La lettre diplomatique

Editorial
La Lettre Diplomatique n°73 – Premier trimestre 2006

« Penser et Construire la paix » : des défis toujours d’actualité
Par M. Koïchiro Matsuura, Directeur général de l’UNESCO
 

Le 16 novembre 1945, l’Acte constitutif de l’UNESCO était scellé pour dire l’espoir de la communauté internationale d’un monde de solidarité et de dignité, après cette « grande et terrible guerre » à laquelle elle venait de mettre fin. Et de même que nos aînés dénonçaient à la racine de cette guerre « le reniement de l’idéal démocratique et de dignité de la personne humaine », de même devons-nous continuer à être attentifs, pour l’avenir, aux menaces qui planent sur ces principes et sur cette dignité. N’oublions pas que l’histoire – même la plus récente – nous a appris que l’horreur survient presque toujours brusquement, sous une forme que l’on ne soupçonnait pas. Face à ces menaces, il n’y a pas d’autre réponse que le dialogue, la promotion de la compréhension et du respect mutuels, l’éducation comme remède à l’ignorance dont on sait qu’elle porte en elle les germes de la violence et de tous les extrémismes. Cette mission est celle que l’UNESCO accomplit depuis 60 ans et qu’elle entend poursuivre avec la même détermination que celle qui a animé nos illustres prédécesseurs.

Nous avons souhaité placer ce soixantième anniversaire sous le slogan « Penser et construire la paix », afin de résumer en quelques de mots le sens et le but de notre action. Combattre l’intolérance par le dialogue, l’illettrisme par l’accès à une éducation de qualité tout au long de la vie, favoriser la diversité des cultures par la préservation du patrimoine matériel et immatériel, la dignité humaine par la création de normes éthiques universelles, la réduction du fossé numérique par un accès facilité aux nouvelles technologies de l’information, telles sont les voies que nous avons choisi de suivre, pour atteindre la paix et le développement durables de tous les peuples, dans le respect de l’identité de chacun. Il ne nous appartient pas de dire ce qui doit être. Mais il nous revient en revanche d’aider activement ceux qui en débattent à s’entendre et élargir le cercle de leur concorde jusqu’à l’humanité tout entière.

Soixante ans après sa création, le mandat de l’UNESCO demeure d’une actualité et d’une perti-nence qui témoignent et rendent hommage au talent visionnaire des auteurs de son Acte constitutif. Notre Organisation peut être vue comme un paradoxe : fondée sur l’universalité, elle trouve à s’exprimer pleinement par la reconnaissance de la riche diversité. Elle est au service de la culture par la promotion et la préservation des cultures. Elle est au service de la connaissance par la diffusion des savoirs. Cependant, qu’il s’agisse d’éducation, de science, de culture ou de communication, notre mandat s’étend à toutes les activités qui touchent à l’essence même de notre humanité commune.

En soixante années d’activité, on peut dire que l’UNESCO est devenue une Organisation dont les fonctions essentielles sont mieux reconnues, qui est plus ouverte sur le monde et davantage adaptée aux exigences modernes. A l’image des Nations unies, cependant, c’est une organisation qui doit continuer d’apprendre et de se réformer pour mieux répondre aux défis du nouveau Millénaire. Ce soixantième anniversaire est donc une occasion particulière de nous arrêter quelques instants et de considérer les raisons fondamentales qui justifient et guident notre action aujourd’hui.

Dans un monde de plus en plus complexe et diver-sifié, on attend des institutions comme la nôtre une fonction d’impulsion et de pilotage au profit du bien commun. La reconnaissance lucide du caractère difficile d’une telle tâche ne nous empêche pas, toutefois, de continuer à œuvrer en faveur d’un monde plus serein et plus tolérant, un monde plus humain. C’est donc avec des yeux neufs que nous devons aujourd’hui considérer cette exigence éthique de l’UNESCO. Poser un regard rétrospectif et critique sur notre passé, n’est pas un exercice d’inutile nostalgie. Il permet au contraire de nourrir nos actions et nos réflexions de la richesse de ce qui a été, afin de mieux construire l’avenir.

Permettez-moi d’évoquer ici le concept japonais de fueki-ryuko : le fueki ou la permanence fondamentale des choses ; le ryuko, ou les transformations propres à chaque époque. En d’autres termes, ce qui doit changer change, et ce qui ne doit pas changer ne changera pas.

Ainsi, le mandat de l’UNESCO, tel qu’inscrit dans le Préambule et l’Article I de son Acte constitutif – contribuer à la paix et à la sécurité par l’éducation, les sciences, la culture et la communication – est de l’ordre du fueki, de la permanence. A une époque caractérisée par un sentiment d’incertitude et de vulnérabilité accrues, la démarche préventive – et donc la visée éducative – qui font la caractéristique distinctive de l’UNESCO sont plus que jamais valides.

Le ryuko, c’est ce qui change, ce qui doit changer dans notre façon de concevoir notre action, pour nous adapter aux défis, et aux possibilités du temps présent.

L’UNESCO est prête à relever ces défis, consciente que son évolution est loin d’être achevée et qu’il nous faudra encore répondre aux questions nouvelles qui ne manqueront pas de surgir, alors que d’anciennes reviendront sous des formes nouvelles que nous aurons du mal à déchiffrer! Je suis particulièrement fier d’être le Directeur général de l’UNESCO à cet instant précis de son histoire, partie intégrante de l’Histoire humaine passée et en devenir.
 

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