Carrefour des échanges commerciaux de l’Asie du Sud-Est, Singapour célèbre le 40ème anniversaire de son indépendance. Un an après l’élection du Premier ministre Lee Hsien Loong en août 2004, S.E.M. Chew Tai Soo, Ambassadeur de Singapour en France, analyse pour nous les atouts de la Cité du Lion et du renouveau de sa stratégie de développement face à la redéfinition de
son environnement géopolitique.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, l’élection du Premier ministre Lee Hsien Loong, succédant à M. Goh Chok Tong le 14 août 2004, marque l’arrivée aux affaires d’une nouvelle génération de dirigeants à Singapour. Quelles orientations a-t-il défini pour insuffler un nouveau dynamisme à votre pays ?
S.E.M. Chew Tai Soo : Le Premier ministre s’est récemment adressé à la nation à l’occasion du quarantième anniversaire de notre indépendance, expliquant clairement la direction future que devait prendre notre pays. Il a souligné qu’en raison de la taille modeste de notre pays, nous avons toujours accordé une attention particulière à nouer des liens d’amitié avec l’étranger et à préserver notre sécurité. Nous entretenons ainsi de bonnes relations avec tous les pays importants de la région, avec nos voisins immédiats, la Malaisie et l’Indonésie, ainsi que dans le cadre de l’ASEAN. Nous avons également de bonnes relations avec la Chine, le Japon et l’Australie. Singapour a par ailleurs élargi ses liens avec le Moyen-Orient. Nos relations avec les Etats-Unis et les pays de l’Union européenne sont bonnes. Ceci constitue pour nous une situation « confortable ».
Cependant le monde change rapidement et Singapour doit changer avec lui, sans quoi elle risque de se trouver dépassée. Le terrorisme demeure une priorité. Notre pays se doit de prendre toutes les précautions pour prévenir un incident, tout au moins pour être prêt psychologiquement à affronter le pire. Si une attaque terroriste se produisait, nous devons ainsi être en mesure d’empêcher que ne soient détruits le tissu social et l’harmonie ethnique qui ont été élaborés depuis 40 ans.
Dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion de la fête nationale, le Premier ministre a également identifié deux nouveaux moteurs de croissance pour Singapour. Il s’agit de l’innovation et de l’esprit d’entreprise d’une part, et de la recherche et du développement d’autre part. Tout en reconnaissant que ces deux voies comportent des risques, le Premier ministre a souligné que « nous devions néanmoins les suivre car si nous réussissons, nous disposerions d’une avance concurrentielle qui nous placerait en tête pour les quinze à vingt prochaines années. » C’est pour cela que notre Premier ministre a mis en place un Conseil de Recherche, d’Innovation et d’Initiative dont il sera le président, pour conseiller le Gouvernement en terme de recherche nationale et de stratégies d’innovation et d’initiative. Une Fondation pour la recherche nationale a également été crée pour financer des activités de recherche sur le long terme dans des domaines stratégiques.
M. Lee a également donné sa conception de ce que doit être le renouveau de Singapour. Nous devons nous consacrer aux questions concernant l’économie, l’éducation ainsi qu’à celles portant sur nos mentalités. Les Singapouriens, jeunes et plus âgés, devront être mieux formés ; ils devront pouvoir profiter d’un emploi durable et d’un système de santé accessible, et participer à l’amélioration de leur ville. Un des principaux aspects du renouveau de Singapour consiste à faire de cette ville une métropole mondiale dynamique ouverte au monde et attractive. Ce qui constitue un véritable défi pour nous en tant que nation.
L.L.D. : Fortement touchée par la crise asiatique de 1997-1998 puis par la crise du SRAS en 2003 Singapour a mis en œuvre une politique de restructuration économique et sociale. A l’instar des biotechnologies, dans quels autres secteurs le gouvernement singapourien entend-il favoriser le développement des petites et moyennes entreprises qui font encore défaut à la croissance de l’économie singapourienne ? Quels changements doivent intervenir au sein des grandes entreprises publiques ?
S.E.M.C.T.S. : Avec la crise financière asiatique et le SRAS Singapour a été confrontée à deux grands défis. Pour la première fois depuis les années 1980, nous avons fait face à une récession (-0,8%) en 1998, et à un pic (4,8%) du chômage en 2003. Néanmoins, nous avons pu surmonter ces deux crises, grâce à de solides fondamentaux économiques et à la capacité à rebondir dont a fait preuve notre peuple. Aujourd’hui, l’économie singapourienne s’est vigoureusement redressée. Sa croissance a été de 8,4% en 2004, et les indices prévisionnels pour 2005 sont prometteurs. L’emploi est également revenu à la hausse depuis 2004.
Pour sécuriser sa position de carrefour des nouveaux réseaux économiques asiatiques et mondiaux, Singapour s’est fixé pour objectif d’étoffer ses liens commerciaux internationaux, tout en développant une économie intérieure diversifiée reposant principalement sur l’initiative privée. Il est crucial pour cela que nous disposions d’un secteur privé compétitif, adossé à des PME actives. Outre les secteurs traditionnels de l’industrie alimentaire et de la boisson, ainsi que ceux du commerce de détail, nous encourageons le développement des groupes industriels locaux dont les activités concernent l’ingénierie de précision, la logistique et la transformation alimentaire. Cela nous aidera à soutenir les activités des entreprises de plus grande taille et des multinationales présentes à Singapour, ainsi qu’à accroître notre attractivité en tant que carrefour régional de l’industrie et des services. Quant aux «entreprises liées au gouvernement» (GLC), elles ont évidemment joué un rôle important s’agissant du développement de l’économie singapourienne, en particulier dans les premières années qui ont suivie l’indépendance. Leur rôle est maintenant limité à des secteurs décisifs. La politique du gouvernement est de ne pas intervenir dans les activités quotidiennes des GLCs encore existantes qui sont soumises aux mêmes règles de concurrence que les entreprises privées.
L.L.D. : Malgré une nette reprise de son économie avec une croissance de 8,4% en 2004, votre pays connaît une augmentation progressive du taux de chômage. Quelles mesures sont envisagées pour stimuler l’adaptation du marché de l’emploi ? Quels résultats la politique
« d’attraction des talents étrangers » a-t-elle permis d’obtenir ? Plus largement, comment le gouver-nement singapourien compte-t-il dynamiser un modèle économique reposant de plus en plus sur une économie externe ?
S.E.M.C.T.S. : A mesure que l’économie singapourienne se développe et se transforme, nous sommes amenés à tenter d’aider certaines catégories de notre main d’œuvre à adapter ses compétences à l’évolution du marché. Le chômage a toutefois chuté de 3,4% au second semestre 2005, les travailleurs ayant accepté une plus grande flexibilité du système de salaires ainsi que la nécessité d’acquérir de nouvelles compétences. Depuis 2003, l’Agence de développement de la main d’œuvre de Singapour encourage les travailleurs à se reconvertir et à rester durablement au sein de la population active ; elle aide aussi les chercheurs d’emploi à identifier les opportunités de travail. Pour que l’offre de travail réponde aux besoins d’une économie dynamique, Singapour continue en outre à accueillir les talents étrangers. Près de 80 000 étrangers de diverses origines travaillent à Singapour. Leur savoir-faire a contribué à notre rapide progrès économique et à élargir le potentiel économique du pays au profit des Singapouriens.
Pour survivre dans une économie mondialisée, il est important que Singapour demeure un acteur tout à la fois compétitif et flexible. Nous faisons de notre mieux pour offrir un environnement des affaires attractif et rentable pour les entrepreneurs désireux d’étendre leurs réseaux ou de pénétrer les marchés asiatiques. Nous aidons également nos industries-clés de haute valeur ajoutée à se développer ; dans les secteurs de l’électronique, la chimie, les sciences biomédicales, l’ingénierie, ainsi que ceux de l’éducation, du tourisme, de la santé et de la logistique.
L.L.D. : Avec près d’un quart d’étrangers pour plus de 4 millions d’habitants, votre pays a connu ces dernières années d’importantes vagues d’immigration, notamment chinoise. Comment évaluez-vous l’impact de ce déséquilibre démographique croissant sur la société singapourienne ?
S.E.M.C.T.S. : Singapour est une société d’immigration, qui s’est construite et développée grâce au dynamisme des immigrés venant d’horizons divers. Nous avons toujours été ouverts aux étrangers et aux immigrés qui viennent ainsi apporter leur contribution à notre société. Aujourd’hui, les immigrés non-résidents représentent 18% de notre population. Compte tenu de sa taille et de son taux de natalité qui se situe en-dessous du taux de renouvellement, Singapour doit ouvrir ses portes aux étrangers et aux immigrés susceptibles de participer à son développement.
L.L.D. : Priorité de la politique étrangère de Singapour dont il est membre fondateur, l’ASEAN devrait acquérir une nouvelle dimension avec l’entrée en vigueur le 1er juillet dernier de l’accord de libre-échange conclu avec la Chine. Regroupant des économies aussi différentes que celle de Singapour et du Laos, comment le processus d’intégration économique de l’ASEAN peut-il surmonter le défi que pose son hétérogénéité ? Comment percevez-vous la montée en puissance de la Chine, tant d’un point de vue économique que militaire, et son impact sur la région ?
S.E.M.C.T.S. : Lors du 9ème Sommet de l’ASEAN qui s’est tenu à Bali en octobre 2003, les dirigeants des pays membres ont reconnu que tout en mettant en œuvre l’intégration économique de l’ASEAN, nous devons également nous intéresser à d’autres aspects de ce processus, et notamment aux fossés de développement qui existent entre les pays membres. Cette préoccupation est inscrite au sein de l’Initiative pour l’Intégration de l’ASEAN (IAI) qui vise à combler l’écart de développement entre anciens et nouveaux pays membres. Pour ce qui est de Singapour, nous nous sommes engagés à consacrer
52,7 millions de dollars sur huit ans (2000-2008) pour aider le Cambodge, le Laos, Myanmar et le Vietnam à développer leurs ressources humaines. L’ASEAN travaille également à la création d’une Communauté de l’ASEAN d’ici 2020, reposant sur trois piliers que sont la Communauté de sécurité, la Communauté économique et la Communauté socioculturelle de l’ASEAN. Dans ce processus d’intégration, nous souhaions pouvoir nous inspirer de l’expérience de l’Union européenne.
L’émergence de la Chine (ainsi que de l’Inde) a remodelé le paysage politique et économique de la région et du monde. Tous les pays d’Asie souhaitent continuer à développer et accroître davantage leurs liens économiques et leurs relations avec la Chine. La Chine se rend bien compte, pour sa part, qu’elle a besoin d’attirer d’autres nations et qu’elle doit les aider à bénéficier de sa croissance ; ce qu’elle a fait activement et avec intelligence. Elle est tout à fait consciente du déséquilibre potentiel que sa croissance pourrait engendrer et elle a clairement affirmé sa détermination à se développer pacifiquement. L’essor de la Chine génère d’importantes opportunités pour tous, mais il provoque également des changements majeurs par rapport au statu quo existant. Tout le défi consiste à intégrer la Chine au sein de l’évolution de l’architec-ture régionale, tout en maintenant l’équilibre et la stabilité de la région.
L.L.D. : Myanmar a récemment renoncé à la présidence de l’ASEAN en 2006, sous la pression des Etats-Unis et de l’Europe qui condamnent la situation des droits de l’Homme dans ce pays. Quel est votre point de vue sur la question de Myanmar ? Les sujets liés à la démocratie et aux droits de l’Homme doivent- ils, comme c’est le cas du processus d’intégration européen, occuper une plus grande place au sein de l’ASEAN ?
S.E.M.C.T.S. : La décision annoncée par Myanmar de renoncer à la présidence de l’ASEAN était destinée à établir une séparation entre son processus de réconciliation intérieure et de démocratisation, et les affaires de l’ASEAN. En tant que pays ami et membre de l’ASEAN, Singapour apprécie et respecte la décision de Myanmar, et exprime son espoir que des progrès seront accomplis pour la réconciliation nationale de ce pays.
Notre position sur les affaires intérieures de Myanmar est claire. Nous n’avons aucune intention d’interférer dans celles-ci, Myanmar étant un pays indépendant qui continuera à prendre des décisions selon ses propres intérêts. Avec d’autres pays de l’ASEAN nous appelons à la libération de Daw Aung San Suu Kyi. Tout en respectant les différentes approches manifestées par la communauté internationale à l’égard de Myanmar, nous pensons qu’une approche reposant sur la pression et des sanctions ne fonctionnera pas. En revanche, une approche à long terme faite de patience, qui aurait pour objectif des changements économiques et sociaux à plus longue éché-ance, pourrait finalement conduire à un processus
global et durable de réforme, impulsé de l’intérieur à Myanmar.
L’ASEAN élaborera, cependant, ses propres normes de démocratie et de droits de l’Homme. Ces questions occupent déjà une place importante pour l’Association – elles sont présentes au sein du Plan d’action de la Communauté de sécurité de l’ASEAN qui constitue un des trois piliers de la Communauté de l’ASEAN dont la création est envisagée.
L.L.D. : Premier port mondial en termes de capacité de tonnage, Singapour constitue une plaque tournante dans le détroit de Malacca, haut lieu stratégique où transite près d’un tiers du commerce international. A la lumière des opérations de patrouilles coordonnées entre la Malaisie, l’Indonésie et Singapour, quelles autres initiatives peuvent être prises pour sécuriser cette zone classée parmi les plus dangereuses du globe ? Comment avez-vous accueilli les propositions d’assistance sur le terrain formulées par le Japon et les Etats-Unis ?
S.E.M.C.T.S. : Tout d’abord, je ne suis pas d’accord pour classer le détroit de Malacca parmi les zones les plus dangereuses du monde – il existe de nombreux lieux bien plus dangereux. Néanmoins, il est un fait que la piraterie représente un problème réel et sérieux. Singapour et les Etats du littoral du détroit, la Malaisie et l’Indonésie, conçoivent la sécurité maritime dans le détroit comme une priorité et reconnaissent l’importance de la coopération. Des patrouilles maritimes coordonnées ont ainsi été mises en place depuis 1992. Les initiatives récentes adoptées pour améliorer la situation comprennent des patrouilles maritimes et aériennes, la formation d’un Groupe tripartite d’Experts techniques, l’accueil d’une Conférence de l’OMI (Organisation Maritime Internationale) à Jakarta en septembre 2005, et des accords de partage de l’information qui prévoient, par exemple, la création d’un Centre de partage de l’information dont l’établissement est prévu à Singapour, selon les termes de l’Accord de coopération régionale sur la lutte contre la piraterie et le vol armé (ReCAAP). Tandis que les Etats du littoral ont comme
responsabilité principale de préserver la sécurité dans le détroit, plusieurs Etats utilisateurs majeurs comme le Japon, la Chine et les Etats-Unis, ainsi que des organisations internationales comme l’OMI, ont un intérêt légitime au maintien de la navigation et de la sécurité dans le détroit. Nous sommes ouverts à leur volonté de contribuer et de chercher à approfondir la coopération dans ce domaine, conformément à la législation internationale.
L.L.D. : A l’image de l’Europe récemment frappée par les attentats de Londres, la scène régionale a été marquée par la multiplication des attaques terroristes, dont celle de Bali le 1er octobre dernier. De votre point de vue, quels progrès ces pays ont-ils réalisé pour accroître leur coopération en vue de démanteler les organisations terroristes comme la Jemaah Islamiyah ? Quelle analyse faites-vous du fanatisme islamique dans la région ? A la lumière des nouvelles mesures adoptées par votre pays en mars dernier, quels défis pose-t-il aux sociétés sud-est asiatiques et, plus généralement, à la communauté internationale ?
S.E.M.C.T.S. : La nature que
représente aujourd’hui la menace terroriste – fondée sur l’idéologie, partagée de part le monde et non confinée aux frontières d’un seul pays, visant à créer un Etat islamique – requiert des partenariats coopératifs et des échanges d’information entre tous les gouvernements. Les gouver-nements de l’ASEAN sont pleinement conscients de la nécessité d’une coopération en matière de sécurité sur cette question, et travaillent dans le sens d’une coopération mutuelle plus accrue. En ce qui concerne Singapour, nous continuons à avoir des échanges de renseignements fructueux et une coopération en matière de sécurité avec nos voisins comme avec d’autres pays.
Les opérations de sécurité conduites dans la région durant ces dernières années ont désorganisé le réseau terroriste de la Jemaah Islamiyah (JI), une organisation locale ayant des liens avec une organisation terroriste extérieure, Al Qaida. Cependant, plusieurs cadres éminents de la JI restent en liberté et nombre de ses membres demeurent non identifiés. La menace de la JI ne peut donc en aucun cas être exclue.
Cette évolution pose plusieurs défis pour des pays multi-ethniques et multiconfessionnels comme Singa-pour. Comme d’autres pays de la région confrontés à la menace du terrorisme, Singapour a besoin d’accroître davantage sa sécurité physique afin de rendre plus difficile la tâche des terroristes qui visent nos biens et nos infrastructures. De plus, il nous faut aussi préserver et consolider l’harmonie sociale qui existe entre nos différents peuples. Mais en matière de lutte contre le terrorisme, nous nous devons d’être clairs, notre lutte est dirigée contre les terroristes, et non contre le peuple d’une religion en particulier.
L.L.D. : Un an après la conclusion d’un accord de libre-échange entre Singapour et les Etats-Unis, les deux pays ont conclu en juillet dernier un accord-cadre stratégique de défense et de sécurité renforcé. Fortement axée sur la lutte contre le terrorisme, quels sont les axes principaux de la coopération militaire américano-singapourienne ? Dans quelle mesure cet accord annonce-t-il un réengagement des Etats-Unis en Asie du Sud-Est ? A la lumière de la montée de la tension sino-américaine au printemps dernier, quelle est votre vision de l’équi-libre fragile maintenu par ces deux puissances sur la question de Taiwan ?
S.E.M.C.T.S. : L’accord-cadre stratégique pour un partenariat renforcé de défense et de sécurité (SFA) sert de cadre formel pour regrouper plusieurs domaines de la coopération bilatérale actuels et à venir, en matière de défense et de sécurité entre Singapour et les Etats-Unis. Il constitue une étape naturelle de renforcement des liens entre les deux pays, ouvrant un nouveau chapitre de nos relations dans les secteurs de la défense et de la sécurité. Le SFA élargit ainsi le champ de notre coopération actuelle à des domaines comme la lutte contre le terrorisme et la prolifération, à des exercices et des activités de formation militaires conjoints, à des dialogues politiques et à la technologie de défense. Le SFA reconnaît en outre Singapour comme un partenaire majeur des Etats-Unis en termes de coopération de sécurité.
Le SFA renforce non seulement la sécurité entre les deux pays, mais il consolide aussi la stabilité régionale. Il prolonge le Protocole d’accord sur l’utilisation d’infrastructures par les Etats-Unis à Singapour datant de 1990, en soutenant la présence durable des Etats-Unis en Asie du Sud-Est sur le plan de la sécurité. Cette présence a d’ailleurs promu la paix et la stabilité qui sont cruciales pour la coopération régionale et le dévelop-pement économique.
Pour répondre à votre dernière question, ni les Etats-Unis ni la Chine ne veulent un conflit sur la question de Taiwan. La situation de part et d’autre du détroit est délicate et difficile, mais le conflit n’est pas inévitable. Nous sommes d’ailleurs heureux de constater que la tension a diminué et que la situation s’est stabilisée depuis que les Etats-Unis ont clarifié leur position sur la question de l’indépendance taiwanaise.
L.L.D. : En janvier dernier, votre pays a accueilli le centre des Nations unies pour coordonner les opérations d’assistance à l’Indonésie et aux autres pays de l’Asie du Sud-Est touchés par le tsunami. Quelles initiatives votre pays peut-il proposer pour accroître les mesures de prévention et de sortie de crise face aux catastrophes naturelles dans la région ? Quelles nouvelles synergies la coopération internationale organisée à cette occasion a-t-elle impulsé dans la région ?
S.E.M.C.T.S. : La réunion spéciale des dirigeants de l’ASEAN sur le tremblement de terre et le tsunami dans l’Océan Indien, qui s’est tenue en janvier dernier à Jakarta, en Indonésie, a rassemblé les dirigeants des pays de l’ASEAN, le Secrétaire général des Nations unies, des représentants de haut-niveau des autres pays touchés par le tsunami, les principaux pays donateurs, les représentants de haut niveau de la Banque mondiale et d’autres institutions financières internationales.
Cette réunion a pourvu le monde d’un forum d’échange d’informations et de coordination sur les efforts d’aide et de reconstruction dont on avait vraiment besoin. L’appel d’urgence lancé par le Secrétaire général des Nations unies à Jakarta a suscité près de 5 milliards de dollars de promesses de dons. En ce qui concerne Singapour, notre Premier ministre a annoncé la création d’un fonds de 10 millions de dollars (US) pour contri-buer aux efforts de reconstruction dans les pays touchés et de 27 millions de dollars singapouriens destinés à l’Indonésie, au Sri Lanka et aux Maldives. Au-delà des promesses, Singapour a également développé un certain nombre de projets de reconstruction dans ces pays : la construction d’une digue, la remise à neuf d’un hôpital, la formation du personnel des services de santé à Meulaboh, Aceh, la construction d’écoles, la formation du personnel enseignant et des services de santé aux Maldives et à Sri Lanka.
L.L.D. : Outre votre qualité d’Ambassadeur de Singapour en France, vous êtes également l’Ambassadeur de Singapour en Israël. A la lumière du désengagement israélien de la bande de Gaza, comment percevez-vous l’évolution du processus de paix dans la région ? Quelles perspectives un règlement du conflit ouvre-t-il au développement des relations entre Singapour et le Proche-Orient ? Quelles opportunités l’inauguration de l’Asia-Middle East Dialogue (AMED) en juin dernier ouvre-t-elle pour le développement des échanges entre les deux régions ?
S.E.M.C.T.S. : Israël et les Palestiniens ont désormais
l’opportunité de faire progresser le processus de paix. Le Premier ministre Ariel Sharon et le Président Mahmoud Abbas ont mis en place une série de mesures qui construisent la confiance. Celles-ci ont amélioré les perspectives en vue d’atteindre une paix durable.
La communauté internationale joue un rôle clé pour faciliter le dialogue entre Israël et l’Autorité nationale palestinienne, et pour soutenir le développement économique et social des Palestiniens. Mais ce processus prendra du temps.
Par ailleurs, il existe beaucoup d’autres opportunités pour mettre en œuvre une coopération mutuellement bénéfique entre les pays du Moyen-Orient et Singapour, ainsi que les autres pays d’Asie. Parmi ces opportunités, le Dialogue Asie-Moyen-Orient (AMED) constitue une bonne étape vers une coopération plus approfondie ; il s’agit d’un processus exceptionnel impliquant, les gouvernements et la société civile dans le cadre d’un dialogue interrégional. Sa réunion inaugurale, qui s’est tenue à Singapour, a rassemblé 39 pays d’Asie et du Moyen-Orient (ainsi que l’Autorité nationale palestinienne). Pour une première réunion entre peuples de régions différentes, les discussions ont été encourageantes, sans arrière-pensées et positives. Cette réunion a permis de faciliter les contacts d’échanges et généré quelques propositions. Trois groupes de travail se réuniront ainsi entre chaque réunion de l’AMED pour explorer la mise en œuvre de ces propositions.
L.L.D. : Alors que Singapour plaide pour un renforcement des relations entre l’Asie et l’Union européenne, comment votre pays peut-il favoriser ce processus, notamment dans le cadre de l’ASEM dont il est, avec la France, l’initiateur ? Quelle place l’Europe peut-elle occuper sur la scène du Sud-Est asiatique ?
S.E.M.C.T.S. : C’est notre Premier ministre de Singapour, Goh Chok Tong, qui a, le premier, lancé l’idée d’initier un mécanisme de dialogue entre l’Asie et l’Europe, avec l’ancien Premier ministre Edouard Balladur. Et ce parce que, l’Europe et l’Asie du Sud-Est partagent une longue histoire commune et que l’influence européenne continue de se faire sentir dans la région. C’est dans notre intérêt mutuel que l’Asie et l’Europe s’engagent de part et d’autre dans une multitude de niveaux de coopération. Aujourd’hui, l’ASEM représente le seul mécanisme dont l’Europe dispose pour s’impliquer en Asie sur une base régionale.
Récemment, Singapour et la France ont co-sponsorisé le Duo ASEM et la Conférence sur les Cultures et les civilisations de l’ASEM. Nous souhaiterions encourager l’Europe à poursuivre ses efforts pour accroître son impli-cation en Asie, dans des domaines comme le commerce, la culture et la coopération antiterroriste. L’Asie de l’Est est aujourd’hui la région la plus dynamique du monde. Ce serait dommage que la France et d’autres pays européens
restent en retrait des évolutions importantes qui ont lieu dans cette région – comme, entre autres, l’émergence de la Chine et de l’Inde. L’ASEAN joue un rôle très actif dans les efforts régionaux pour façonner l’architecture de sécurité future dans cette partie du monde, notamment avec l’organisation du premier Sommet de l’Asie de l’Est qui aura lieu à Kuala Lumpur, en Malaisie, à la fin de cette année. Compte tenu de la forte présence économique des entreprises européennes en Asie, nous souhaiterions également voir l’Europe s’impliquer activement aux plans politique et de la sécurité.
L.L.D. : A la suite de la « Déclaration conjointe pour un partenariat renforcé » signée en mars 1999, Singapour et la France ont développé d’étroites relations. Alors que votre pays représente le troisième partenaire commercial de la France en Asie, quelles sont les priorités du développement des échanges économiques entre les deux pays ? Quels sont les principaux domaines de la coopération scientifique bilatérale ? A l’aune de l’installation de grandes écoles françaises comme l’ESSEC et l’INSEAD à Singapour et de la place faite à l’enseignement du français, comment expliquez-vous l’essor d’une forte coopération universitaire et culturelle franco-singapourienne ?
S.E.M.C.T.S. : La France représente l’un de nos plus importants partenaires commerciaux en Europe. Nos entreprises sont intéressées par les entreprises françaises qui envisagent de s’externaliser en Asie et d’y créer des joint ventures industrielles dans des pays à faibles coûts. Jusqu’à présent, nous avons mis en œuvre une excellente coopération dans les secteurs de la bio-médecine que sont la pharmaceutique, la technologie médicale, les services de santé et leur distribution, ainsi que les biotechnologies, mais aussi dans les secteurs de l’électronique, de l’information / communication, de la chimie et de l’ingénierie. Nous espérons également bâtir un socle solide pour encourager les entreprises françaises à développer leurs activités de recherche et développement à Singapour.
En matière de coopération universitaire, la France est réputée pour la qualité de sa forte tradition universitaire de rigueur et d’excellence. Nous avons le privilège d’accueillir les premiers programmes des grandes écoles de commerces que sont
l’INSEAD et l’ESSEC en Asie, et de bénéficier de nombreux liens entre institutions françaises et singapouriennes à des niveaux divers. Dans le domaine de la culture enfin, Singapour souhaite beaucoup s’enrichir au contact du vaste patrimoine de la France. L’accord sur la coopération culturelle, scientifique et technique conclu en 1982 et le protocole d’accord pour la coopération culturelle signé en 2000 entre la France et Singapour on grandement contribué à accroître la coopération culturelle et universitaire entre nos deux pays.