L’Azerbaïdjan dans son environnement régional
Le plus grand parmi les trois pays constituant le Caucase, (Arménie, Géorgie et Azerbaïdjan), jadis réunis dans une éphémère fédération de Transcaucasie, l’Azerbaïdjan, ayant proclamé son indépendance lors de la chute de l’URSS, est entouré au nord par la Fédération russe, au sud par l’Iran, au nord-ouest par la Géorgie, à l’ouest et au sud-ouest par l’Arménie. L’Arménie à laquelle l’oppose le grave contentieux du Haut-Karabakh (Nagorny Karabakh) territoire de 4 400 km2 qui compterait 150 000 habitants (76% d’Arméniens en 1989) qui n’a pas trouvé de solution et dont la prolongation est de nature à peser sur la stabilité régionale. C’est dire que Bakou est naturellement amené à conduire une politique étrangère d’équilibre comme d’entretenir de bonnes relations avec ses voisins, ainsi qu’avec les principales puissances, l’Union européenne et les Etats-Unis.
Après avoir connu une période de relative distanciation dans les années 1990, les relations entre l’Azerbaïdjan et la Russie se sont notablement raffermies depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au Kremlin. Sans se plier à tous les desiderata de son puissant voisin, Bakou s’est prêté à une coopération accrue en matière de lutte anti-terroriste ainsi qu’en matière de contrôle des frontières, étant voisine du Daghestan, lui-même frontalier de la Tchétchénie. Les deux pays ont adopté la déclaration de Moscou en mars 2004 qui réaffirme et étend les engagements pris en 1997 dans leur traité d’amitié et de coopération ainsi que la déclaration de Bakou sur les principes de sécurité et de coopération dans le Caucase. Ces bons rapports, marqués par l’année de la Russie en Azerbaïdjan en 2006, ne sont cependant pas dénués de toute friction comme en ont témoigné les divergences qui ont marqué les récentes discussions portant sur les prix du gaz livré par Gazprom à l’Azerbaïdjan. Il est possible, qu’en l’absence de solution viable à long terme de cette question, le leasing à la Russie pour la somme de 7 millions de dollars par an du radar de « Deryat », situé dans la région de Gebele soit remis en question. Mais Bakou ne peut se détacher de la Russie dans l’actuel contexte de tension autour de la question nucléaire iranienne et à la vue de ses relations toujours tendues avec l’Arménie
Les rapports avec la Géorgie, avec laquelle il partage 322 km de frontières, un moment fondé sur la volonté de se distancer de Moscou, revêtent dans la conjoncture actuelle une acuité nouvelle. L’Azerbaïdjan sollicité par Tbilissi, désireux de se faire livrer du gaz en provenance du champ de Shah Deniz, tout en se montrant compréhensive vis-à-vis des demandes de son voisin sur lequel passe l’oléoduc BTC, cherche à ne pas détériorer ses relations avec la Russie.
L’Azerbaïdjan entretient de solides relations d’amitié avec la Turquie avec laquelle elle partage sa langue, sa culture et de nombreux intérêts communs. Ankara l’a en effet constamment soutenu dans son conflit du Haut-Karabakh et a maintenu un embargo frontalier vis-à-vis de l’Arménie. Aussi, Bakou veille à ce que cet embargo soit maintenu malgré les pressions internationales qui s’exercent sur la Turquie en sens inverse. Ankara et Bakou sont liés par un traité d’amitié pour une durée de dix ans signé en 1994, reconduit, ainsi qu’un traité de coopération militaire signé en 1996. D’ailleurs le président turc s’est rendu à deux reprises à Bakou en 2006, en janvier et en avril. Ces liens privilégiés avec la Turquie doivent être perçus à la lumière des relations turco-américaines qui ont connu une relative éclipse lors du conflit irakien. En tout cas, l’Azerbaïdjan garde le contact constant avec Washington où s’est rendu le Président Ilham Aliyev en avril dernier.
Les rapports avec l’Iran, pays avec lequel l’Azerbaïdjan partage une longue frontière, sont particulièrement cruciaux. L’Azerbaïdjan dont 95% de la population est musulmane, en majorité chiite, mais qui professe la laïcité est préoccupée par la ligne pro-islamiste et cléricale de son voisin qui n’a pas renoncé à étendre son influence au sein des partis de tendance religieuse. L’Iran, pour sa part, dont au moins 20 millions d’habitants sont azéris, reste attentif à la résurgence de tout nationalisme azéri. Les deux pays n’ont pu s’entendre d’autre part sur le statut de la Caspienne, alors que l’Azerbaïdjan a conclu sur ce point des accords bilatéraux avec la Russie et le Kazakhstan. Enfin, Téhéran a plutôt pris partie pour l’Arménie en ce qui concerne le conflit du Haut-Karabakh. Tout indique cependant que pour échapper à son isolement, l’Iran cherche à améliorer ses rapports avec l’Azerbaïdjan, aidé par la position du Président Ilham Aliyev qui s’est prononcé avec clarté contre toute action militaire à l’encontre de son voisin et qui n’a pas été en faveur de l’imposition de sanctions à propos de la question nucléaire iranienne. D’ailleurs la réunion de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), réunie en juin 2006, a reconnu le droit de poursuivre son programme nucléaire civil. Même si les Etats-Unis ne disposent d’aucune base miliaire en Azerbaïdjan la relation militaire qu’ils entretiennent avec l’Azerbaïdjan reste pour l’Iran, sujette à préoccupation, Washington ayant installé en 2005 des radars à 20 km de la frontière iranienne. Téhéran a donc baissé sa rhétorique vis-à-vis des liens américano-azerbaïdjanais et manifesté son intention d’améliorer ses rapports avec Bakou qu’elle a autorisé à ouvrir un consulat à Tabriz dans le nord-ouest du pays. Le Président Ahmadinedjad s’est rendu à Bakou en mai 2006 au lendemain du déplacement du Président Ilham Aliyev aux Etats-Unis, visite qui a été perçue comme une tentative de médiation azerbaïdjanaise dans la crise nucléaire iranienne. A la fin de 2006, lorsque le système unifié russe d’électricité a annoncé qu’il allait réduire ses livraisons d’électricité à l’Azerbaïdjan de 300 à 60 MW et que Gazprom a fait part de son intention de stopper ses livraisons de gaz, l’Iran s’est proposé comme substitut en matière électrique démontrant par-là son intention d’utiliser son potentiel énergétique dans la poursuite de ses objectifs extérieurs.
L’Ukraine, qui s’est notablement rapproché de la Russie n’est pas absente de ce jeu puisqu’elle aussi a manifesté sa disposition à servir de pays de transit pour l’exportation du brut azerbaïdjanais vers l’Europe via l’oléoduc Bakou-Soupsa-Odessa-Brody-Plock.
Avec les Etats-Unis, les relations qui s’étaient notablement améliorées après le 11 septembre 2001, Washington s’étant largement départi de sa position consistant à déclarer l’Azerbaïdjan, pays agressé vis-à-vis de l’Arménie, semblent avoir atteint leur rythme de croisière. Washington n’a guère été en mesure d’user de son influence pour régler la question du Haut-Karabakh, alors que Bakou redoute avant tout d’être emporté dans la spirale d’un éventuel conflit à propos de l’Iran.
Quant à la Chine qui demeure un client potentiel à terme des hydrocarbures azerbaïdjanais, elle commence à faire sentir sa présence en exportant de plus en plus de biens de consommation.
Bien que Bakou s’efforce de maintenir de bonnes relations avec ses voisins et les principales puissances, ceci ne veut pas dire que son environnement soit dépourvu de tout danger potentiel. Lors de son retrait envisagé pour 2008 des bases militaires qu’elle a gardée en Géorgie, la Russie entreposera une bonne partie de son matériel dans la base de Giurmi en Arménie, ce qui pourrait constituer un danger pour Bakou avec la possibilité de transfert illégal d’armes russes aux Arméniens. En dépit de l’activité prodiguée par le Groupe de Minsk aucune percée n’a été réalisée sur le dossier du Haut-Karabakh, la situation s’étant même tendue sur le terrain. Ce contexte général explique certainement le doublement des dépenses militaires de l’Azerbaïdjan entre 2003 et 2005, lesquelles ont désormais atteint la barre des 300 millions de dollars, avec un effectif total de 76 000 hommes. Après le démantèlement du système de défense aérienne consécutif à la chute de l’URSS, Bakou n’avait guère été en mesure en effet d’y suppléer laissant sa frontière sud largement démunie. L’Azerbaïdjan doit combler peu à peu son retard dans le domaine de la formation de son personnel militaire et de son équipement pour lui permettre d’être mieux en mesure de répondre à ces défis. Au-delà de sa signification militaire il s’agit pour l’Azerbaïdjan de démontrer la solidité de son régime tant au plan interne qu’au plan externe.
Au sein de l’UE, l’Azerbaïdjan entretient d’étroits rapports avec la Grande-Bretagne, BP (British Petroleum) étant le principal investisseur dans le pays, l’Italie, principal débouché de son pétrole, et la France où le Président Ilham Aliyev s’est rendu à plusieurs reprises, dont il apprécie la ligne active et indépendante au plan régional et international. L’Azerbaïdjan est inclus dans la politique européenne de voisinage (PEV) et a souscrit en décembre 2006 à la feuille de route UE-Pays du Caucase en matière énergétique.
La récente visite d’Etat du Président Aliyev en France du 30 janvier au 1er février 2007 a consolidé les rapports entre Paris et Bakou. La France se situe désormais au quatrième rang des partenaires commerciaux du pays, avec un volume d’échanges de près de 800 millions d’euros qui a plus que quadruplé depuis 2004 (168 millions d’euros). Les achats français sont pour 98% constitués d’hydrocarbures, alors qu’elle lui livre en retour des hélicoptères Eurocopter, et des avions ATR, des biens de consommation alimentaires ou pas (cosmétiques, pharmacie…) des produits intermédiaires (produits chimiques et métalliques), des biens d’équipements (équipements mécaniques et électriques, instruments de mesure), ainsi que des véhicules. Lors de la visite d’Etat du Président Aliyev un accord est intervenu pour l’achat de deux ATR 42-500 et de quatre ATR 72-500 par la compagnie aérienne nationale azerbaïdjanaise Azal. La visite a également donné une impulsion aux projets de la CNIM (signature d’un mémorandum sur la fourniture d’un incinérateur de déchets), de Faun/Plastic Omnium (bacs de collecte et camions de ramassage des déchets) et de Lafarge (construction d’une cimenterie). Trois mémorandums de coopération ont été, d’autre part signés, dans le domaine culturel. Le secteur du tourisme va également recevoir une nouvelle impulsion avec la signature d’un accord intergouvernemental. En matière de sécurité civile, l’Azerbaïdjan a exprimé clairement son choix du modèle français pour la restructuration de son appareil de gestion des crises. Enfin, les deux pays ont exprimé l’intention d’amorcer une coopération dans les domaines du planning familial et de la lutte contre les mariages forcés. Pierre Beaumont