Emirats arabes unis : un acteur incontournable du Moyen-Orient
Héritant de l’œuvre accomplie par S.A. Cheikh Zayed Ben Sultan Al-Nahyane, le Président des Emirats arabes unis S.A. Cheikh Khalifah Ben Zayed Al-Nahyane a affirmé sa volonté de consolider la stature de son pays comme carrefour stratégique du Moyen-Orient et de pérenniser sa politique équilibrée sur la scène régionale et largement ouverte sur le monde, dont S.E.M. Saif Sultan Mubarak Al Aryani, Ambassadeur des Emirats arabes unis en France, nous explique ici les axes fondamentaux.
La Lettre Diplomatique : Monsieur l’Ambassadeur, le Président S.A. Cheikh Khalifah Ben Zayed Al-Nahyane a été élu à la présidence des Emirats arabes unis par le Conseil suprême de la Fédération au lendemain de la disparition, le 2 novembre 2004, de S.A. Cheikh Zayed. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru par votre pays depuis sa formation en 1971 ? Plaçant son action sous le signe de la continuité, quelles priorités ont été définies par le Président S.A. Cheikh Khalifah Ben Zayed Al-Nahyane ?
S.E.M. Saif Sultan Mubarak Al Aryani : Pour pouvoir évaluer objectivement les réalisations effectuées dans différents domaines sous la conduite du fondateur des Emirats arabes unis, S.A. Cheikh Zayed Ben Sultan Al-Nahyane, il faudrait, d’une part, les comparer à celles qui ont été accomplies dans les pays voisins. Il convient, d’autre part, de souligner que la région du Golfe a connu une série de crises aiguës dont l’impact s’est répercuté non seulement à l’échelle régionale, mais également à l’échelle internationale. Or, qu’il s’agisse de la révolution iranienne, de la guerre Iran-Irak, de l’invasion du Koweït par l’Irak, de la guerre entreprise pour sa libération ou, plus récemment, de la guerre d’Irak, tous ces évènements ont rendu notre pays plus fort et accru ses capacités d’adaptation aux changements conjoncturels, sans pour autant entraver son processus de construction et de développement.
En ce qui concerne le second volet de votre question, S.A. Cheikh Khalifah Ben Zayed Al-Nahyane a défini des priorités pour l’avenir de notre pays que l’on peut résumer comme suit :
– Poursuivre la vision de son père sur le développement des différents secteurs d’activité du pays.
– Conserver la même ligne politique, notamment à l’égard de la situation régionale et des évènements qui s’y déroulent, tout en mettant l’accent sur l’amélioration des relations de bon voisinage et la nécessité de faire prévaloir le dialogue pour trouver des solutions aux divers problèmes.
– Axer notre effort de développement sur le secteur industriel et poursuivre le transfert des revenus pétroliers de l’Etat vers les secteurs de l’industrie et du tourisme, conformément à notre politique de diversification économique.
L.L.D. : Alors que votre pays a bâti son essor économique sur l’industrie pétrolière, la contribution des hydrocarbures à la croissance de son PIB est désormais inférieure à 30%. A l’aune des importants projets touristiques récemment mis en place dans votre pays, quelles sont les secteurs porteurs de la diversification de l’économie émirienne ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Il ne fait aucun doute que le pétrole constitue une matière première stratégique très importante. Il a représenté un facteur majeur du processus de développement de notre pays qui a désormais atteint un niveau avancé de progrès et de prospérité. Mais, comme vous le savez, le pétrole est une matière tarissable, donc provisoire. Nous devons dès lors optimiser l’utilisation des ressources financières dont nous disposons en les investissant dans les secteurs productifs, tels que l’industrie et le tourisme, et nous efforcer d’attirer les capitaux étrangers dans notre pays. Il va sans dire que ces objectifs ne sauraient se réaliser sans la coopération et le dialogue que nous avons développé avec les partenaires que nous comptons parmi les pays amis industriellement avancés, en vue de favoriser le transfert de leur technologie vers notre pays. Les Emirats se sont d’ailleurs dotés dans ce but des structures d’accueil nécessaires à la réception de ces transferts de technologie.
J’ajouterais, en outre, que notre pays jouit d’une position géographique privilégiée pour exporter en direction d’autres régions du monde, qu’il dispose d’infrastructures de qualité, de moyens de communication très avancés, d’un réseau moderne d’autoroutes, de ports et d’aéroports, et qu’il offre de très faibles taxes douanières et une main d’œuvre à bon marché.
L.L.D. : Composée de près de 80% d’étrangers, la population des Emirats arabes unis présente une configuration démographique unique au monde. Quelle approche les autorités émiriennes préconisent-elles pour faire face au défi qu’elle représente en
termes de stabilité politique, sociale et économique ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Vous évoquez un sujet de la plus haute importance pour notre pays, qu’il serait nécessaire de traiter le plus rapidement possible. Soucieux de lui trouver une solution adéquate, le gouvernement émirien a mis en place une commission composée d’experts, ayant pour vocation d’étudier ce problème et de soumettre ses recommandations aux autorités compétentes. Ces dernières s’efforceront ensuite d’élaborer une solution en coopération avec les gouvernements des pays dont sont originaires ces immigrés et grâce à la coordination des efforts des différentes parties concernées.
L.L.D. : Résultant du renversement du régime de Saddam Hussein en avril 2003, la redéfinition de la donne géopolitique du Moyen-Orient demeure
suspendue à la pacification de l’Irak et à la mise en œuvre du processus de paix israélo-palestinien. Comment percevez-vous la transition politique engagée en Irak depuis l’été 2004 ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Si l’on considère toutes les souffrances qu’il a endurées, toutes les victimes et les destructions qui l’ont meurtri, le peuple frère d’Irak ne peut plus que se consacrer à servir l’intérêt national du pays dans son ensemble, sans se préoccuper de l’intérêt de tel ou tel individu, de telle ou telle communauté. Pour leur part, les Emirats arabes unis continueront à apporter leur aide à l’Irak, jusqu’à ce qu’il se remette sur pied, car ce pays frère est particulièrement cher au cœur du peuple émirien.
L.L.D. : Alors que la disparition du leader historique de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat a marqué un tournant majeur au Proche-Orient, quelle est votre vision du nouveau contexte de la mise en œuvre de la « feuille de route », caractérisé par le plan israélien de désengagement de Gaza et l’arrivée d’une nouvelle direction à la tête de l’Autorité palestinienne à l’issue des élections du 10 janvier 2005 ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Je pense que l’on ne pourra parvenir à une solution juste du problème palestinien tant qu’Israël ne fera pas la preuve de sa volonté réelle de paix. Quant au désengagement de Gaza, pour qu’il puisse avoir un impact positif sur le processus de paix, il convient de l’inscrire dans le cadre de la feuille de route. Dans ce contexte, une lueur d’espoir pour la paix pourra alors commencer à voir le jour.
L.L.D. : Avec la formulation par la communauté internationale d’un « Partenariat pour un Grand Moyen-Orient », la démocratisation des sociétés arabes est devenue un thème central du débat politique dans la région, mis en tête des priorités de la Ligue arabe. Comment analysez-vous les enjeux de ce débat à l’échelle de votre pays ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Depuis leur création, les Emirats ont adopté une conduite consistant à associer leur rythme de développement aux progrès réalisés dans tous les domaines au sein de la communauté internationale. La société émirienne est d’ailleurs une société jeune, ambitieuse et attachée à la recherche de l’excellence. De plus, comme vous le savez, le fédéralisme constitue le système politique sur lequel reposent les Emirats arabes unis ; autrement dit, chaque émirat dispose d’un Conseil consultatif et d’un Conseil exécutif qui coexistent aux côtés du Conseil national fédéral (Parlement). Les Emirats ont donc cherché en permanence, à travers leur expérience fédérale et à l’instar de tout Etat de par le monde, à être en phase avec les évolutions de leur temps. Cet état d’esprit englobera d’ailleurs, à brève échéance, toutes les autres institutions constitutionnelles de notre pays.
Je tiens en outre à souligner que le rôle de la femme émirienne au sein de la société s’accroît de jour en jour. A titre d’exemple, un important portefeuille ministériel a été attribué à une femme lors du dernier remaniement gouvernemental, ce qui représente un signe notable du degré de développement de la situation de la femme aux Emirats.
L.L.D. : Evitant le renvoi du dossier nucléaire iranien au Conseil de Sécurité, l’Iran et la troïka franco-germano-britannique ont conclu un nouvel accord en novembre 2004. Dans quelles conditions, selon vous, peut-on envisager un règlement global de cette question ? Quelles sont, selon vous, les perspectives de la sécurisation de cette zone hautement stratégique que constitue le Golfe arabe et, plus particulièrement pour votre pays, du règlement du contentieux territorial émiro-iranien ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Depuis longtemps déjà, les Emirats ont fait valoir avec insistance la nécessité d’éradiquer de la région du Moyen-Orient, y compris en ce qui concerne Israël, l’arme nucléaire et les autres armes de destruction massive. Cette position est conforme à la politique pacifique que notre pays a adopté depuis sa création et qu’inspire le respect des principes de la préservation de la paix et de la sécurité dans le monde. En ce qui concerne plus spécifiquement la question des îles, les Emirats ont appelé l’Iran, dès le début de la crise, à trouver un règlement à travers le dialogue ou, éventuellement, à porter cette affaire devant la Cour internationale de justice.
L.L.D. : A la lumière du différend opposant l’Arabie saoudite au Bahreïn en matière de politique commerciale, quelles vous semblent être les priorités de la coopération régionale à l’approche du prochain Sommet du CCG qui se tiendra en 2005 aux Emirats arabes unis ? La création d’une union monétaire vous semble-t-elle encore envisageable en 2005 ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : De nos jours, le monde se développe et progresse à grande vitesse dans de nombreux domaines. De même, les Etats du Conseil de coopération du Golfe (CCG) œuvrent ensemble, et de manière notable, pour consolider les fondements d’une coopération active, et ce malgré certaines difficultés. Je puis vous assurer à ce sujet, que des projets économiques, politiques et sociaux communs verront le jour prochainement.
L.L.D. : En se dotant d’une nouvelle loi anti-terroriste à l’été 2004, votre pays a renforcé son dispositif visant à mettre en échec le financement des réseaux terroristes. Quels résultats la mise en place de cette législation a-t-elle permis d’obtenir ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Je voudrais tout d’abord souligner que les Emirats sont notoirement connu pour être un pays où prévalent la sécurité et la stabilité à tous les niveaux. Il n’existe pas, en effet, de fossé entre le peuple émirien et ses dirigeants. En ce qui concerne la loi que vous évoquez, la lutte contre le terrorisme représente une cause qui fait l’unanimité au sein de la communauté internationale, dont nous sommes partie intégrante. Nous avons des intérêts communs avec d’autres Etats et nous nous sommes engagés à respecter cette loi qui nous a, d’ailleurs, beaucoup aidés dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent et qui nous a offert l’opportunité de coordonner notre action avec des pays amis ; sans compter qu’il existe aussi une coopération étroite entre les Etats de la région en matière de lutte anti-terroriste.
L.L.D. : Occupant une stature de plate-forme du commerce international avec le port de Dubaï, les Emirats arabes unis sont le premier pays du Moyen-Orient à rejoindre l’initiative américaine pour la sécurisation du trafic maritime. Quels changements le renforcement de la présence des Etats-Unis dans la région a-t-il introduit dans les relations étroites qu’entretiennent Abu Dhabi et Washington ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : S’il existe des bases américaines dans la majorité des pays de la région du Golfe, notre pays n’en comptent pas. Cet état de fait résulte du degré relativement important et développé des forces armées émiriennes et de l’insuf-fisance de l’espace nécessaire pour accueillir d’autres forces militaires à leurs côtés. Les Etats-Unis, en vrais professionnels en la matière, connaissent tout cela et le comprennent fort bien. Toutefois, nous avons été amenés à nous adapter à la réalité de la présence américaine dans la région, et ce de façon à servir le plus efficacement les intérêts
émiriens. Ces principes constituent le socle de la
coopération stratégique et de la compréhension mutuelle à tous les niveaux entre les Etats-Unis et les Emirats arabes unis.
L.L.D. : Alors que les prévisions demeurent incertaines sur les cours des prix du pétrole, quelle approche les Emirats arabes unis préconisent-ils pour maintenir la stabilité des cours ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Il est vrai que les prix du pétrole ont enregistré une hausse, mais il faut également prendre en compte que, dans le même temps, le cours du dollar a baissé. Il convient, d’ailleurs, de souligner que les prix de l’ensemble des matières premières ont augmenté au cours des vingt dernières années.
La hausse du prix du pétrole résulte des lois du marché, mais elle n’est pas du fait des pays de l’OPEP. Ces pays ont au contraire procédé à l’augmentation de leur production pétrolière pour neutraliser la hausse des prix. Pour ma part, j’estime aujourd’hui que les prix actuels sont raisonnables, eu égard à la chute du cours du dollar. Les Emirats arabes unis se sont engagés à maintenir la stabilité du marché pétrolier. C’est pourquoi notre pays déploie tous ses efforts pour favoriser la recherche d’un point d’équilibre entre les intérêts des pays producteurs et ceux des pays consommateurs.
L.L.D. : Fort de la volonté du Président S.A. Cheikh Khalifah Ben Zayed Al-Nahyane de poursuivre la politique d’ouverture de son prédécesseur, quelles orientations compte-il adopter pour poursuivre la diversification des partenariats politiques et économiques de la fédération ? De ce point de vue, comment votre pays entend-il favoriser l’intensification du dialogue avec l’Union européenne ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Les Emirats ne dévieront pas de la ligne politique tracée par feu Cheikh Zayed Ben Sultan Al-Nahyane, consistant à défendre les valeurs et les principes qu’il a édictés. S.A. Cheikh Khalifah Ben Zayed suivra la même voie que son père, en mettant l’accent sur les aspects économiques, en particulier du développement du secteur industriel et de la question des transferts de technologie. Cette question devrait d’ailleurs connaître de nouvelles avancées dans le cadre de la politique économique conduite à l’égard des pays européens détenteurs de la technologie que nous recherchons.
L.L.D. : Accordant une place primordiale dans sa politique étrangère à l’aide aux pays étrangers avec le Fonds de développement d’Abu Dhabi, comment votre pays entend-il soutenir les pays victimes du tsunami en Asie du Sud ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : Sur ce point, les Emirats continueront également d’appliquer la même approche qui a été précédemment adoptée, en favorisant une plus large coordination avec les autres pays, de manière à ce que l’effort ne soit pas unilatéral, faible ou limité. L’action collective est en effet préférable à l’action individuelle. Dans ce contexte, les Emirats ont figuré parmi les premiers pays à avoir apporté une aide financière et technique aux pays du sud-est asiatique qui ont été frappés par le tsunami.
L.L.D. : La France et les Emirats arabes unis célèbrent cette année le 30ème anniversaire de la signature de leur première convention de coopération. Comment percevez-vous l’approfondissement des relations privilégiées entre les deux pays ?
S.E.M.S.S.M.A.A. : La vérité est que les relations entre les deux pays sont exemplaires, notamment dans les domaines politique, militaire et économique. Le marché des Emirats est, par exemple, largement ouvert aux produits français. En ma qualité d’Ambassadeur des Emirats arabes unis en France, l’une de mes missions consiste à renforcer les relations entre les deux peuples amis et à montrer la véritable image de mon pays, plus spécialement d’ailleurs dans ses réalisations, ses principes et ses valeurs.