L’ingénierie financière de projet
Par Philippe-Henri Latimier Ph. D, Président de MEDAS – Montserrat Economic Development Advisory Services – Professeur-Associé au New York Institute of Finance
Le financement de projet, également appelé
« ingénierie financière de projet », peut-être défini comme une technique de levée de capitaux à long terme destinés à financer une unité économique viable vue sous l’angle technique, commercial et financier, que les cash flows prévisionnels permettent d’assurer avec une marge couvrant les aléas conjoncturels, le service de la dette, la couverture des coûts d’exploitation et la juste rémunération du capital investi.
Le projet, quel qu’en soit la nature, est toujours inscrit à l’intérieur d’une structure ad hoc appelée SPV (Special Purpose Vehicle) et présuppose l’exploitation d’une rente économique à partir d’une technologie déjà éprouvée.
Les crédits sont accordés aux promoteurs du projet sur la base des seules prévisions des capacités d’autofinancement (cash flows) et des valeurs d’actifs (assets) générés par ces dernières.
La finance de projet, contrairement à la finance d’entre-prise à laquelle elle emprunte toutefois les concepts d’actualisation, de choix des méthodes d’investissement (taux interne de rentabilité, de valeur actuelle nette, de délai de récupération du capital investi, d’indice de profitabilité), d’effet de levier financier et de coût du capital, s’intéresse à la rentabilité du projet via sa capacité à générer un niveau de cash flows suffisant et non pas sur les équilibres fondamentaux d’un bilan.
On est donc dans une logique de « sur mesure » financière appliquée aux particularismes d’un projet spécifique, caractérisé par un niveau d’endettement très élevé et une ingénierie financière, juridique et fiscale hautement élaborée.
Les techniques de financement de projet mobilisent un grand nombre d’acteurs comme l’Etat, les collectivités
territoriales, les grandes entreprises industrielles et de
services, les organismes bancaires, les banques d’affaires, les assureurs et réassureurs publics et privés, les avocats d’affaires et consultants, et les experts en tous genres.
Le ticket d’entrée est, pour chacune des opérations, conséquent et se chiffre en général en plusieurs dizaines de millions de dollars, ce qui explique l’utilisation quasi systématique du principe de mutualisation des risques.
L’influence de l’endettement sur la rentabilité des fonds propres investis est primordiale avec, en toile de fond, la nécessité de circonscrire de manière transversale, dif-férents types de risques notamment d’ordre politique, de taux de change, de taux d’intérêt, mais aussi
environnemental, juridique, de défaillance possible d’une voire de plusieurs des parties prenantes parmi les membres liés au « SPV »,
sans oublier le risque de force majeure.
Quels que soient leurs objets (exploration pétrolière et gazière, extraction de minerais, usine « clé en main » du type raffinerie de pétrole, centrale électrique, usine d’assemblage, ouvrage d’infrastructure comme des pipe-lines, tunnels, ponts, autoroutes à péage, voies ferrées, réseaux de télécommunication, usines de traitement des eaux et des déchets, plate-formes de stockage, équipements collectifs, parcs de loisirs, etc), les projets financés présentent des
facteurs invariants et des caractéristiques communes :
– Haut niveau de sophistication s’agissant du montage
du projet
– Pertinence des cash flows prévisionnels afin de cerner au mieux, en amont, le niveau de rentabilité du projet
– Montant des investissements, omniprésence d’activités industrielles et commerciales multirisques
– Un retour sur investissement différé sur une longue période
– Une multitude d’acteurs aux intérêts partiellement contradictoires
Sur les principes précités, il n’est pas déraisonnable d’avancer que toute activité industrielle à forte valeur ajoutée pourra se voir appliquer les techniques de l’ingénierie de projet, si elle est destinée à exploiter, sur le long terme et dans le cadre d’une structure juridique ad hoc et d’une technologie éprouvée, une rente économiquement viable, c’est-à-dire confortée par un prévisionnel de cash flows plus leste et de nature à assurer in fine le service de la dette au regard de la capacité d’emprunt du projet.
La mutualisation du financement requis, qui peut atteindre dans des conditions normales jusqu’à 80%, se mettra d’autant plus facilement en place que les risques inhérents au projet auront été méticuleusement identifiés et couverts.
Le secteur du financement de projet, en dépit des déconvenues rencontrées par certains dossiers (Eurotun-nel, Eurodisney, Enron …), a encore de beaux jours devant lui et on l’imagine bien être amené à susciter des convoitises parmi les quelques 500 établissements bancaires susceptibles de jouer un rôle moteur au sein d’une activité internationale aussi lucrative que prestigieuse.