La lettre diplomatique

Article – Azerbaïdjan
La Lettre Diplomatique N°77 – Premier trimestre 2007

Pouvoir et société en Azerbaïdjan

Depuis les élections présidentielles d’octobre 2003 qui l’ont porté au pouvoir, Ilham Aliyev  a succédé à Heydar Aliev, « père » de l’Azerbaïdjan indépendant qui était resté aux commandes pendant une décennie, pendant laquelle il a restauré l’autorité de l’Etat et restructuré l’administration et les pouvoirs locaux. Bénéficiant de la manne pétrolière qui, à partir de 1999, a assuré au pays une croissance à deux chiffres, Heydar Aliev a surtout pu consolider une économie particulièrement touchée par les désordres et les gabegies des années post indépendance et les conséquences du conflit du Haut-Karabakh.
Fort des 76,8 % des voix qu’il obtint lors du  scrutin du 3 octobre 2003,  Ilham Aliyev, qui avait occupé précédemment les fonctions de Vice-Président de la société nationale de pétrole, la SOCAR (State Oil company of Azerbaïdjan), ainsi que du parti gouvernemental NPA (Nouveau parti azéri) a peu à peu consolidé les assises de son pouvoir. Il a notamment fait appel à des représentants plus jeunes, issus principalement de milieux technocratiques plus que politiques et venant de la plupart des régions du pays, formant une nouvelle génération de dirigeants. La Constitution, adoptée en novembre 1995, confère d’ailleurs des pouvoirs étendus au président élu pour un mandat de cinq ans, une seule fois renouvelable. Le Cabinet, dont il nomme les ministres sont responsables devant lui. En accord avec le Parlement, unicaméral, le Milli Meclis, élu également pour une période de cinq ans, le Président désigne le Premier ministre ainsi que les chefs des gouvernements provinciaux. Un référendum adopté en août 2002, changea le mode de scrutin des députés : sur les 125 membres du Parlement, 100 sont désormais élus au scrutin uninominal majoritaire, et 25 le restent à la proportionnelle.
L’opposition à Bakou reste faible, non seulement, du fait de la forte emprise du pouvoir, mais parce qu’elle est fractionnée, personnalisée et plus intéressée par les questions de préséance et d’influence que par les questions de fond. La grande dispersion du spectre idéologique n’a pas permis son union et le recours à la violence auquel elle a procédé pour contester les résultats des élections d’octobre 2003, ont contribué à la discréditer aux yeux de la population, effrayée par la perspective de retour au chaos qui avait caractérisé les années 1990.
Fondé en 1992 par des camarades de parti de Heydar Aliev et ses partisans, le Nouveau parti azéri (NPA) détient  la majorité  au Parlement. La machine gouvernementale s’est ralliée à Ilham Aliyev qu’elle a porté à sa présidence en mars 2005.
Face au pouvoir, les partis de l’opposition se dispersent selon des affiliations représentant peu ou prou différentes conceptions de l’Etat azéri. Les yeux rivés sur le modèle turc, entendant élever l’Azerbaïdjan au rang d’Etat nation, défendant l’identité turque, le Front populaire d’Azerbaïdjan (FPA) de l’ancien Président Aboufaz Eltchbey, décédé en 2000, le Parti de l’indépendance national d’Etar Mamadov et le parti Musavat d’Issa Gambar, apparaissent comme les plus fidèles représentants du « Grand Azerbaïdjan », un Etat nationaliste, pro-occidental, républicain et laïque. Certains de ses leaders prônent la réunification des Azéris du nord et du sud,  dans le cadre d’un pan-turquisme réunissant tous les peuples turcs allant de la Bulgarie à la Chine. D’autres partis se sont créés, issus de la scission du FPA qui avait mené le combat pour l’indépendance dans les années 1989-91, et la lutte contre l’Arménie à propos du Haut-Karabakh. En ont résulté le Parti du Front populaire azéri (PFPA), ainsi que le Parti démocratique d’Azerbaïdjan (PDA).
Pour sa part, l’islam politique est représenté par le Parti islamique d’Azerbaïdjan, inspiré de la branche azérie des Frères musulmans, longtemps dirigé par Hadj Alikram Aliev, sans lien de parenté avec le président actuel. Ce mouvement aurait des liens avec le groupe islamiste ouzbek Hizb ut-Tahrir (Parti de la Libération). Surveillés étroitement par les services de sécurité, ces réseaux ont été pour partie démantelés après le 11 septembre 2001.
Les islamistes ont les yeux tournés vers l’Iran et défendent pour l’évacuation du brut et du gaz la route vers le sud, qui le traverse pour déboucher sur le Golfe persique, option qui a été combattue avec vigueur par les Etats-Unis qui ont plaidé pour une route vers l’ouest représentée par le BTC.
Les autorités se trouvent confrontées à la montée d’un islam radical, certes très minoritaire, mais qui représente une réalité avec laquelle il convient de compter. Des moudjahiddins ayant combattu en Afghanistan ont été envoyés dans le Haut-Karabakh et certains y sont restés. Des mouvements ont eu lieu de et en direction de la Tchétchénie. Le Parti islamique d’Azerbaïdjan n’a pas été autorisé à participer aux élections législatives de 2005, mais certains de ses partisans ont rejoint le petit Parti islamique de l’Union, qui a formé avec trois autres petites formations, le bloc de l’Union des forces azerbaïdjanaises. Lors de la guerre du Liban-Sud, le Parti islamique d’Azerbaïdjan a manifesté sa solidarité avec ses frères chiites du Hezbollah.
Le dernier scrutin législatif a eu lieu le 6 novembre 2005, donnant une large victoire au parti gouvernemental le NPA et ses affiliés qui emportèrent respectivement 56 et 40 sièges sur les 125 qui constituent le Milli Meclis. Cependant, du fait d’un certain nombre d’irrégularités constatées par les observateurs internationaux de l’OSCE après une décision de la Commission électorale confirmée par la Cour Suprême, un deuxième scrutin s’est déroulé le 13 mai 2006 dans dix circonscriptions. Ce dernier s’est également soldé par une large victoire du parti du pouvoir et de ses alliés qui l’ont emporté dans huit d’entre elles, contribuant ainsi à marginaliser presque totalement l’opposition qui s’était encore fragmentée lors de ces scrutins. Les joutes électorales semblent intéresser de moins en moins l’opinion, plus préoccupée de dénoncer certaines dérives dans la distribution des richesses que de prendre part à ces luttes de clans et de personnalités. Le pouvoir de Ilham Aliyev  apparaît d’autant plus consolidé jusqu’au prochain scrutin présidentiel de 2008 qu’il a su renouveler une bonne partie des dirigeants du pays et écarter menaces de complots et tentatives de déstabilisation. P.B.


Tous droits réservés ® La Lettre Diplomatique