La lettre diplomatique

Article – Azerbaïdjan
La Lettre Diplomatique N°77 – Premier trimestre 2007

L’Azerbaïdjan redevient un carrefour pétrolier majeur

Jadis une des premières provinces pétrolières mondiales, l’Azerbaïdjan connaît depuis une décennie une expansion économique sans précédent qui la place au tout premier rang mondial grâce à ses ressources en hydrocarbures, et sa position de carrefour, situé au milieu de la Caspienne et au débouché de l’Asie centrale.
« Quand débuta le XXème siècle, écrit  Eric Hoessli dans son superbe ouvrage récemment paru « A la conquête du Caucase »*, Bakou a rattrapé ses rivaux américains, elle domine désormais le marché du pétrole. En 1900, la Russie est passée à 66,7 millions de barils ce qui représente 51,6 % de la production mondiale. Le marché planétaire compte quatre acteurs principaux dont  trois caucasiens : les Nobel, les Rothschild et le cartel des productifs locaux de Bakou, communément appelés « la guilde des rois »… L’industrie d’huile minérale russe, où celle de Bakou occupe la première place, menace maintenant de déborder complètement sa rivale américaine, écrit en 1901 l’ingénieur allemand Julius Pusch. Le combat concurrentiel acharné mené depuis des années contre tous les producteurs de naphte, et en particulier contre la  Russie, puissance rivale sur les marchés mondiaux du pétrole, semble prendre un cours favorable à l’industrie russe. »
Même si cet âge d’or, qui a fait la renommée et la prospérité de Bakou, encore visible dans une partie de son patrimoine architectural, ne reviendra peut-être pas avec la même intensité, l’Azerbaïdjan qui a connu son dernier pic de production en 1941, connaît depuis une décennie un puissant renouveau de son secteur pétrolier et gazier. Certes, en terme de réserves, le pays ne figure pas parmi les « grands », l’annuaire statistique de la BP (British Petroleum), qui fait référence dans la profession, évalue celles-ci à 7 milliards de barils (un milliard de tonnes) soit 0,6 % des réserves mondiales, au vingtième rang mondial. La SOCAR, pour sa part, les évaluent à 17,5 milliards ce qui inclus probablement des réserves économiquement non encore viables ou non totalement prouvées. On connaît toutes les différences qui s’attachent à l’évaluation des réserves, prouvées, probables ou ultimes qui dépendent des cours du brut, des conditions techniques d’extraction et de récupération ainsi que des règles comptables devenues extrêmement strictes.
Pour ce qui est du gaz, les réserves de l’Azerbaïdjan sont évaluées à 1,3  trillion de m3 soit 0,8% des réserves mondiales. Le pays, jadis exportateur, connaît actuellement un déficit gazier, puisque sa production annuelle qui plafonne à 5 milliards de m3 contre 9,9 milliards de m3 en 1989 ne satisfait pas une demande de 12 milliards de m3, ce qui conduit l’Azerbaïdjan à en importer de Russie et du Kazakhstan, situation qui devrait néanmoins se résorber cette année avec la montée en puissance du champ offshore de Shah Deniz.  En  effet, en raison de prix intérieurs inférieurs aux cours mondiaux, la production de ce champ fut initialement destinée exclusivement à l’export. Cependant, le gouvernement a signé en avril 2005 un contrat avec le consortium exploitant mené par BP et le norvégien Statoil qui lui permettra de couvrir une partie de ses besoins domestiques à compter du début 2007.
C’est dans le domaine pétrolier que l’on a assisté, aux cours de ces années, à une nette montée en puissance de l’Azerbaïdjan. Alors que sa production annuelle ne se situait qu’à 12 millions de tonnes en 1989 (250 000 b/j), 15,5 millions de tonnes en 2004, (311 200 barils/j) soit 0,4% de la production mondiale, elle a progressé régulièrement pour atteindre 22,2 millions de tonnes en 2005 et les 30 millions de tonnes en 2006. Elle devrait atteindre le million de barils par jour, soit 50 millions de tonnes /an dès 2010.
Si jusqu’en 2004, le producteur principal est néanmoins resté la société d’Etat, SOCAR (State Oil Company of the Azerbaijan Republic), sa part dans la production totale a régressé au profit de la société internationale privée AIOC (Azerbaïdjan International Operating Company) qui  extrait désormais les deux tiers du brut azerbaïdjanais. C’est que la SOCAR extrait du brut principalement des champs onshore exploités depuis très longtemps, alors que l’AIOC a investi d’importantes sommes pour mettre en exploitation le champ offshore Azeri-Chirag-Guneshili (ACG) beaucoup plus prometteur. En plus de ce projet qui entre actuellement en opération, le pays en a développé trois autres d’envergure. Le développement du champ gazier de Shah Deniz, la construction du gazoduc du Sud Caucase (South Caucasus Gas Pipeline Project – SCP) y afférant, ainsi que la montée en puissance de l’oléoduc BTC, Bakou-Tbilissi-Ceyhan qui assurera l’exportation du brut du champ ACG vers les pays européens ainsi qu’une bonne partie de celui des champs du Kazakhstan. Ceci contribuera à en élever de manière significative la rentabilité  et procurera à l’Azerbaïdjan des revenus supplémentaires substantiels. Les réserves du champ gazier de Shah Deniz sont évaluées entre 625 et 725 Gm3**, ainsi que 101 millions de tonnes de condensats, de même consistance que le brut. La production de gaz a juste commencé dans les derniers jours de 2006, le principal débouché devant être la Turquie via le gazoduc BTE, Bakou-Tbilissi-Erzeroum. Les responsables azerbaïdjanais gardent d’ailleurs bon espoir que le BTE puisse un jour être relié au projet Nabucco, gazoduc long de 3 400 km destiné à relier la Turquie à l’Autriche, manière de brancher les réserves de gaz  de la Caspienne aux marchés européens.
La grande réalisation qui a  placé l’Azerbaïdjan au centre du nouveau jeu pétrolier et gazier se déroulant autour de la Caspienne fut l’achèvement de l’oléoduc BTC, financé par la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) à hauteur de 30% et la Banque mondiale (70%) confié à British Petroleum comme opérateur, qui détient 30,1% des parts aux côtés de dix autres compagnies dont la française Total avec 5% des parts. C’est en août 2002 que le feu vert fut finalement donné pour débuter la construction de ce pipe dont la construction avait été envisagée dans les années 1990 pour contourner la Russie et éviter de traverser l’Iran pour exporter le pétrole de la Caspienne et de l’Asie centrale. Pour l’Azerbaïdjan, qui a fait un pari audacieux sur sa réussite,  la construction de cet oléoduc long de 1 774 km, avec ses huit stations de pompage, présente plusieurs avantages. Jusqu’alors ce pays enclavé ne disposait que de deux voies d’évacuation de son pétrole : les oléoducs de Bakou-Soupsa (en Géorgie) et Bakou-Novorossisk (en Russie) qui  acheminaient le brut vers la mer Noire mais dont la capacité conjointe était limitée à 400 000 b/j. Le BTC offre des capacités supplémentaires d’exportation puisque son débit prévu initialement à 375 000 b/j sera porté par étapes à 500 000 puis à 1 million de b/j au-delà de 2008, voire même 1,5 million de b/j. De telles capacités laisseront un potentiel d’exportation additionnel puisque  seulement 656 000 b/j sur les 800 000 b/j que produira le champ ACG emprunteront le BTC, la compagnie russe Lukoil et l’américaine Exxon Mobil ayant fait savoir qu’elles ne l’utiliseraient pas pour évacuer la part de production qui leur revient dans le consortium. Le BTC confère plus de flexibilité à l’Azerbaïdjan dans sa politique d’exportation. Certes l’oléoduc Bakou-Soupsa ne traversait pas le territoire de la Fédération de Russie mais sa capacité limitée à seulement 160 000 b/j s’avérait  bien insuffisante. Enfin le BTC permet à l’Azerbaïdjan comme à ses voisins, au premier chef le Kazakhstan, d’éviter pour leurs tankers d’avoir à traverser la mer Noire et le Bosphore, détroit fort congestionné, qui  impose une limite à la taille des pétroliers qui l’empruntent. En évacuant son brut et celui du Kazakhstan directement sur les rivages de la Méditerranée à partir du terminal turc de Ceyhan, cette voie évite les restrictions de trafic édictées par la Turquie, permet le chargement sur des supertankers et diminue les coûts de transports permettant de conquérir de nouveaux marchés, l’Italie prenant actuellement à elle seule livraison de 30% du brut en provenance de l’Azerbaïdjan.  Le BTC a été officiellement inauguré le 13 juillet 2006, avec une année de retard. Mais, dès le 9 juin 2006, un tanker britannique avait livré 600 000 barils de brut azéri dans le port italien de Savone. Contrairement aux huiles visqueuses du Golfe, le brut azéri est léger et à bas taux de soufre, qualités fort appréciées des raffineurs qui pourront ainsi  réduire leur goulot d’étranglement en matière de production d’essence.
D’ores et déjà, la part du brut en provenance d’Azerbaïdjan dans les importations globales de l’UE à 15 dépassait en 2004 avec un plus de 1% celle de l’Angola et du Venezuela, et si l’on prend en compte l’UE à 27, cette proportion est encore beaucoup plus élevée.
Compte tenu des différentes contraintes qui ont entouré ces deux projets majeurs que sont le BTC et le champ de Shah Deniz SCP, leur coût a dépassé le devis initial de 6,1 milliards de dollars pour s’établir à 7,2 milliards. La part du seul BTC – 3,9 milliards – ne représente pourtant plus un souci majeur pour ses opérateurs du fait de la hausse des cours du brut intervenue depuis le début de sa conception. Mais ce qui en augmente d’autant plus la rentabilité ce fut la décision du Kazakhstan de l’utiliser pour exporter la part de son brut destiné aux marchés occidentaux. Le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan ont signé en juin 2006 un mémorandum prévoyant l’évacuation de 7,5 millions de tonnes par an via le BTC, part qui pourra s’élever à 20 millions de tonnes lorsque le champ géant de Kashagan entrera en pleine production. En l’absence pour le moment d’oléoduc connectant les deux pays, le brut sera chargé sur le port kazakh d’Aktau pour être acheminé à Bakou. Mais avant l’entrée en production de Kashagan, c’est le brut de l’autre champ kazakh de Tengiz qui empruntera le BTC. La construction d’un oléoduc sous-marin traversant la Caspienne reste pour le moment à l’étude, son coût évalué à 4 milliards de dollars étant dissuasif et, au surplus, maintes incertitudes l’entourent du fait que le statut définitif de la Caspienne n’a pas encore été agréé par l’ensemble de ses riverains.
Quoiqu’il en soit, le début de la production du champ gazier de Shah Deniz, celle du champ pétrolier d’ACG, comme l’entrée en service du BTC ont considérablement augmenté la production d’hydrocarbures de l’Azerbaïdjan et ses revenus attenants. Il en est résulté une hausse phénoménale du PIB qui, d’un taux moyen annuel supérieur de 10, 6% entre 2000 et 2004, a atteint 26,4% en 2005 et 34,5 % en 2006, le portant ainsi à 20,6 milliards de dollars et 2 373 de dollars per capita  alors qu’il n’était en 2002 que de 720 dollars per capita. Ces ressources ont gonflé les caisses de l’Etat puisque les hydrocarbures constituent 80% des exportations nationales et plus de la moitié des recettes budgétaires. La banque centrale d’Azerbaïdjan a du procéder à la neutralisation des ces afflux de devises pour endiguer une inflation dont le taux annuel se situe entre 16 et 18% et empêcher une envolée de la monnaie nationale, le manat. Les flux d’investissements étrangers se sont également notablement accrus pour financer ces divers investissements, atteignant 43,4% du PIB en 2004, leur stock ayant dépassé les 15 milliards de dollars à l’orée de 2007. Le taux d’investissement fixe du pays a d’ailleurs beaucoup fluctué au cours de cette période passant de 16% du PIB en 1995 à 37% en 1997, retombant à 23% en 2000-2001, puis grimpant à 60% en  2004 !
Afin de sauvegarder cette manne pétrolière, le gouvernement a  créé un  Fonds d’Etat, calqué sur le modèle norvégien, le SOFAZ, (State Oil fund of the Azerbaïdjan Republic) auquel,  ordinairement, 25% des revenus pétroliers annuels sont attribués et en principe tous les revenus  des exportations lorsque les cours du brut dépassent les 40 dollars. En fin 2006, les revenus du SOFAZ étaient évalués à 1,7 milliards de dollars en hausse de plus de 45% par rapport à l’année passée. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la dette publique dépasse à peine les 10% du PIB. L’autre partie de ces revenus pétroliers et gaziers est utilisée pour assurer la diversification de l’économie nationale trop dépendante de ce secteur, améliorer les insfrastrutures ainsi que pour lutter contre la pauvreté qui frappe encore 28% de la population comme de venir en aide aux quelque 800 000 réfugiés du Haut-Karabakh qui ont trouvé refuge à Bakou ou l’intérieur du pays. P.B.

1 – « A la conquête du Caucase » , Eric Hoessli, éditions des Syrtes, 2006, 684 pages.
2 – G = 109 = 1 milliard (Unité de mesure usuelle des hydrocarbures)


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