Une stratégie de développement volontariste
Elu en mai 2004, le Président d’El Salvador Elias Antonio Saca a initié une politique volontariste de développement pour assurer au Salvador une croissance durable et une position au centre des échanges de l’Amérique centrale. Ancien journaliste et plus jeune Président d’El Salvador, il nous livre ses réflexions sur l’action de son gouver-nement face aux défis de la pauvreté, de la criminalité et de l’intégration régionale.
La Lettre Diplomatique : Monsieur le Président, votre victoire lors des élections présidentielles du 21 mai 2004 a permis au parti Arena d’assumer un quatrième mandat consécutif. A quels facteurs attribuez-vous la continuité de l’exécutif salvadorien ? Considérant votre jeune âge et votre formation journalistique, quelle nouvelle dynamique comptez-vous insuffler au processus de développement d’El Salvador ?
M. Elias Antonio Saca : Comme vous le savez, en plus de mes fonctions de Président de la République, je préside également le parti ARENA (Alliance Républicaine Nationaliste), qui m’a conduit au pouvoir et gouverne le pays depuis 1989. Je considère que l’ARENA est un parti démocratique, qui permet le renouvellement de son programme politique et bien sûr le renouvellement de ses leaders, ce qui en fait un exemple pour les autres partis politiques dans notre pays et dans toute la région.
Notre renouvellement est permanent et nous conjuguons l’expérience inestimable de personnalités distinguées à la force et l’énergie de notre jeunesse.
Aujourd’hui plus que jamais, l’ARENA est un parti humain, proche des citoyens, dont la profonde vision sociale nous permet, avec le soutien du gouvernement que je préside, de résoudre les problèmes des personnes les plus démunies.
Les opportunités que nous offrons à la population montrent aussi que l’action dans le domaine social n’est pas la propriété exclusive de la gauche. Nous encourageons la bonne gouvernance et une entente responsable entre les différents secteurs de la société, tout en gardant une certaine vision globale à l’échelle du pays.
Les Salvadoriens sont pleinement conscients de cette situation et nous considérons aujourd’hui que nous représentons la seule force viable pour gouverner le pays.
La dynamique que nous mettons en place repose sur notre ouverture au monde, avec les opportunités commerciales qu’elle offre et que nous devons mettre à profit. Je pense notamment au traité de libre commerce que nous avons conclu avec les Etats-Unis d’Amérique et avec d’autres régions.
L.L.D. : Treize ans après la fin de la guerre civile qui a divisé votre pays entre 1980 et 1992, la vie politique salvadorienne s’est stabilisée. Quels grands changements sont-ils intervenus dans la société salvadorienne au cours de cette décennie ? Comment les fortes inégalités sociales qui avaient cristallisé la lutte idéologique durant la guerre civile ont-elles évolué ?
M.E.A.S. : El Salvador a vécu un processus de transformation politique, économique et sociale depuis la signature des accords de paix ; une institution a d’ailleurs été créée pour veiller au respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
L’Institut pour la défense des droits de l’Homme issue des accords de paix, garantit la protection de ces droits. Son budget a été augmenté en 2005 afin de soutenir le travail qui a déjà été accompli au profit de la société en général.
Les accords de Paix et la mise en place d’une Constitution ont également conduit la Force Armée à redéfinir sa mission. Son rôle consiste, aujourd’hui, exclusivement à maintenir la souveraineté et l’intégrité territoriale de notre pays, à l’exception de situations particulières où le Président de la République pourrait y recourir de manière exceptionnelle, pour répondre aux nécessités de la sécurité publique. Ses effectifs ont été réduits de 50% comme le stipulent les accords de paix de 1992. Dans le cadre de son processus de modernisation, elle mène également différentes activités sociales au bénéfice de la population.
La Police nationale civile (PNC) est une autre institution issue des accords de paix. Elle a été créée en tant que corps de sécurité publique disposant d’un statut particulier, séparé de la Force Armée et sous l’autorité de fonctionnaires civils. Compte tenu des difficultés de sa mission, une Inspection générale est chargée d’évaluer régulièrement les membres de ce corps et d’émettre des recommandations pour améliorer son fonctionnement institutionnel. Une sélection de ses effectifs est effectuée régulièrement depuis l’an 2000.
El Salvador est parvenu à renforcer la démocratie et l’Etat de Droit, grâce aux efforts conjoints de la société civile et de la classe politique, dans le respect de la liberté d’expression et de la liberté économique. La composition de l’Assemblée législative salvadorienne, qui représente tous les courants politiques (ARENA, FMLN, PCN, PDC, et CD) en est la meilleure illustration.
La société civile joue par ailleurs un rôle important dans la prise de décisions gouvernementales, par le biais de tables rondes organisées avec la Déléguée Présidentielle pour la Gouvernance.
L.L.D. : Vous avez fait du renforcement de la politique sociale une de vos priorités. A l’instar de votre plan de réforme de l’éducation, quelles autres mesures peuvent-elles contribuer à réduire la fracture sociale ?
M.E.A.S. : Le volet social est le principal moteur du plan « Pays sûr » du gouvernement. Le gouvernement d’El Salvador a accompli en effet d’immenses efforts pour réduire la pauvreté. Il a lancé dans ce but le programme « Opportunités pour combattre l’extrême pauvreté » qui comprend la mise en place d’activités orientées vers le développement local tels que la recherche de la compétitivité, le développement de la micro, petite et moyenne entreprise, le renforcement social et familial, ainsi que le développement du secteur agricole.
Le Fonds Solidaire pour la Santé (FOSALUD) a été créé dans le but d’accorder une plus grande attention à la population la plus démunie. Des améliorations ont été apportées au fonctionnement de l’Institut salvadorien de Sécurité sociale et du Ministère de la Santé publique et de l’Assistance sociale pour leur permettre de dispenser des services 24 heures sur 24.
Nous avons également lancé une réforme historique de l’éducation, « le Plan d’enseignement 2021 » qui introduit l’enseignement de l’anglais afin de favoriser l’accès à l’emploi et d’élever la qualité et le niveau d’éducation des Salvadoriens. Nous faisons le pari des technologies de l’information et de la communication pour améliorer la qualité de la formation professionnelle. De nouvelles conditions plus exigeantes pour l’obtention de diplômes universitaires sont désormais requises, ce qui permettra de développer une main d’œuvre qualifiée et de répondre à l’offre d’emploi générée.
Pour apporter des réponses aux attentes de la jeunesse, nous avons en outre créé un Ministère de la Jeunesse, chargé notamment d’élaborer des programmes d’orientation professionnelle et une politique du sport. Ces éléments sont essentiels au développement optimal de l’enfance et de la jeunesse salvadorienne. Nous avons par ailleurs enregistré une participation massive à ces différents programmes. Investir au profit de l’enfance et de la jeunesse contribue à générer de meilleures conditions pour l’avenir, à réduire la pauvreté et à développer une main d’œuvre qualifiée.
L.L.D. : Constituant l’un des thèmes phare de votre programme d’action, le plan « Poigne de fer contre la délinquance » vise à apporter une réponse au phénomène d’insécurité des « maras », les bandes de jeunes délinquants. Quels sont les principales mesures de ce plan et quels résultats a-t-il permis d’obtenir tant du point de vue de la répression que de la réintégration sociale de leurs membres ? Phénomène importé des Etats-Unis, comment s’articule la coopération entre votre pays et Washington pour limiter l’expulsion des immigrés salvadoriens liés à des « maras » ?
M.E.A.S. : Le plan « Poigne de fer contre la délinquance » figure en effet parmi les principales actions nationales que nous avons mises en place pour lutter contre les gangs et développer des mesures de prévention sociale contre la violence et en faveur de la rééducation et la réinsertion des jeunes en situation d’échec ou en conflit avec la loi. Ce plan a été mis en place pour combattre les gangs, dont les membres sont estimés à environ 10 500 individus. Il convient d’ailleurs de souligner que nous avons obtenu d’importants résultats dans ce domaine.
En juin 2004, l’Assemblée législative a approuvé des réformes concernant le Code pénal et des lois concernant les mineurs en situation d’infraction, afin que les juges puissent appliquer aux délinquants le plan « Poigne de fer ».
Conformément au rapport d’évaluation du plan « Poigne de fer contre la délinquance » du 12 novembre 2004, plus de 3 000 individus ont été arrêtés. Selon ce rapport, le déploiement des groupes antigangs a contribué à éviter de nombreux délits.
Nous avons également lancé des initiatives à l’échelle régionale pour combattre les gangs. La traque lancée contre eux dans différents pays d’Amérique centrale a contraint certains de leurs membres à trouver refuge dans d’autres pays. Nous considérons donc qu’il est important d’élaborer une stratégie régionale destinée à contrecarrer les délits commis par ces groupes.
Au cours du XXIIIème Sommet ordinaire des Présidents d’Amérique centrale qui s’est tenu au Belize, le 19 décembre 2003, il a ainsi été convenu de préparer une stratégie d’action régionale contre les gangs qui doit être approuvée par la Commission de Sécurité de l’Amérique centrale. Au cours de ce Sommet, El Salvador et le Honduras ont signé une « Déclaration sur la lutte conjointe contre les gangs criminels ou maras ».
Lors de la prise de fonctions du Président du Guatemala, Oscar Berger, en janvier 2004, les Présidents d’El Salvador, du Guatemala, du Honduras et du Nicaragua ont signé une «Déclaration Conjointe sur les gangs ». A l’occasion de la visite officielle que j’ai effectuée au Panamá le 19 février 2003, j’ai ratifié la « Déclaration des Gouvernements du Panamá et d’El Salvador sur la lutte conjointe contre les gangs criminels ou maras », en vue de mettre en place une coopération mutuelle en matière pénale et policière, et pour faciliter la suppression des organisations et associations illégales.
L’évaluation de ce plan montre que nous avons obtenu des progrès dans l’échange d’information, le renforcement des mécanismes de coopération et de coordination entre les institutions nationales de police, l’identification des formes de délits, leur champ d’action et l’amélioration des systèmes de contrôle des délinquants expulsés.
Le premier Sommet international sur la lutte contre les gangs a eu lieu à San Salvador, du 21 au 24 février 2005. Les principales agences de sécurité, de police civile et d’immigration des Etats-Unis, ainsi que les chefs de la police d’El Salvador et des pays d’Amérique centrale ont participé à cette rencontre. Le plan « Poigne de fer » a été présenté au cours de ce sommet, dans le but de partager notre expérience avec les autres pays centraméricains et contribuer ainsi à la lutte antigangs dans l’ensemble des pays participants.
Il a également été convenu au cours de cette conférence, qu’El Salvador deviendrait le siège de la réflexion sur ces sujets et de réunions annuelles. Il a également été décidé de renforcer les communications entre El Salvador et les Etats-Unis, et la mise en place d’un mécanisme d’échange d’information statistique sur le flux des délinquants qui entrent au Salvador.
Parallèlement à la lutte contre les gangs, le plan « Mano amiga » (main amie) a aussi été mis en place pour les membres des gangs qui souhaitent volontairement réintégrer la société. Ce projet est conduit en parfaite coordination par le Conseil national de Sécurité publique, le ministère de la Jeunesse et d’autres institutions gouvernementales.
En ce qui concerne la prévention sociale de la violence, le plan antiviolence présenté en juillet 2004 bénéficie à 50 communautés du pays et à plus de 50 000 jeunes. Ce projet a pour objectif de favoriser la pratique du football et du basket-ball par la jeunesse, pour prévenir le développement de la violence au sein des communautés pauvres du pays.
Le déploiement de la stratégie dénommée
« Deportevías » est réalisé avec la participation du ministère de la Jeunesse, du ministère de l’Intérieur, du Conseil national de la Sécurité publique, de l’Institut national des Sports, de la Police nationale civile et des municipalités. L’objectif est de récupérer les espaces publics et de les mettre à la disposition de la communauté et plus particulièrement des jeunes. Le plan concernera également les centres scolaires des secteurs concernés.
L’action du gouvernement vise également à favoriser la réhabilitation et la réinsertion au sein de la société. Depuis juin 2005, le Conseil national de la Sécurité publique (CNSP) a mis en œuvre la première ferme pour la réadaptation des délinquants. Cette institution accueille dans un premier temps une vingtaine d’individus, où ils seront détenus durant une période initiale de six mois à un an.
Le but de ce programme est de faire en sorte d’occuper les jeunes toute la journée, à des activités dans les cultures maraîchères, les élevages porcins, la boulangerie et l’utilisation de machines industrielles afin de les préparer à un rôle utile dans la société. Les écoles situées à proximité des fermes devront accueillir les individus concernés pour mettre leurs connaissances à niveau. Ils suivront des cours de lecture, d’écriture et d’autres cours élémentaires dispensés au sein de la ferme. Ils bénéficieront également d’une formation destinée à améliorer leur estime de soi.
Dans le cadre d’une initiative régionale du Système d’Intégration centraméricaine (SICA), El Salvador a lancé le Plan « Amérique centrale sûre ». Il s’agit d’une stratégie de prévention sociale de la violence, de rééducation et de réinsertion des jeunes en situation d’échec ou de conflit avec la loi.
Le 25 octobre 2005, la Vice-Ministre des Affaires étrangères déléguée aux Salvadoriens à l’étranger, Margarita Escobar, le Vice-Ministre de la Sécurité Publique, Rodrigo Avila et le Directeur Général des Migrations et de l’Etranger, Jorge Santibañez se sont rendus aux Etats-Unis pour rencontrer des fonctionnaires du Département d’Etat, de la Justice et de la Sécurité intérieure avec les objectifs suivants :
– Rechercher des mécanismes pour améliorer le contrôle des expulsés qui représentent un danger pour la société.
– Soumettre la possibilité d’adopter un traité d’extradition entre les deux pays pour que les personnes ayant commis des délits aux Etats-Unis accomplissement leur peines.
– Favoriser l’échange d’expériences et d’information pour renforcer les mesures et le contrôle des délinquants expulsés, et améliorer les mécanismes policiers de surveillance pour diminuer l’impact dans les indices de délinquance dans les deux pays.
– Investir dans la recherche de nouvelles formes de délinquance pratiquées par les gangs afin de connaître les caractéristiques et l’évolution de leur mode d’opération en matière notamment de crime organisé, vente de drogues, trafic d’armes, trafic de personnes et contrôle de territoires.
L.L.D. : Représentant prés de 15% du PIB, les transferts de fonds effectués par les immigrés salvadoriens aux Etats-Unis constituent la principale source de devises et de croissance d’El Salvador. Quels secteurs d’activité peuvent-ils être développés pour diminuer la dépendance économique à l’égard de cette ressource et favoriser la création d’emplois ? Compte tenu des contraintes imposées par la dollarisation de l’économie depuis 2001 et de la tendance à la hausse de l’inflation, quelle stratégie privilégiez-vous pour renforcer la compétitivité des exportations salvadoriennes ?
M.E.A.S. : Les transferts de fonds des émigrés salvadoriens représentent effectivement 15% du PIB. Ils contribuent positivement à l’économie du pays. Avec la diversification et l’expansion de nos exportations, ils génèrent les ressources nécessaires au développement de notre pays. Bien que ces fonds soient créés en dehors de notre appareil économique, de nouveaux mécanismes ont été mis en place pour les canaliser dans des activités productives et d’investissement. Ils contribuent ainsi à la création d’emploi dans les zones rurales et à l’essor des différentes régions du pays.
La loi d’intégration monétaire de 2001 a introduit la circulation du dollar et les atouts d’une monnaie stable, la confiance qu’elle inspire non pas en raison de son origine, mais des réussites, saluées par de nombreuses institutions internationales, que nous avons obtenues dans la gestion de notre politique économique. La dollarisation n’a pas freiné notre économie, bien au contraire. De nombreux pays ont également souligné les bénéfices avec la mise en œuvre de mesures supprimant le risque de change, notamment les dévaluations.
Sur le plan de l’inflation, El Salvador a le plus faible taux, non seulement de l’Amérique centrale mais aussi de toute l’Amérique latine.
El Salvador est conscient que les exportations doivent être soutenues pour être compétitives, mais nous n’avons pas eu recours à des mesures insoutenables à long terme comme les dévaluation compétitives. En revanche, nous avons créé des lignes de crédit pour accroître la production, améliorer la qualité, réduire les coûts, dans le but d’être plus productifs et plus compétitifs.
L.L.D. : Partisan d’une économie ouverte et libéralisée, vous avez favorisé le regain d’intérêt des investisseurs étrangers pour El Salvador. Tenant compte des projets de modernisation des infrastructures salvadoriennes, quels atouts votre pays peut-il faire valoir en vue de s’affirmer comme une plate-forme régionale d’investissement ? Quelles nouvelles perspectives la ratification du traité de libre-échange régional CAFTA avec les Etats-Unis ouvre-t-elle à cet égard ? Comment percevez-vous les craintes suscitées par le modèle de développement libéral, tant dans votre pays qu’à l’échelle de l’Amérique latine ?
M.E.A.S. : El Salvador a toujours été convaincu que le système libéral est un excellent modèle pour orienter son économie. C’est la raison pour laquelle l’Etat doit être attentif à ce qui est prioritaire et faciliter le marché par des mécanismes qui permettent de dégager les ressources nécessaires. Cette approche contribue à créer un cadre adéquat et flexible pour les entrepreneurs nationaux et étrangers souhaitant investir dans notre pays. El Salvador ne cherche pas uniquement à identifier des investisseurs, il s’agit aussi de trouver des associés stratégiques, des partenaires avec lesquels nous pourrons créer de nouvelles opportunités. Nous avons donc concentré nos efforts dans la réalisation de réseaux publics, d’infrastructures portuaires et aériennes de premier plan et dans l’aide à l’implantation et à la dissémination des entreprises dans le pays.
En plus de son environnement macro-économique favorable, de son cadre juridique moderne et des partenaires fiables qu’il peut offrir, El Salvador est également ouvert à de nouveaux marchés susceptibles d’augmenter les opportunités de ceux qui investissent dans le pays. Ils peuvent en effet accéder à toute l’Amérique centrale, au Mexique, à la République Dominicaine, au Chili, au Panamá et depuis récemment aux Etats-Unis d’Amérique. El Salvador peut devenir un grand centre logistique à partir duquel on pourrait accéder à une population de plus de 400 millions de personnes vivant dans les différents pays avec lesquels nous avons conclu un accord commercial.
Avec la signature du traité de libre commerce avec les Etats-Unis, le nombre d’entreprises étrangères souhaitant investir dans notre pays s’est accru et d’autres ont d’ores et déjà concrétisé des alliances stratégiques avec des compagnies salvadoriennes. L’entrée en vigueur de ce traité en janvier 2006 devrait de notre point de vue confirmer cette tendance dans les prochaines années.
Pour répondre à votre dernière question, l’économie libérale, ou l’économie de marché, le libre-échange et quelque soit les autres expressions employées, est un sujet qui a toujours suscité de grands débats avec de forts opposants et de nombreux exemples de son bon fonctionnement. Pour autant, El Salvador n’est pas aliéné à un modèle unique ; nous essayons au contraire de l’adapter à notre réalité soit en le renforçant ou bien en réduisant ses déficiences quand cela est nécessaire. En ce qui nous concerne, El Salvador a enregistré des niveaux de croissance modérés, limités par la faible croissance mondiale de ces dernières années. Néanmoins, nous poursuivons des ajustements afin d’améliorer nos performances.
L.L.D. : Siège du Système d’intégration centraméricain (SICA), El Salvador est l’un des pays moteur du processus d’intégration régionale. A la lumière du Sommet centraméricain qui s’est tenu en septembre 2004, quelle nouvelle impulsion peut-elle être donnée à ce processus sur les plans de la réforme des institutions supranationales, de la stabilité régionale et de l’économie ? De ce point de vue, quelle analyse faites-vous de la crise politique que traverse le Nicaragua ?
M.E.A.S. : Je souhaiterais confirmer l’esprit intégrationniste de mon pays. El Salvador est le siège du SICA et il a, par ses initiatives et ses efforts, prouvé tout son intérêt à ce que l’intégration de l’Amérique centrale progresse rapidement et dans la bonne voie.
Le SICA a récemment été renforcé. Aujourd’hui, en plus des sept membres permanents, nous comptons un Etat associé, la République Dominicaine, un observateur régional, le Mexique, et deux observateurs extra-régionaux, la République de Chine (Taiwan) et l’Espagne. Dans beaucoup de parties du monde, les pays ne sont plus considérés à l’échelle individuelle, mais à celle de toute une région.
L’Union douanière entre les pays du SICA avance à grands pas ; plusieurs accords comme les traités de libre-échange sont négociés à l’échelle régionale, de même que l’examen de la plupart des questions, notamment sur la sécurité. Il faut reconnaître que tous les pays du SICA travaillent ensemble et réalisent des efforts pour que le processus d’intégration se poursuive.
Sur le plan de la réforme des institutions de la SICA, l’année 2004 a été très importante car une commission ad hoc a travaillé intensément pour proposer des projets. Le XXVème Sommet ordinaire des Chefs d’Etat et de Gouvernement du SICA à San Salvador le 15 décembre 2004, a finalement adopté une série de décisions, concernant pour certaines d’entre elles le Parlement centraméricain, d’autres la Cour centraméricaine de Justice, et sur d’autres aspects de l’organisation. Notre objectif est de moderniser et d’accroître l’efficacité des institutions centraméricaines, car nous pensons qu’il est important de pouvoir adosser le processus d’intégration à des institutions adéquates.
En ce qui concerne la situation au Nicaragua, nous avons pu observer ces derniers mois comment ce pays frère a traversé une crise institutionnelle, provoqué par des réformes constitutionnelles qui ont altéré l’équilibre entre les pouvoirs au sein de l’Etat et qui diminué le pouvoir de l’exécutif. Notre pays suit avec attention et préoccupation les évènements qui se déroulent au Nicaragua. Par l’intermédiaire du SICA et de l’Organisation des Etats Américains (OEA), le gouvernement d’El Salvador a soutenu les initiatives au rétablissement de l’ordre démocratique et de maintien de l’équilibre entre les pouvoirs de l’Etat. Nous avons insisté sur la mise en place d’un dialogue vaste et constructif entre les différentes parties qui permettra d’élaborer des accords pour renforcer la gouvernance, l’Etat de droit et la stabilité du pays.
Nous accueillons avec optimisme l’approbation de la récente loi-cadre qui suspend les réformes constitutionnelles jusqu’au 20 janvier 2007. Nous considérons que cette loi est le résultat d’un accord entre les parties concernées qui ont cédé sur leurs prétentions particulières au bénéfice du bien-être du peuple nicaraguayen dans son ensemble.
L.L.D. : Avec le développement des projets d’infrastructures interrégionaux, notamment sous l’égide du Plan Puebla-Panamá, quelles complémentarités les pays centre-américains peuvent-ils, selon vous, développer pour accroître leurs échanges et favoriser l’essor de la région ?
M.E.A.S. : En plus de l’aménagement des « couloirs de transports » qui traverseront l’isthme méso-américain, ainsi que l’interconnexion électrique et le câble à fibre optique à bande large pour les télécommunications, nous travaillons sur des projets pour faciliter le transport de marchandises, en harmonisant notamment les voies de passage aux frontières. Nous développons également des programmes en matière de compétitivité et de gestion d’entreprise à l’échelle méso-américaine, ainsi que la mise en place d’un système régional de certifications touristiques et la promotion du tourisme ethnique et culturel. Des projets de développement agricole rural et des programmes pour préparer l’entrée en concurrence des PME ont également été lancés. De plus, nous stimulons d’autres types d’initiatives pour former les managers d’entreprise
à des mode de gestion et de productivité plus modernes.
Le Projet hydroélectrique El Cimarron situé à Santa Ana occupera une surface de 15,3 km2. La phase d’étude de faisabilité du projet touche à sa fin grâce au soutien de la France qui a fait une donation pour la réalisation de cette étude, confié à l’entreprise Coyne et Bellier. On estime que la capacité de la centrale sera de 261 MW et pourrait générer 700GWH/an, ce qui représente une augmentation de 50% de la capacité actuelle. Sa mise en exploitation est prévue pour 2013, soit quatre ans après le début des travaux. Le coût de construction est estimé à 404,8 millions de dollars. Associé à l’interconnexion électrique de la région, ce projet pourrait favoriser la distribution d’énergie. Il y a d’ailleurs de fortes chances pour que la France participe aux différents appels d’offres.
Le projet de Port de la Unión a été entrepris par le Gouvernement d’El Salvador pour favoriser des opportunités que des entreprises françaises peuvent considérer à deux niveaux : l’administration du port et l’aquisition de l’équipement nécessaire à son fonctionnement. Le développement du port générera des demandes en infrastructures touristiques et industries connexes, ce qui constitue un nouveau potentiel d’intérêt pour les entreprises françaises.
De plus, les secteurs de l’entretien et de la réparation de bateaux de transport, les centres de formation et les autres secteurs connexes pourraient représenter d’énormes opportunités d’investissement et de coopération.
Selon la CEPA (Commission exécutive autonome portuaire), il y aura trois appels d’offre ouverts aux entreprises étrangères : un appel d’offre pour deux remorqueurs dont le coût total se situe entre 6 et 7 millions dollars ; un appel d’offre pour deux grues Panamax dont le coût avoisine les 9 millions dollars et un appel d’offre pour la gestion du port.
L’extension de l’aéroport international d’El Salvador consiste à construire un nouveau terminal d’embarquement dont le coût d’investissement est estimé entre 30 et 40 millions de dollars. Ce projet vise à mettre à disposition une surface de 10 à 14 hectares de terrain à l’opérateur qui emportera la concession et qui aura pour mission de développer les installations, les procédures, la technologie, etc, pour une durée de vingt ans.
L.L.D. : Marquées par la présence d’une importante communauté salvadorienne aux Etats-Unis, les fortes relations qui lient San Salvador et Washington ont connu un nouvel élan avec l’envoi de plusieurs contingents salvadoriens en Irak. Alors que votre pays est désormais le seul d’Amérique centrale à rester engagé dans ce conflit, quelles sont les motivations profondes de ce choix ? Alors que vous avez rencontré le Président George W. Bush à trois reprises en un an, comment qualifieriez-vous l’intensification de la coopération entre les deux pays ?
M.E.A.S. : Les relations d’El Salvador avec le gouvernement des Etats-Unis ont toujours été très étroites à tous les niveaux, sachant qu’il s’agit de notre principal associé politique et commercial.
Sur le plan politique, nous partageons les valeurs de la démocratie, du respect des droits de l’Homme et de l’Etat de droit. Nous développons dans ce contexte des actions conjointes qui portent sur des thèmes prioritaires comme la lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et le crime organisé.
Sur le plan migratoire, le dialogue avec les Etats-Unis est orienté vers la recherche d’initiatives au profit de la sécurité de nos concitoyens, de leur stabilité juridique et du respect de leurs droits. Il faut bien comprendre qu’un Salvadorien sur quatre réside à l’étranger et pour une grande majorité aux Etats-Unis d’Amérique. Après les tremblements de terres de 2001, le gouvernement américain a accordé un Statut de Protection Temporaire (TPS) à nos concitoyens, qui leur permet de bénéficier d’un permis de séjour temporaire ainsi que d’un permis de travail. Ce statut leur permet de participer au développement de leurs communautés de résidence et en même temps de contribuer au processus de reconstruction d’El Salvador et au bien-être de leur famille par l’intermédiaire des transferts de fonds.
Sur le plan économique, nous travaillons sur la mise en place du CAFTA-DR à partir du 1er janvier 2006, qui donnera une plus grande stabilité et longévité aux relations économiques, commerciales et d’investissement entre les deux pays. Cet accord va générer davantage d’opportunités d’investissements dans la région, un meilleur accès de nos produits sur le marché américain, créant ainsi plus de sources d’emploi et contribuant au développement et à l’intégration de la région centraméricaine.
Sur le plan de la coopération, El Salvador a lancé une initiative pour que les pays coopérants ne prennent pas uniquement en compte les indicateurs macro-économiques nationaux mais aussi les variations des indicateurs locaux de développement humain et social afin de soutenir les efforts des pays à revenu moyen, ce en retour aux efforts déployés pour le renforcement institutionnel du système démocratique et pour la lutte contre la pauvreté. Cette initiative est lancée pour que les réformes réalisées durant les quinze dernières années soient reconnues et puissent recevoir le soutien indispensable de la coopération internationale.
Les pays comme El Salvador ne peuvent avoir le même traitement que d’autres pays en voie de développement comme la Chine, l’Inde, le Mexique et le Brésil. Dans ce contexte, nous attendons le soutien des Etats-Unis dans le cadre de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), pour promouvoir l’aménagement d’une certaine souplesse qui permettrait aux petites économies d’intégrer le commerce mondial, favorisant ainsi la création d’emplois et l’accès à l’investissement étranger.
Il est important que les institutions financières multilatérales reconnaissent qu’il manque des financements à taux réduits ou non remboursables pour soutenir l’intégration des pays à revenu moyen au sein du commerce international. Des crédits sont proposés pour cette catégorie de pays, mais l’augmentation de la dette publique n’est pas prise en compte.
L.L.D. : Fort des liens culturels que partagent El Salvador et la France, et du renforcement de leur coopération industrielle, vous avez effectué une visite à Paris le 24 juin 2005. Quels axes avez-vous défini avec le Président Jacques Chirac pour l’approfondissement de la coopération et des liens d’amitié entre les deux pays ? En dehors du secteur aéronautique, dans quels secteurs les échanges économiques franco-salvadoriens peuvent-ils être, selon vous, intensifiés ?
M.E.A.S. : Dans un entretien avec Madame Brigitte Girardin, Ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, nous avons abordé la coopération sur les thèmes de la sécurité, du tourisme, du développement social et du plan anti-pauvreté. El Salvador est d’ailleurs l’un des trois pays d’Amérique latine qui a le plus de possibilités d’honorer ses engagements du Millénaire sur le plan de l’éducation et de la santé.
Les échanges commerciaux entre El Salvador et la France sont supérieurs à 57 millions de dollars dans certains secteurs. Ils pourraient être accrus en identifiant de nouveaux produits. Des investissements stratégiques pourraient avoir lieu dans des secteurs clés, celui de la pièce détachée automobile et des technologies par exemple.
L.L.D. : D’une manière plus générale, quel rôle souhaitez-vous voir occuper par la France et l’Union européenne en Amérique latine, notamment à l’aune des déclarations d’intention du Sommet de Guadalajara en faveur d’un « partenariat stratégique bi-régional » ? Quelles synergies la conclusion d’un accord d’association entre les pays d’Amérique centrale et l’UE peut-elle impulser de part et d’autre de l’Atlantique, et plus particulièrement entre El Salvador et l’UE ?
M.E.A.S. : Nous avons pu observer que l’un des objectifs fondamentaux de l’action extérieure de l’Union européenne a été, depuis les années 90, de consolider l’association stratégique bi-régionale entre l’Union européenne et l’Amérique latine et les Caraïbes (ALC). Dans ce contexte, le IIIème Sommet UE-ALC qui a eu lieu à Guadalajara en mai 2004, a réaffirmé l’engagement de l’Europe en faveur de l’approfondissement de ses relations avec l’Amérique latine et les Caraïbes, en renforçant cette association. L’Union européenne a pris, en effet, conscience de l’importance qu’il existe à jouer un rôle plus actif dans différents domaines et dans diverses régions du monde.
Dans le cas de l’Amérique centrale, l’institutionnalisation de l’association bi-régionale AC-UE représenterait un changement important du cadre juridique qui régit historiquement les relations entre les deux régions. Elle impliquerait la mise en place d’engagements plus solides, plus vastes et plus précis, sur la base d’aspirations et de valeurs communes dans les domaines politique, économique et de la coopération.
El Salvador considère que, d’un point de vue politique, un accord d’association incluant un traité de libre commerce devrait être conçu pour renforcer et améliorer les relations pré-existantes ; ce en établissant des canaux de communications à travers lesquels on pourrait non seulement échanger des informations mais aussi adopter des positions conjointes, régionales ou internationales sur des questions d’importance mondiale.
Sur le plan économique et commercial, l’accord d’association doit créer un environnement favorable à l’échange de biens et services entre les deux parties, au développement de la coopération économique et à la création d’opportunités pour l’investissement, conformément aux normes de l’OMC. Pour y parvenir, l’accord doit tenir compte des asymétries entre les niveaux de développement des deux régions et créer un mécanisme qui renforcera la présence des deux régions dans un marché de plus en plus vaste et mondialisé. Cette association permettra ainsi d’élever le niveau de croissance économique et de développement social existant en Amérique centrale et en Europe.
En matière de coopération, la conclusion de l’accord d’association ouvrirait la possibilité de mettre en place, tout en tenant compte des intérêts propres de chaque région, de nouveaux secteurs et instruments de coopération qui créeront les moyens nécessaires à la concrétisation de l’objectif de développement économique et social dans les deux régions.
Au regard de ce que je viens de vous expliquer, El Salvador et l’Amérique centrale considèrent qu’il est important de pouvoir compter sur le soutien de la France et de l’Union européenne pour la réalisation de cet objectif stratégique bi-régional. Grâce à la conclusion d’un accord d’association incluant un accord de libre commerce, l’Amérique centrale pourrait bénéficier d’une importante opportunité pour renforcer son intégration, accroître son développement économique et social, et approfondir la connaissance mutuelle entre les deux régions.
Le soutien de la France et de l’Union européenne est plus particulièrement stratégique pour que dans le cadre du IVème Sommet UE-ALC qui aura lieu à Vienne en mai 2006, on puisse annoncer officiellement le début de négociations sur l’accord d’association entre l’Amérique Centrale et l’Union européenne.