La lettre diplomatique

Article – Lituanie
La Lettre Diplomatique N°74 – Deuxième trimestre 2006

« Du statut de pays demandeur à celui de donateur »

Par S.E.M. Neris Germanas, Ambassadeur, Représentant permanent de Lituanie auprès du Conseil de l’Europe

 

Dès le rétablissement de son indépendance en 1990, la Lituanie s’est fixée comme objectif majeur de sa politique étrangère, son adhésion la plus rapide aux organisations internationales. Il fut important non seulement de replacer la Lituanie au sein des Etats indépendants mais aussi, étant donné la complexité de sa situation pendant cette période cruciale, d’obtenir le soutien politique et économique des pays démocratiques.

La Lituanie est devenue membre du Conseil de l’Europe en 1993. Durant ces treize dernières années, d’importants changements sont intervenus tant dans l’attitude du Conseil de l’Europe envers la Lituanie, que dans la place de celle-ci au sein du Conseil de l’Europe. Dans les premiers temps de son adhésion, comme tout nouveau membre de l’organisation, la Lituanie fut amenée à accomplir de nombreuses « tâches à domicile », afin de transposer les valeurs du Conseil de l’Europe dans la pratique de la gouvernance de son Etat. L’harmonisation de son cadre juridique a été réalisée rapidement par l’adhésion à des conventions, la mise en pratique des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi que par d’autres actions importantes. La réalisation de ces tâches ainsi que les bonnes relations de la Lituanie avec ses voisins et la prise en compte des problèmes des minorités nationales, ont permis à la Lituanie, dès 1990, d’être reconnue comme ayant rempli ses engagements et de cesser son « monitoring ». Ainsi s’est achevé la première étape de l’intégration de la Lituanie au Conseil de l’Europe. Cette période fut extrêmement utile aussi bien pour les institutions publiques que pour les citoyens du pays qui se sont vus octroyer le droit de faire appel à toutes les institutions du Conseil de l’Europe, dont la Cour européenne des droits de l’Homme, ainsi qu’aux droits garantis par les conventions fondamentales.

La Lituanie peut actuellement être considérée comme membre suffisamment expérimenté du Conseil de l’Europe. Dès lors, son rôle et ses objectifs au sein de l’organisation ont changé. La Lituanie appartient aujourd’hui aux pays dont la pratique sert d’exemple dans de nombreux domaines. Elle est devenue porteuse des valeurs du Conseil de l’Europe et peut partager son expérience. A présent, la Lituanie est passée du statut de pays demandeur de soutien à celui de pays donateur.

Cela est vrai par rapport aux pays qui sont dans une situation semblable à celle que la Lituanie a connu il y a dix ans. Aujourd’hui nous aspirons à partager notre expérience avec tout ceux qu’elle intéresse. De bonnes relations se sont ainsi établies entre la Représentation permanente de la Lituanie et celles de l’Ukraine, de la Moldavie, de la Géorgie et d’autres pays. Des liens de coopération bilatérale dans différents domaines ainsi que de coopération entre les organisations gouvernementales et non gouvernementales ont été noués. Nous sommes persuadés que ces efforts permettront à ces pays de mettre en œuvre plus rapidement les hautes exigences du Conseil de l’Europe dans le domaine de la démocratie et des droits de l’Homme.

La Lituanie, compte tenu de ses ressources humaines et financières restreintes, est tenue, dans son activité au sein d’une organisation internationale comme le Conseil de l’Europe, de définir les intérêts primordiaux pour lesquels elle peut œuvrer de manière efficace. Ces priorités ont été définies dans le programme élaboré lors de la Présidence lituanienne du Conseil de l’Europe en 2002. Même si la période de la Présidence ne dura que six mois, elle permit de définir, à long terme, les orientations de l’activité de la Représentation permanente. Dans ce contexte, il est important de mentionner les questions liées à la coopération interrégionale et aux performances de l’activité de l’organisation elle-même. L’importance de ces problèmes a été soulignée dans la déclaration du IIIème Sommet à Varsovie en 2005.

La coopération entre les régions permet non seulement de partager l’expérience acquise et de fédérer les efforts de plusieurs pays pour résoudre les problèmes de la région concernée, mais aussi d’attirer au sein de cette coopération un cercle très large d’organisations gouvernementales et de la société civile. En outre, s’ouvre ainsi un vrai canal permettant aux citoyens de différents pays de nouer des contacts directs et de participer directement aux activités. Cet aspect est particulièrement important lorsque la position officielle de l’Etat, comme, par exemple, en Biélorussie et dans d’autres pays, n’est pas favorable au processus démocratique, freine la diffusion de l’information et restreint les libertés de la presse. Ce faisant, le développement de la coopération interrégionale aide à résoudre les problèmes économiques et sociaux tout en devenant une vraie école de la démocratie.

C’est en appuyant l’attention que porte le Conseil de l’Europe à l’égard du développement de la coopération interrégionale que la Lituanie met en œuvre un de ses grands principes de politique étrangère, qui consiste à maintenir des relations de bon voisinage. Néanmoins, il n’est pas question que la Lituanie ferme les yeux sur le non-respect des normes du Conseil de l’Europe ou sur la violation des droits de l’Homme dans les pays voisins. Actuellement, la Biélorussie n’est pas seulement un pays voisin de la Lituanie avec lequel nous avons plus de 500 km de frontières communes (qui sont par ailleurs les frontières de l’Union européenne), mais c’est également le seul pays d’Europe qui n’est pas membre du Conseil de l’Europe. Aussi la Lituanie, avec d’autres pays intéressés du Conseil de l’Europe, vise-t-elle à ce que les discussions sur la situation dans ce pays ne soient pas retirées de l’ordre du jour des réunions du Comité des Ministres. Il est important pour nous, quelles qu’en soient les difficultés, que ce pays ne se retrouve pas isolé. La Lituanie épaule toutes les actions qui permettraient de construire une relation de coopération dans les différents domaines. Le temps et la persévérance créeront la nécessité de changements démocratiques dans ce pays.

Dans trois ans, le Conseil de l’Europe, la plus ancienne institution européenne, fêtera les soixante ans de son existence. Tout au long de cette période, l’Europe fut témoin d’une multitude de changements politiques et économiques. De nouveaux pays ont surgi sur la carte de l’Europe. Aujourd’hui, cette organisation doit répondre à de nouveaux défis. Dans la nouvelle architecture européenne, le Conseil de l’Europe doit trouver sa place parmi les autres organisations internationales, telles que l’Union européenne (UE) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pour définir plus précisément les domaines de sa compétence et coopérer encore plus activement. Le temps est venu de concentrer les efforts dans les domaines principaux de son activité, que sont la démocratie et les droits de l’Homme et de renoncer aux domaines de moindre importance.

La visibilité du Conseil de l’Europe constitue un autre problème qui doit être résolu. En dépit du processus de mondialisation et de l’essor des technologies de l’information, cette organisation est peu connue des citoyens européens.

Nombreux sont ceux pour qui la Cour des droits de l’Homme n’est qu’une « carte de visite » du Conseil de l’Europe, qui à son tour devrait faire l’objet de mesures urgentes pour qu’elle puisse sauvegarder son efficacité et la confiance des citoyens.

Il est indispensable d’accroître l’efficacité du Conseil de l’Europe et d’améliorer son fonctionnement, ainsi que de mieux utiliser sa partie constituante qu’est l’Assemblée parlementaire. C’est la raison pour laquelle la déclaration adoptée à Varsovie incluait, à l’initiative des pays du Nord et de la Baltique, une disposition visant à l’amélioration de l’activité et de la transparence de l’organisation. Par ailleurs, la coopération de huit pays du Nord et de la Baltique au sein du Conseil de l’Europe, à notre avis, est un exemple remarquable montrant que les efforts communs de pays de petite taille peuvent aboutir à de très bons résultats.

La Lituanie, en tant qu’un des quarante-six Etats membres du Conseil de l’Europe, est persuadée que le Conseil de l’Europe ne pourra atteindre ses buts qu’en fédérant les efforts de tous ses membres et en gardant la vision claire que des changements sont indispensables pour que le Conseil de l’Europe continue à jouir de son autorité, en sa qualité d’organisation européenne majeure.


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