Le Luxembourg et l’Euro
Par M. Jean-Claude Juncker, Premier ministre et Ministre des Finances du Luxembourg, Président de l’Eurogroupe
Le Luxembourg et l’Europe, c’est l’histoire d’une relation étroite, longue et fidèle qui relève au moins autant d’une affaire de cœur que d’un mariage de raison. Un constat qui se vérifie en particulier dans le rôle joué par les Luxembourgeois dans la création de l’euro. Quiconque s’intéresse au cheminement qui a mené à la monnaie unique, remarquera en effet rapidement que les noms de personnalités luxembourgeoises reviennent de manière régulière au cours des trente ans qu’a duré l’aventure.
Les débuts ont été engagés par Pierre Werner, Premier ministre et Ministre des Finances en 1970. L’éminent spécialiste des questions financières berçait de grandes ambitions pour son pays et en avait de plus grandes encore pour le continent européen. Pierre Werner s’était étonné dès les années 1960 du fait que l’intégration monétaire n’eût pas retenu davantage l’attention des fondateurs du marché commun. Les turbulences auxquelles les taux de change des monnaies européennes allaient être soumis à la fin de la décennie seront pour lui l’occasion de traduire ses idées en un projet politique concret.
Pierre Werner sera chargé par les Six de présider un comité d’experts devant se pencher sur la possibilité d’instituer une union économique et monétaire (UEM) dans la CEE. Le rapport Werner sera présenté en octobre 1970. Il proposait la réalisation de l’UEM en trois étapes entre 1971 et 1980. Le climat économique instable du début des années 1970 empêchera de vrais progrès dans la mise en œuvre du rapport Werner. Ce ne sera qu’à la fin de la décennie que le Système monétaire européen et l’ECU (European Currency Unit) verront le jour sous l’impulsion de Valéry Giscard d’Estaing, Président de la République française, et de Helmut Schmidt, Chancelier allemand. Les travaux préparatoires du comité Werner ne seront pas oubliés pour autant. Quand Jacques Delors relancera la marche vers la monnaie unique en 1989 grâce au rapport sur l’UEM d’un comité d’experts présidé par lui, il reprendra ainsi la trame des trois étapes.
Ministre des Finances depuis 1989, il me revenait lors des négociations du traité de Maastricht en 1991 de présider la conférence intergouvernementale sur l’UEM. Au terme de la présidence luxembourgeoise, les bases pour un accord étaient en place alors qu’il ne restait plus qu’un nombre réduit de points à clarifier. Le risque de voir le processus bloqué par le refus du Royaume-Uni de s’engager dès ce moment à adopter la monnaie unique, avait été éliminé grâce à l’introduction d’une clause d’« opt out ». La conclusion des négociations autour de l’UEM se fera finalement en décembre 1991, sous présidence néerlandaise.
Le projet d’une monnaie unique correspondait bien à l’idée européenne du Luxembourg. La construction européennne est certes ancrée dans l’économique, mais les Luxembourgeois y ont toujours vu un projet foncièrement politique. L’engagement luxembourgeois en faveur de l’euro ne s’est donc jamais démenti. Jacques Santer, ancien Premier ministre, présidait ainsi la Commission européenne au cours des cruciaux travaux préparatoires à l’introduction de la monnaie unique au 1er janvier 1999. Ensemble nous avons tous les deux assumé en 1995 le rôle d’accoucheurs du Pacte de stabilité et de croissance. J’ai moi-même accepté début 2005 de présider l’Eurogroupe, qui rassemble les ministres des Finances de l’Eurozone.
« Parce que bons Luxembourgeois, nous sommes bons Européens », expliquait le Ministre des Affaires étrangères luxembourgeois Joseph Bech en 1946 à Londres. Dans aucun autre domaine le Luxembourg n’a-t-il été plus fidèle à cet adage qu’en ce qui concerne la monnaie unique. Un engagement que nous n’avons jamais regretté.