La lettre diplomatique

Article – Venezuela
La Lettre Diplomatique N°77 – Premier trimestre 2007

Venezuela : une alternative géopolitique favorable aux populations indiennes des montagnes

Par M. Jean Lassalle, Député des Pyrénées-Atlantiques,Président de l’Association des Populations des Montagnes du Monde (APMM)

En tant que Président de l’Association des Populations des Montagnes du Monde (APMM), ma vision du Venezuela et plus largement de l’Amérique latine s’est construite à travers les revendications des peuples indigènes et des mouvements sociaux qui ont porté au pouvoir de nouveaux dirigeants en particulier au Venezuela, au Brésil, en Bolivie et en Equateur. Depuis mon premier séjour à Caracas en 1999 pour une mission sur les conflits dans la gestion des réserves naturelles, jusqu’à ma dernière visite à La Paz en 2006 pour l’investiture d’Evo Morales, j’ai été profondément impressionné par la métamorphose politique de ce continent où les populations les plus pauvres et les indigènes, jusqu’alors dominés et marginalisés, ont utilisé les règles du jeu démocratique pour tourner la page des gouvernements sous tutelle nord-américaine et des politiques néolibérales.
L’Association des Populations des Montagnes du Monde (APMM) qui se bat pour la défense des droits, des cultures et des savoir-faire des peuples des montagnes partout dans le monde, est née dans les Andes, à Quito, en 2002 et a construit un réseau de partenaires sur l’ensemble de la Cordillère avec les représentants des populations indigènes montagnardes de Colombie, du Pérou, d’Equateur, de Bolivie et du Chili. Sans offrir de blanc-seing aux nouveaux gouvernements andins ni préjuger de leur évolution future, nous constatons avec satisfaction la convergence entre les nouvelles options politiques et gouvernementales et les positions que nous défendons avec nos partenaires.
En effet, les membres et partenaires de l’APMM dans les Andes ont choisi de structurer leur action autour de trois thèmes principaux :
– L’accès équitable pour les populations aux richesses naturelles et la lutte contre l’appropriation ou la privatisation de ces ressources (eau, minerais, hydrocarbures, etc.) pour le profit exclusif d’intérêts étrangers ou des multinationales ;
– la reconnaissance constitutionnelle de formes d’autonomie et de gestion des territoires et des ressources naturelles fondées sur le respect des droits et des cultures indigènes et la poursuite des processus de réforme agraire ;
– la dépénalisation de l’usage légal de la feuille de coca.
Pour autant le plus dur reste à faire comme le montrent les tensions très fortes en Bolivie. Il s’agit maintenant pour la Bolivie, comme demain pour l’Equateur, de concilier solidarité et unité. C'est-à-dire garantir la solidarité de la nation en attribuant des ressources financières importantes – issues notamment de la nationalisation des hydrocarbures – aux populations des hautes terres et de l’altiplano sans pour autant provoquer la scission des régions riches des plaines (par exemple la région littorale de Guayaquil en Equateur et le piémont de Santa Cruz en Bolivie). C’est un défi historique pour les pays andins dans lequel l’APMM veut prendre sa part de responsabilité, en promouvant notamment la création d’un Centre andin d’échanges et de coopération pour la montagne dans lequel les populations pourront s’appuyer sur leur histoire pour construire leur avenir, devenir les acteurs de leur propre développement territorial et peser sur les décisions politiques qui les concernent.
Dans cette phase de transition, le Venezuela peut être un allié solide. Le Président Hugo Chávez, conforté par une réélection indiscutable, établit aujourd’hui son pays, puissance énergétique mondiale, comme un acteur régional et international incontournable. Il exerce dans la région une grande influence en proposant des initiatives concrètes d’intégration comme la création de compagnies pétrolières régionales, d’un gazoduc continental, d’une télévision latino-américaine ou encore le lancement d’une grande coopération en matière de santé avec des pays comme la Bolivie. L'initiative de l'ALBA, l'Alliance bolivarienne pour l'Amérique latine et les Caraïbes, représente également une forme innovante d'intégration politique et économique basée sur la solidarité, la réciprocité, des règles commerciales justes et respectueuses des Etats et des populations, et dont il faudra suivre attentivement l'évolution. En matière de politique intérieure, l’initiative des « misiones », ces programmes étatiques en faveur des populations les plus pauvres, permet de réduire considérablement l’analphabétisme, l’inégalité dans l’accès aux soins médicaux ou encore la réinsertion des enfants des rues. Le Venezuela n’est pas le chantier d’un nouveau marxisme populiste, comme on en présente souvent la caricature, mais bien le laboratoire d’une nouvelle forme de lutte contre la pauvreté, la marginalisation et le libéralisme anglo-saxon. Nous avons confiance qu’il continuera de l’être dans le respect de la démocratie, et nous ne pouvons que nous réjouir de l’exportation de cette « expérience » à travers le généreux programme de coopération internationale lancé récemment en Afrique par les autorités vénézuéliennes. On connaît, notamment en France, des usages moins vertueux des profits considérables du pétrole.
Sur les questions rurales et territoriales qui intéressent particulièrement l’APMM, le Venezuela réfléchit à des initiatives originales et innovantes dans le cadre d’un grand programme de réaménagement du territoire qui remédierait aux déséquilibres territoriaux par le développement de l’agriculture, de l’agro-industrie, des infrastructures énergétiques et du tourisme. Ce projet prévoit la consolidation et la diversification de l’activité économique dans tout le pays, en harmonie avec la vocation spécifique et les avantages de chaque région.
Mais cela passe aussi par la revalorisation des territoires de montagne. En effet, la majorité de la population vénézuélienne vit en zone urbaine et les grandes villes se trouvent pour la plupart sur le littoral. L’APMM, qui promeut un développement durable et équitable des territoires de montagne, se sent d’autant plus concernée par cette approche que les pays européens ont depuis longtemps renoncé à se battre contre la désertification de leurs campagnes et montagnes.
C’est une des raisons pour lesquelles nous envisageons aujourd’hui d’organiser cette année la troisième rencontre mondiale des Populations de montagne au Venezuela.


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