La lettre diplomatique

Article – Grèce
La Lettre Diplomatique N°75 – Troisième trimestre 2006

La Grèce au centre de la réflexion sur l’avenir du Conseil de l’Europe

Par S.E.M. Constantin Yerocostopoulos, Ambassadeur, Représentant permanent de la Grèce auprès du Conseil de l’Europe

 

La chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide qu’elle symbolise ont redynamisé une organisation qui représente aujourd’hui 800 millions d’hommes et de femmes. Cet événement majeur et l’instauration de régimes démocratiques en Europe de l’Est qui s’ensuivit, devraient propulser le Conseil de l’Europe dans un rôle de premier plan, à condition qu’il parvienne, d’une part à maîtriser les concepts propres au XXIème siècle, sans, en même temps, négliger de s’assurer des moyens de sa politique, afin d’éviter une marginalisation inévitable dans une architecture européenne et mondiale en cours de construction.

Quels sont ces nouveaux concepts qui souvent restent à définir clairement au risque de devenir, à terme, des outils de désinformation et finalement d’oppression ? En voici, pêle-mêle, quelques-uns, au centre des débats de tout comité et groupe de travail du Conseil de l’Europe qui se respecte : la lutte contre le terrorisme, le dialogue interculturel et interreligieux comme moyen de prévention des conflits, la stabilité démocratique, les ONG et leur rôle, mais aussi la bioéthique, la cybercriminalité et le trafic d’êtres humains entre autres. Ces notions sont directement liées à celle de la Démocratie et c’est dans ce contexte que mon pays, la Grèce, œuvre et voudrait contribuer à sa consolidation, conscient des enjeux et fier d’être à l’origine de cette idée, la Démocratie, qui nous interpelle depuis 2 500 ans et qui se trouve être au centre des préoccupations de notre organisation paneuropéenne.

Parmi les premiers pays à adhérer au Conseil de l’Europe dès ses débuts en 1949, la Grèce a grandement bénéficié de son appartenance à cette famille, gardienne de la Démocratie et protectrice des droits de l’Homme. Elle gardera toujours en mémoire le soutien ferme, tant moral que politique que le Conseil de l’Europe apportera au peuple grec lors de cette période sombre mais courte de son histoire que fut la dictature militaire (1967-1974), lorsque le gouvernement putschiste quitta le Conseil de l’Europe peu avant d’en être expulsé. Et c’est l’isolement qui en résulta, qui accéléra la chute de la dictature et le retour d’un régime démocratique en 1974. L’exemple grec démontre « la force tranquille » que peut exercer cette organisation qui souvent n’est pas appréciée à sa juste valeur et dont la visibilité n’est pas toujours évidente. Il doit aussi inspirer tous les Etats membres et en particulier les « nouvelles démocraties » qui ambitionnent d’adhérer un jour à l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe y veille avec ses nombreuses conventions et ses multiples organes, dont la Cour européenne des droits de l’Homme est le fleuron.

A ce propos la Grèce prend une part active à la réflexion en cours concernant l’avenir et l’existence même de la Cour européenne des droits de l’Homme, vice-présidée par le Professeur Christos Rozakis. En effet, un « groupe des sages », auquel participe un autre éminent juriste grec, le Professeur Emmanuel Roukounas, étudie les solutions à apporter à cette juridiction, victime de son succès et en passe de crouler sous la surcharge de requêtes. Les solutions, de mon point de vue, dépassent l’aspect matériel des choses et tiennent plus de la volonté des Etats de garantir coûte que coûte les droits de 800 millions de citoyens. Un premier pas a été fait avec le Protocole 14 que la Grèce a signé et ratifié, mais cette année 2006 sera d’une importance capitale pour la Cour et le Conseil de l’Europe, selon que l’on démontrera ou non, la volonté nécessaire à aller de l’avant. Comme l’a dit le Premier ministre grec Costas Karamanlis lors du 3ème Sommet qui s’est tenu à Varsovie en mai 2005, « charité bien ordonnée commence par soi-même », indiquant par là que, pour décongestionner la Cour, les Etats membres devaient faire leur possible afin d’augmenter l’efficacité de la justice à l’échelon national. Par ailleurs, le Chef du gouvernement grec a souhaité qu’une fois rendus les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, les Etats les exécutent scrupuleusement sans que leur exécution devienne l’objet de marchandages ni qu’elle soit accompagnée de réserves d’aucune sortes.

Dans un autre domaine aussi, la Grèce, de par sa position géographique mais également parce qu’elle n’a pas été touchée par le totalitarisme qui a sévi dans la plupart de ses pays voisins après la deuxième guerre mondiale, s’efforce de contribuer à la stabilité de cette région qu’on appela jadis « la poudrière des Balkans » en participant activement à sa reconstruction, base indispensable pour l’émergence d’une société démocratique.
  En conclusion, toutes les instances du Conseil de l’Europe, à commencer par son Secrétaire général Terry Davis, mais aussi le Commissaire aux droits de l’Homme, « la Commission de Venise », le CPT, l’ECRI, le GRECO et d’autres, doivent être mentionnées, et leurs efforts loués, car elles œuvrent toutes pour la réalisation d’idéaux, sans lesquelles l’Europe ne pourra ni aller de l’avant ni s’adapter aux nouvelles exigences de la mondialisation. Je pense que ce pari difficile peut être gagné, et le Premier ministre grec l’a dit à Varsovie, quand il a déclaré que : « … si nous voulons répondre aux défis de notre continent réunifié, de l’Atlantique à l’Oural, et même au-delà, nous devons opérer les réajustements nécessaires à notre vénérable organisation. »

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