La lettre diplomatique

Article – Roumanie
La Lettre Diplomatique N°74 – Deuxième trimestre 2006

Le marché roumain dopé par l’adhésion à l’UE

Cora, Hyparlo, Carrefour, mais aussi Billa, Metro, Selgros… La multiplication des enseignes de la grande distribution est sans doute le signe le plus frappant des transformations réalisées par la Roumanie. Quinze ans auparavant, les files d’attentes s’allongeaient devant les magasins. Aujourd’hui, le souci du client et le marketing sont de mise, la consommation des ménages explose (+9% en 2005), avec les crédits à la consommation. Bucarest a retrouvé la vitalité qui en faisait, dans les années 1930, un « Petit Paris » de l’Est. Une étude récente de PriceWaterhouseCoopers a classé la Roumanie parmi les pays les plus attractifs du secteur. Les supermarchés et les centres commerciaux prolifèrent, tant à Bucarest que dans les provinces roumaines. Leurs chiffres d’affaires dépassent de loin les attentes.

Carrefour a inauguré son 6ème hypermarché, d’une superficie de 15 600 m2, à Bucarest en avril dernier, dans le Centre commercial Feeria. Le groupe français a investi 30 millions d’euros et créé au passage 700 emplois. A l’automne, il devrait ouvrir un autre magasin à Constanta. Dernier arrivé en date, le groupe Auchan a investi plus de 40 millions d’euros dans la construction d’une galerie commerciale qui ouvrira ses portes

prochainement. Il compte ouvrir deux hypermarchés par an dans le pays.

L’engouement pour l’Europe est réel. Il dope une solide croissance économique qui se confirme au vu des résultats de ce premier semestre, en dépit de l’impact négatif des inondations en 2005 sur le secteur agricole et du ralentissement (2%) de la production industrielle. Pour 2006, les autorités roumaines tablent ainsi sur une croissance du PIB de 6,9%. Certes, comme en Grèce ou au Portugal, l’adhésion à l’UE devrait entraîner la fermeture d’un quart des PME roumaines, tout particulièrement dans les domaines de l’industrie et des services. Mais, dans le sillage des réformes économiques mises en place par le gouvernement, l’environnement des affaires s’est nettement amélioré. La mesure clé de ce point de vue a été l’adoption d’un taux d’imposition unique de 16%. Les difficultés qui subsistent désormais pour la création d’une entreprise moyenne sont liées aux contraintes administratives excessives. Les autorités cherchent aujourd’hui a ramener le temps d’attente pour la création d’une PME de onze à sept jours.

Ce dynamisme séduit les investisseurs étrangers qui sont devenus en quelques années des partenaires majeurs de l’essor économique de la Roumanie et de sa restructuration. En 2006, leurs volume pourrait atteindre 9 milliards d’euros. Avec son usine fabricant la désormais célèbre Logan sous l’enseigne roumaine Dacia, le constructeur automobile Renault a réalisé l’un des plus important investissement étranger en Roumanie. Il a récemment annoncé la construction d’un nouveau site de production à Pitesti, dédié à la production des boîtes de vitesse MT1 pour le compte de Renault-Nissan. Son investissement a par ailleurs entraîné celui d’équipementiers comme Valeo, largement impliqué dans son aventure roumaine.

Fort de ses 22 millions d’habitants, qui en font le deuxième plus grand marché d’Europe de l’Est, la Roumanie s’est hissée au quatrième rang des récipiendaires de l’investissement étranger en Europe centrale. Selon le FMI, les flux devraient se maintenir à une moyenne annuelle de 2,4 milliards de dollars jusqu’en 2008.

Quinze ans après l’insurrection contre le régime totalitaire de Ceaucescu, la Roumanie met les bouchées doubles pour son adhésion à l’Union européenne. Le gouvernement a accéléré les réformes notamment en matière de lutte contre la corruption, avec l’adoption en mars dernier du statut du Département national Anti-corruption qui permet d’enquêter sur les hauts fonctionnaires de l’Etat. La corruption n’est d’ailleurs plus un tabou en Roumanie. Le Président Traïan Basescu en a d’ailleurs fait une affaire personnelle. « A partir de demain, refusez de payer des pots de vins aux fonctionnaires publics ! Le bakchich est devenu un sport national. (…) Le pacte contre la corruption et notre propre dignité sont les éléments déterminants de notre adhésion à l’Union européenne » déclarait-il le 27 septembre 2005.

Sans que le rapport du 16 mai 2006 de la Commission européenne ne donne un blanc-seing formel à son entrée dans l’Union dès 2007, il ne semble plus qu’un report de l’adhésion en 2008 soit envisageable. Les questions litigieuses ne sont plus qu’au nombre de quatre, contre quatorze en octobre 2005 et concernent essentiellement des questions d’ordre technique, les points les plus sensibles étant la sécurité alimentaire et la pollution industrielle. Elles pourront à la limite faire l’objet de clauses de sauvegarde, dans les secteurs où les efforts restent insuffisants – et qui ne pourront donc se voir attribuer de fonds européens. En revanche les questions de la concurrence et de la justice, les plus délicates, ne font plus l’objet d’inquiétudes majeures.

D’ailleurs qu’elle ait lieu en 2007 ou, au plus tard, en 2008, l’adhésion ne sera de toute façon qu’une étape, certes charnière, pour la Roumanie. A une journaliste du Figaro, qui l’interrogeait sur les doutes exprimés par certains parlementaires européens sur la préparation de la Roumanie à son adhésion en 2007, le Président Traian Basescu répondait : « Il est évident que nous avons encore beaucoup d’efforts à accomplir pour mettre la Roumanie à niveau, mais je suis catégorique : nous tiendrons nos engagements. » Rendez-vous est dès lors pris en octobre prochain pour la dernière ligne droite de ce processus. C.H.


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