Laboratoire de l’intégration européenne
Près de 116 000 frontaliers traversent chaque jour les frontières pour travailler au Luxembourg. Plus de la moitié sont originaires de Lorraine, 27% de Wallonie et 21% des Länder allemands de Sarre et Rhénanie-Palatinat. Situé au cœur de la Grande Région, le Grand-Duché est devenu un véritable melting pot européen. Cinquante ans après l’adoption du traité de Rome, il incarne la réalité de l’intégration européenne au quotidien pour ces dizaines de milliers de travailleurs. Une réalité qu’il convient de considérer alors que les dirigeants européens ont affirmé lors du Conseil européen qui s’est tenu à Berlin le 22 mars dernier, leur détermination à doter l’Union européenne d’une constitution d’ici 2009.
Un actif sur deux est étranger au Luxembourg
Ils étaient moins de 20 000 au début des années 1980. En l’espace de vingt ans, les travailleurs frontaliers sont devenus l’un des piliers du dynamisme économique luxembourgeois. Ils représentent désormais 40,4% de l’emploi salarié intérieur. En dehors des secteurs publics ou semi-publics, ils sont omniprésents dans l’ensemble du tissu économique, en particulier dans les secteurs des services aux entreprises, l’industrie manufacturière, la construction, le commerce ou les activités financières, où ils constituent plus de la moitié des effectifs, voire beaucoup plus si l’on compte les résidents étrangers.1 Et ce phénomène ne cesse de s’intensifier. Une étude du Statec (Service central de la statistique et des études économiques) prévoit ainsi que la main d’œuvre transfrontalière pourrait dépasser 300 000 personnes à l’horizon 2055 pour 579 000 salariés.2
Paradoxalement, le Luxembourg connaît une sensible hausse du chômage (4 à 5% de la population active, tout de même le plus faible de l’UE), en dépit de sa reprise économique depuis 2004. En fait, les frontaliers répondent à l’offre d’emploi que la main d’œuvre luxembourgeoise ne peut satisfaire.2 Ils contribuent à hauteur de 70% à l’expansion de l’emploi salarié intérieur. D’une manière générale, ils prennent la place laissée vacante par les résidents dans l’industrie. Selon le Statec, « sans la contribution des frontaliers, la croissance serait réduite et le potentiel de croissance serait drastiquement diminué. »
Au premier rang des motivations des frontaliers, figurent bien sûr de meilleures rémunérations. Les salaires sont quasiment doublés ou triplés au Luxembourg par rapport à la France selon que l’on soit infirmière ou ouvrier dans le bâtiment par exemple. Ceux qui font le choix de travailler au Luxembourg peuvent également compter sur des avantages sociaux ou fiscaux, comme l’allocation familiale pour le premier enfant ou une TVA unique à 15% – le taux le plus bas autorisé dans l’UE – qui attire tout autant les frontaliers que les entrepreneurs étrangers.
Le Grand Duché, locomotive de la Grande Région
Avec la fermeture des dernières mines d’Europe occidentale dans les années 1970 et la crise industrielle qui se poursuit aujourd’hui sous forme de délocalisations, les régions dont les bassins d’emploi étaient le plus durement touchés, ont décidé de s’associer donnant naissance à une coopération interrégionale baptisée à l’origine Saar-Lor-Lux. En incluant le Länd de Rhénanie-Palatinat, la province belge de Wallonie, ainsi que les communautés française et germanophone de Belgique, elle est devenue la Grande Région.
Attirant 70% de la main d’œuvre mobile de cette zone, le Luxembourg joue un rôle moteur dans la reconversion économique régionale et à bien des égard celui d’« amortisseur social », notamment en Wallonie et en Lorraine. De fait, l’ensemble des acteurs sociaux (syndicats, collectivités territoriales…) de la Grande Région raisonnent depuis longtemps en termes de bassin d’emploi unique. De son côté, le gouvernement luxembourgeois mise aussi sur la coopération transfrontalière pour soutenir le dynamisme de son économie.
Le projet de reconversion de la friche industrielle de Belval-Ouest fait ainsi figure de priorité et fait l’objet d’un partenariat actif avec les autorités françaises, articulé autour de la convention cadre du 6 mai 2004 et de la convention relative du 20 janvier 2006 à l’aménagement des infrastructures liés au site et scellée par un échange de territoire entre les deux pays. Il s’agit pour l’essentiel de réaliser une voie permettant l’accès, côté français, à Belval, par le « Park and Ride » et contournant les communes de Russange, Audun le Tiche, Villerupt et Thil, engorgées par la circulation de transit liée aux travailleurs frontaliers.
Belval doit se poser en véritable symbole de la reconversion économique du pays. C’est sur les vestiges de son histoire minière que le Grand-Duché ébauche son avenir. Les hauts-fourneaux seront conservés en mémoire de ce qui fit un temps la prospérité du pays. L’objectif final est de faire émerger une agglomération de 5 000 habitants pouvant accueillir 20 000 occupants ou utilisateurs quotidiens. L’installation de l’Université du Luxembourg à Belval, décidée en décembre 2005, constituera la pierre angulaire du site. Si la question fait encore débat notamment en ce qui concerne le déménagement de la Faculté de droit, d’économie et de finances, qui se trouverait ainsi éloignée des institutions financières et européennes, l’ensemble universitaire de Belval devrait accueillir à l’horizon 2009, outre la Cité des sciences avec la Faculté des sciences, de la technologie et de la communication, celle des lettres, des sciences humaines, des arts et des sciences de l'éducation, ainsi que le rectorat. La salle de concert et de spectacle, le Rockhal (7 800 m2), est le premier édifice de la Cité a voir le jour en septembre 2005. L’Université sera également adjacente à un centre de recherche et à une pépinière d’entreprises. Dexia y disposera de son siège administratif, dont l’achèvement de la construction est prévu pour 2010.
Ce projet s’inscrit clairement dans la stratégie de diversification économique du Grand-Duché qui se tourne de plus en plus activement vers une économie de la connaissance et qui cherche à développer le secteur tertiaire dans le sud du pays. Si le Luxembourg possède l’une des économies les plus riches du monde avec un PIB de plus de 80 000 dollars par habitant et affiche un des meilleurs taux de croissance de l’UE à 4-4,5%, le gouvernement cherche à répondre à certains signaux d’alerte comme le ralentissement de la productivité, la perte de compétitivité, la dégradation de la situation budgétaire ou le taux d’inflation, en développant de nouveaux secteurs d’activités et en tirant parti de son attractivité régionale et internationale.
Vers l’émergence d’une identité transfrontalière
Au-delà de ces stratégies de développement qui découlent des réalités économiques, les échanges permanents et croissants qu’animent les frontaliers font émerger une identité transfrontalière. En témoigne leur comportement en tant que consommateur. Les frontaliers auraient ainsi dépensé au Luxembourg 786 millions d’euros en 2002, soit environ 35 euros par frontalier et par jour. Derrière les chiffres, il faut voir les ressorts de ces dépenses qui traduisent le développement d’une vie sociale, de l’autre côté de la frontière, autour du lieu de travail, faite de loisirs, mais aussi de nouveaux besoins comme les soins médicaux. L’inauguration en septembre 2006 par S.A.R le Grand Duc Henri de la Maison du Luxembourg à Thionville, en Lorraine, participe ainsi de la nécessité de répondre au besoin d’information sur les aspects pratiques (conditions de travail, fiscalité…) de la vie transfrontalière. C’est aussi pour rendre compte de cette réalité, au fond européenne, que les organisateurs luxembourgeois de la Capitale européenne de la Culture en 2007, ont étendu les manifestations à l’ensemble de la Grande Région, « la première capitale européenne 100% transfrontalière et 100% surprenante ». C.H.
1 – Cahier CEPS/ INSTEAD – STATEC n°100
2 – Effectif de l’emploi total calculé avec une prévision de croissance économique de 3%.
3 – CEPS/ INSTEAD, Jacques Brosius, Population n°21, décembre 2006.