La lettre diplomatique

Article – Slovaquie
La Lettre Diplomatique N°67 – Troisième trimestre 2004

La Slovaquie : nouvel eldorado d’Europe centrale ?

La République slovaque est-elle promise à devenir un tigre de l’Europe centrale ? D’aucuns comme le Président du Sénat français Christian Poncelet l’affirment déjà. Les investissements massifs réalisés dans la construction automobile par de grands groupes étrangers en font déjà un futur « Détroit » européen, le troisième producteur mondial avec une capacité de 800 000 véhicules par an. A l’allemand Volkswagen qui a investi plus d’un milliard d’euros sur douze ans, sont venus se joindre le français PSA Peugeot-Citroën (voir ci-dessous) et le groupe euro-coréen Hyundaï-Kia Motors.
Avec une main-d’œuvre technique de qualité, en particulier pour la mécanique légère, un coût horaire parmi les plus faibles d’Europe (3,06 euros), un temps de travail de 40 heures hebdomadaires, des congés payés d’une durée de 20 jours et un impôt sur les sociétés de 19%, la Slovaquie a tout pour séduire les entrepreneurs étrangers. Après l’avoir longtemps ignoré, ceux-ci ont commencé à affluer en masse depuis 2000, le stock d’investissements étrangers ayant quadruplé depuis lors, atteignant 8,13 milliards d’euros fin 2003.1 Alors que les investisseurs allemands tiennent le haut du pavé dans cette partie de l’Europe traditionnellement située dans l’ère d’influence germanique, les investisseurs français ont néanmoins compris très tôt tous les atouts de ce petit pays situé à deux jours de camion, au carrefour des marchés d’Europe centrale, ouvrant sur le marché en devenir de l’Ukraine. Si les investissements les plus visibles étaient alors ceux de Rhodia (ex-Rhône Poulenc) et de Dalkia, nombre d’entreprises françaises se sont également implantées dans les secteurs de l’agro-alimentaire et de l’industrie mécanique. En 2003, la Chambre de commerce française en Slovaquie comptait une des plus forte communauté de membres (232). Jusque-là modeste, la présence française a connu un véritable essor à partir de 2002 avec l’arrivée de Gaz de France, déjà présent en Slovaquie à travers sa filiale Pozagas, dans le capital de l’opérateur slovaque SPP, en acquérant 24,5% des parts pour 1 350 millions de dollars dans le cadre du consortium formé avec Ruhrgas et Gazprom ; société hautement stratégique puisque, outre la distribution sur le territoire slovaque, elle assure le transit de plus de 80 milliards de m3 de gaz naturel russe (soit 20% de la consommation de l’UE). Cette prise de participation constitue d’ailleurs « la plus importante opération de croissance externe de son histoire ».
Les investissements étrangers dans la croissance slovaque occupent un rôle indéniable de créateur d’emplois. La constitution d’un pôle de construction automobile a eu ainsi un effet d’entraînement dans tous les secteurs qui lui sont liés et notamment de la sous-traitance. Employant 54 700 salariés et représentant 25,4% de la production manufacturière totale, 6,88 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 29% des exportations globales du pays, le secteur automobile est devenu incontournable. Son essor a également entraîné l’arrivée des équipementiers tels que les français Plastic Omnium et Faurecia implantés près de l’usine de Volkswagen. Avec l’arrivée de PSA Peugeot-Citroën, Nief Plastic a décidé de racheter une unité de production située à seulement 250 km de sa filiale hongroise. Faurecia, prévoit en outre d’investir environ 30 millions d’euros pour la construction de deux usines à Hlohovec, à 80km à l’est de Bratislava. Ces investissements en « green field » ont succédé aux opérations de privatisations, preuve de la confiance dont jouit désormais le pays auprès des investisseurs étrangers. Ils ont pourtant soulevé en France, notamment, la délicate question des délocalisations avec les départs de Whirlpool ou de Bacou Dalloz. Pour Noëlle Lenoir, ancien Ministre déléguée aux Affaires européennes, « l’essentiel des investissements français en Europe centrale et orientale ne correspond pas aujourd’hui à des destructions d’emplois en France mais à de véritables créations pour satisfaire une demande locale en forte croissance. » 2 La décision de PSA de s’implanter en Slovaquie répond ainsi à la volonté du groupe de « rapprocher son outil industriel des marchés où il connaît un rapide renforcement de sa présence commerciale (12,7% de parts de marchés en 2002 dans les six pays d’Europe centrale contre 5% en 1997). (…) Ses usines en France et dans le reste de l’Europe tournent déjà à 117% de leur capacité. (…) Les autres investissements ouest-européens dans la région paraissent obéir aux mêmes préoccupations, par exemple les acquisitions de GDF dans l’appareil gazier slovaque.3
Il faut également souligner les immenses efforts accomplis par ce pays depuis dix ans pour remplir les conditions d’accession à l’UE et tout particulièrement depuis l’arrivée du gouvernement Dzurinda en 1998 mettant fin à l’ère Meciar qui avait isolé la Slovaquie durant ses premières années d’indépendance. Ces efforts ont payé : les finances publiques sont assainies, la Slovaquie est entrée dans l’UE le 1er mai 2004. Dopée par les exportations vers les pays de l’UE et par la reprise de la consommation interne, la croissance slovaque devrait atteindre 4% en 2004, une des plus élevées d’Europe centrale. Elle témoigne de l’élévation du niveau de vie des Slovaques. Franck Debord, Directeur de Orange Slovensko, filiale de France Telcom, peut se réjouir avec 2,2 millions d’abonnés en 2003 pour un pays qui compte 5,4 millions d’habitants. Jérôme Poussin, Responsable Marketing et Communication chez le grand de la distribution française Carrefour qui a ouvert trois hypermarchés en 2001 souligne qu’« actuellement, on ne distingue pas encore de classe moyenne, mais elle est en voie d’émergence. Nous pouvons estimer qu’elle se comportera comme les classes moyennes d’autres pays dans quelques années. » 4
Les performances du dynamisme slovaque masquent cependant un important déséquilibre de développement entre la région de Bratislava et la Slovaquie orientale. Vitrine d’une République slovaque en plein boom économique, Bratislava, et sa région génèrent 23% du PIB slovaque et a reçu près des deux tiers du stock d’investissement étranger du pays, soit 5,66 milliards d’euros.5 Parmi les plus gros investisseurs, on trouve Volkswagen qui représente près de 30% des exportations slovaques ou encore le leader mondial hispano-franco-luxembourgeois de la sidérurgie Arcelor dont le démarrage de la production de son usine de Zenica devrait débuter au printemps prochain et faire sortir 180 000 tonnes d’acier transformé par an, dont 70% est destiné à l’exportation vers les pays frontaliers. En quête d’une reconnaissance internationale depuis l’indépendance, le rayonnement de Bratislava devrait s’accroître avec l’intensification des activités de la compagnie aérienne SkyEurope qui est la première à avoir créé des liaisons directes avec Paris, Londres, Zurich ou Milan. Ce d’autant que le gouvernement slovaque a lancé la privatisation de l’aéroport de Bratislava – ainsi que celui de Kosice – dont les acquéreurs devraient être choisis fin 2005.6 Sa position sur la scène régionale devrait également se renforcer avec la décision annoncée en août 2004, de construire à partir de 2006, un parc d’industries de hautes technologies dans le quartier de Vajnory. Promis à devenir le plus important d’Europe centrale avec une superficie de 630 000 m2, il est conçu sur le modèle du parc français de Sophia Antipolis, prévoyant également la création d’une université spécialisée, dans le but d’offrir un maximum d’emplois à des diplômés d’université (les investisseurs autrichiens tablent sur 18 000 emplois directs dont 20% à des universitaires).7
Des régions comme Presov, la plus grande et la plus peuplée de Slovaquie, ou de Kosice ressentent en revanche un important besoin de modernisation. Plus on s’éloigne de la capitale vers l’Est du pays, plus le pouvoir d’achat de la population diminue et plus le chômage augmente (parfois supérieur à 20%). Pour développer ces régions laissées pour compte de la croissance, les autorités slovaques misent sur l’attraction des investissements étrangers et leur effet d’entraînement sur l’économie locale. Le Ministère de l’Economie slovaque a ainsi annoncé qu’il comptait dégager 35 millions d’euros d’ici 2006, destinés en priorité à l’Est du pays pour soutenir notamment le développement de zones industrielles. Celle de Spisska Nova Ves (région de Presov) devrait par exemple accueillir deux entreprises françaises, CI2M, spécialisée dans la conception de machines spéciales dans la tôlerie, la méca-soudure et la découpe laser, et Mecasonic leader mondial dans les techniques de soudures. Sur le site de Lemesany, Valeo pourrait investir 50 millions d’euros dans la construction d’une usine spécialisée dans la fabrication de systèmes d’ouverture de portières. La région de Kosice, deuxième ville du pays, où le géant américain US Steel pos-sède la plus grande aciérie d’Europe, offre également de multiples opportunités d’investissement et des conditions d’implantation favorables avec le deuxième pôle universitaire du pays et une réserve de main-d’œuvre d’ouvriers qualifiés disponible et peu onéreuse. A 1 euros les 20 m2, le parc industriel de Kechnec, situé à 15 km au sud de Kosice, le plus grand de l’Est de la Slovaquie (332 hectares) devrait également favoriser l’attraction de nouveaux investisseurs. Certains ont déjà compris les besoins en infrastructures de communication de ces régions, comme le constructeur routier français Eurovia, filiale du groupe Vinci qui a racheté en 2000 une entreprise slovaque de Kosice, Cestné stavby a.s. Eurovia a d’ailleurs décidé en mars 2004 de renforcer sa présence industrielle avec l’acquisition de six carrières dans la région de Zilina, portant sa capacité totale de production de matériaux à usage routier à 1,3 millions de tonnes. Les projets routiers accompagnant l’élargissement européen, comme la Via Baltica, ainsi que les programmes de fonds structurels européens dont une part importante est consacrée à la politique régionale devraient en outre favoriser le désenclavement et la valorisation des ressources de cette partie du pays. Prônant une politique libérale, le gouvernement de Mikulas Dzurinda est bien décidé à projeter la Slovaquie sur l’avant-scène d’une « Grande Europe » au sein de laquelle elle occuperait une place centrale. C.H.

1 – Source Dree   
2 – Dernières Nouvelles d’Alsace, Julien Gautier, « Entreprises françaises à la conquête de l’Est, 10/12/03.
3 – Rapport d’information sur l’adhésion slovaque à l’union européenne, Assemblée nationale, présenté par le Député Jean-Pierre Abelin, 8/04/03.
4 – Colloque Sénat-CFCE, « Europe centrale : pleins feux sur la République tchèque et la Slovaquie », 5/02/2004.
5 – Source Dree
6 – The Slovak Spectator, Marta Durianova, « Flying to freedom », 11/08/2004.
7 – Radio Slovakia International, 12/10/04.

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