La lettre diplomatique

Article – Etats-Unis
La Lettre Diplomatique N°75 – Troisième trimestre 2006

Des relations interparlementaires à renforcer

Entretien avec M. Paul Girod, Sénateur de l’Aisne, Président du groupe sénatorial d’amitié France-Etats-Unis

 

La Lettre Diplomatique : Monsieur le Sénateur, vous présidez le groupe sénatorial d’amitié France-Etats-Unis depuis 1994. Quel regard portez-vous sur l’évolution des relations franco-américaines ?

 

M. Paul Girod : Je voudrais tout d’abord vous rappeler le contexte de mon arrivée à la tête du groupe d’amitié France-Etats-Unis au Sénat, après que l’ancien président eût subitement interrompu toute activité au début des années 1990. Juste avant les élections de 1993, j’ai pris conscience de retour d’une visite à Washington où j’avais conduit une délégation de la Commission des finances, que nous avions dramatiquement tort de ne plus avoir d’activité au sein du groupe d’amitié. Je connaissais alors mal les Etats-Unis, mais j’ai pu constater que le pouvoir politique aux Etats-Unis n’est pas concentré à la Maison-Blanche et que des rapports uniquement entre les gouvernements des deux pays est sans signification sur le plan politique si les rapports avec le Congrès ne sont pas également cultivés. Après avoir expliqué ma vision de toute l’importance de ces relations interparlementaires, je convoquais l’année suivante les membres inscrits du groupe d’amitié qui m’ont alors élu président, ce que je suis resté, alors même que je ne suis pas anglophone.

Au cours de ces dix dernières années, nous avons connu des moments plus ou moins difficiles. Nous avons également éprouvé une certaine difficulté à faire comprendre aux parlementaires fédéraux américains l’intérêt d’un groupe d’amitié et d’une relation suivie. A chacune de nos visites aux Etats-Unis, nous avons été remarquablement reçus et pilotés par l’Ambassade de France, peut-être même un peu à l’excès d’ailleurs, car en dépit des avantages que cela procure, a pour inconvénient de donner un caractère presque gouvernemental à une visite de parlementaires. Il a dû y avoir à cet égard chez les Américains, une incompréhension qui subsiste peut-être encore, sinon une équivoque ou tout au moins un élément d’interrogation.

 

L.L.D. : Deux ans après la crise irakienne, comment l’amélioration de ces relations peut-elle être soutenue ?

 

P.G. : Nous recevons encore trop peu de visites des Représentants ou des Sénateurs américains en France, et ce pour plusieurs raisons : l’une qui tient au fait que les représentants sont en élection tous les deux ans ; l’autre étant l’absence d’une véritable culture internationale chez beaucoup de parlementaires américains. Il y a encore une dizaine d’années, plus d’un tiers des sénateurs et plus de la moitié des représentants ne disposaient même pas de passeports.

En revanche, les relations franco-américaines ont commencé à devenir fructueuses, sans pour autant que nous en soyons totalement satisfait. Deux évènements ont précipité les choses. Le premier a été le 11 septembre 2001 qui   m’a bien sûr affecté en tant qu’ami des Etats-Unis. Il se trouve par ailleurs que dans le cadre d’autres activités que je conduis en matière de défense civile, j’ai visité la salle de crise de l’agglomération de New York, qui ont été détruites dans l’effondrement des tours du World Trade Center. J’ai donc été doublement sensibilisé à ce choc. Le 18 septembre, j’ai également été appelé à rejoindre la délégation accompagnant la visite du Président Jacques Chirac. Six mois plus tard, je suis retourné à New-York pour les debriefings des opérations de secours. C’est à ce moment qu’est apparu sur la table le dossier de l’Irak, sur lequel le groupe d’amitié a d’ailleurs clairement exprimé sa position.

Par la suite, la création d’un « caucus » franco-américain au Congrès à l’initiative de l’Ambassadeur de France aux Etats-Unis, Jean-Philippe Levitte, a favorisé le renforcement de notre dialogue. Côté américain, le caucus est présidé par des hommes de premier plan de la scène politique américaine. Sans compter qu’il serait devenu l’un des cercles les plus couru du Congrès.

 

L.L.D. : Comment se traduisent les activités du groupe d’amitié France-Etats-Unis du Sénat ?

 

P.G. : Nous cherchons tout d’abord a nouer un maximum de contacts avec les parlementaires américains de passage à Paris. Nous avons reçu en octobre dernier des Sénateurs de Californie. Notre groupe est également très proche de l’Ambassade des Etats-Unis à Paris. D’ailleurs, je me réjouis beaucoup de la nomination de M. Stapleton qui est un diplomate de grande qualité et qui connaît remarquablement son métier. Nous essayons d’aider toutes les associations franco-américaines de Paris à se développer : nous organisons à cette fin des rencontres et nous les recevons chaque année au Sénat. D’une manière générale, notre message est que nous sommes deux pays qui sont devenus républicain simultanément, partageant des valeurs sensiblement identiques et qui, malgré leurs divergences d’approche de la déclaration des droits de l’Homme – les Américains ayant davantage misé sur la responsabilité et la liberté, et nous sur l’unité et la solidarité -, se sont toujours retrouvés côte à côte lors de chaque crise majeure. L’épisode de 2003 est désormais clos et nos positions sont de mieux en mieux comprises et même si une certaine distance est nécessaire pour juger de la question irakienne.

 

L.L.D. : Dans quels domaines la coopération franco-américaine est-elle la plus fructueuse et la plus prometteuse ?

 

P.G. : Je citerais incontestablement en premier lieu la coopération en matière de renseignement. Depuis le 11 septembre, les Américains se sont tournés vers les pays qui n’ont pas perdu la tradition du renseignement humain, d’une compréhension plus large des peuples et de leur évolution, qu’ils ont peut-être délaissé au profit d’une prépondérance de l’efficacité technologique. La France fait partie de ces pays. Dans le domaine des hautes technologies aussi, il existe aussi beaucoup d’échanges. Mais, ils est vrai que nous ne disposons pas d’une complémentarité entre la recherche privée et la recherche publique, comme elle existe aux Etats-Unis, où des grandes entreprises ont même transféré leur service de R&D à des universités et à leurs équipes de chercheurs.

Les Américains ont d’immenses qualités, ne serait-ce que cette culture de la liberté et de la responsabilité individuelles, que nous avons un peu perdu, ou encore leur fidélité aux grands principes de la démocratie qui est incontestable même si de temps en temps il y a des critiques…. C’est une des raisons pour laquelle je suis attaché à cette amitié franco-américaine. Le monde ne serait pas d’ailleurs le même aujourd’hui sans l’attachement des Américains à la démocratie.

 

L.L.D. : Au-delà, dans quelle mesure peut-on parler d’un renouveau des relations entre les Etats-Unis et l’Europe ?

 
  P.G. : Les Américains ont une perception ambivalente de l’Europe. Ils la regardent à la fois comme une puissance économique et donc une rivale potentielle, tout en n’étant pas mécontent de la voir engluée dans ses problèmes institutionnels et ses inextricables réglementations, ce qui leur laisse une marge d’initiative importante. De plus, les Etats-Unis sentent bien que dans une cinquantaine d’années, les grandes questions mondiales vont se poser sur un axe qui s’étend de la Sibérie à l’Australie. C’est dans cette perspective que les Américains font preuve d’ambiguïté à l’égard de l’Europe, même s’ils sont quand même un peu embarrassés de voir l’Europe de plus en plus marginalisée dans un monde qui sera davantage centré sur le Pacifique que sur l’Atlantique.

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