1960, l’Afrique du Sud était soumise à un boycott économique voté par les Nations unies devant l’explosion des violences internes à l’été 1976, avant d’être confrontée à une sérieuse récession entre 1989 et 1993.
Dix ans après, les Sud-Africains se sont rendus devant les urnes pour la troisième depuis la fin de l’apartheid. Dans l’euphorie des célébrations, le Président Thabo Mbeki était triomphalement reconduit dans ses fonctions le Jour de la Liberté, consacrant la stabilité de la démocratie sud-africaine et la prépondérance de l’ANC. La nation en arc-en-ciel peut être fière de son modèle démocratique unique (à titre d’exemple 11 langues sont officielles). A biens des égard, ce miracle demeure toutefois inachevé, si l’on considère les fortes inégalités sociales et une croissance économique qui peine à décoller. Lors de son investiture à Pretoria le 27 avril 2004, le Président Mbeki déclarait ainsi : « La pauvreté répandue de façon endémique continue de défigurer notre pays. Nous ne pourrons jamais affirmer que nous avons rétabli la dignité pleine et entière de tout notre peuple tant que cette situation persistera. C’est la raison pour laquelle la lutte contre l’éradication de la pauvreté est, et restera, au cœur de notre effort de construction d’une nouvelle Afrique du Sud. » L’apartheid a laissé des cicatrices encore vivaces et l’ampleur de la tâche demeure immense. Mais à cette nation pleine d’espoir et de volonté qui a su apaiser toutes les haines pour se hisser, en seulement dix ans, au rang des démocraties les plus fortes, rien n’est impossible. C.H.


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